RÉSIDENCES SERVICES : DES INVESTISSEURS PIÉGÉS
La crise sanitaire a eu un effet désastreux pour les investisseurs de résidences services. Beaucoup d’exploitants ont stoppé le paiement des loyers et certains parlent de baisse dans les prochaines années. Un comble pour un placement présenté comme sûr et garanti.
Avec 2 400 € de retraite par mois, Jacques et Sophie ont décidé, il y a cinq ans, d’étoffer leur patrimoine. Ils se sont offert un deux-pièces Pierre & Vacances situé à La Plagne, dans la vallée de la Tarentaise. Sur le papier, l’opération avait tout pour plaire. Annoncé comme régulier pendant neuf ans, le loyer mensuel de 600 € versé par ce gestionnaire devait les aider à payer leur mensualité de crédit. Ils n’avaient plus que 350 € par mois à débourser. Cerise sur le gâteau, ce couple séjournait quelques semaines par an dans son appartement. Mais la crise sanitaire est passée par là et ce bel équilibre s’est effondré. Fin mars, l’exploitant leur annonce, par un simple courrier, l’arrêt du versement des loyers. À fin septembre, la situation perdure. Depuis plusieurs mois, ce couple de Rennais doit rembourser l’intégralité de son crédit de 950 € et se retrouve avec un taux d’endettement à 40 %. Contacté par nos soins, Pierre & Vacances confirme cette interruption de versements, mais jure qu’ils ont repris depuis : « À début octobre, il n’y a aucune prolongation de suspension des loyers. Il s’agit certainement d’un retard de traitement. »
PERTE DE REVENUS
La mésaventure de Jacques et Sophie n’est pas un cas isolé. Ces derniers mois, on ne compte plus les préjudices financiers rencontrés par les investisseurs dans des résidences services, partout en
France. Comme pour ce couple d’actifs parisiens qui, à la même période, apprend l’arrêt du paiement des loyers de leur F3 dans une résidence de tourisme de Sarlat (Dordogne), gérée par Odalys. Ce manque à gagner fait bondir son taux d’endettement à 52 %. Suite à la crise sanitaire, « la plupart des grands noms du secteur des résidences de loisirs et de tourisme ont fermé le robinet des loyers. Même constat chez les spécialistes des résidences d’affaires et dans quelques résidences étudiantes », énumère Jacques Gobert, avocat à Marseille. François Sabatino, président d’Appart’City, confirme cette situation. « La période de confinement nous a contraints à fermer nos établissements plusieurs semaines. Nous avons rouvert de façon progressive, à partir de début juin. À ce jour, certains établissements sont encore fermés. Nos bailleurs, qui sont nos propriétaires, ont pris la mesure de la situation économique d’Appart’City. Nous n’avons de cesse de discuter avec eux afin de trouver des solutions et une juste répartition des risques », explique-t-il. De son côté, Pierre & Vacances nous indique que pour « la période de fermeture, le propriétaire, en tant que bailleur, accepte une annulation des loyers ». Les autres gestionnaires contactés n’ont pas répondu à nos sollicitations.
« Face à cette situation inédite qui les a mis devant le fait accompli, beaucoup de propriétaires se sont d’abord tournés vers leur banque pour obtenir un report momentané des mensualités. Les refus ont été nombreux, signale Jean-Baptiste Libert, président de la Fédération nationale des associations de propriétaires en résidences de tourisme et résidences gérées (FNAPRT). Pour éviter d’être asphyxiés, certains ont souscrit un prêt non affecté leur permettant de doper leur trésorerie et de continuer à régler leurs échéances, avec l’espoir que les choses s’arrangent. »
Depuis quelques mois, la reprise des versements se fait en ordre dispersé. Mais ce sujet de la récupération des loyers non versés reste en suspens.
« Dans ma résidence de tourisme en Ardèche, l’exploitant me propose le marché de dupes suivant : si son chiffre d’affaires 2021 est supérieur de 8 % à celui de 2019, il s’engage à rembourser 38 % de ce qu’il me doit. Si cet écart atteint 20 %, il me rembourse 90 % des loyers perdus. Or, ce bond de chiffre d’affaires ne s’est jamais produit, d’autant plus que les résultats 2019 étaient exceptionnellement hauts », peste un investisseur.
Un avocat nous dévoile une autre pratique. « On se rend compte qu’un exploitant peut reprendre le paiement des loyers dans une résidence et poursuivre la suspension des versements dans une autre. Il n’y a aucune transparence sur les comptes et la situation financière de chaque site », relève-t-il.
NOUVEL EFFORT DEMANDÉ
Ce n’est pas tout. En plus d’être invités à passer l’éponge sur les loyers manquants entre le 14 mars et le 2 juin, période de fermeture administrative obligatoire qui s’est prolongée jusqu’au 22 juin en Île-de-France, certains investisseurs commencent à être contactés pour leur demander un nouvel effort financier. Certains sont incités à accepter une révision à la baisse des prochains loyers, avant même l’échéance de leur bail. Or, si un propriétaire signe ce genre de proposition commerciale qui change les règles initiales du jeu, la situation devient irréversible. Pour lutter contre ces grands groupes, la meilleure parade pour un particulier consiste à ne pas rester isolé. Mieux vaut rejoindre l’association des copropriétaires de sa résidence, quitte à en créer une après s’être renseigné auprès de certaines structures nationales existantes (FNAPRT, ACMRM…). Cette action commune permet de mener une fronde unie face au gestionnaire et permet, si besoin, de partager les frais d’un avocat. « Ce n’est pas aux propriétaires de payer l’addition de la Covid, d’autant plus que ces sociétés avaient, à la mimars, date du confinement, réalisé une bonne saison d’hiver pour leurs résidences à la montagne et que les résidences de tourisme, traditionnellement fermées en intersaison, ont fait le plein cet été. Rappelons que la plupart de ces groupes ont bénéficié du prêt garanti par l’État et du dispositif de chômage partiel pour les aider à passer cette période difficile », insiste Jacques Gobert.
Si la crise sanitaire a déclenché une vague de problèmes chez les investisseurs, ce placement immobilier traîne déjà un lourd passif. « On annonce à l’achat un rendement garanti entre 9 et 11 ans. Mais c’est faux, affirme Guillaume Fonteneau, gestionnaire de patrimoine. Depuis des années, des soucis interviennent en cours ou en fin de bail. » Dans les années 2000, plusieurs résidences de tourisme situées à la campagne (en « zone de revitalisation rurale », c’est-à-dire des secteurs à dynamiser, en échange d’avantages fiscaux pour les investisseurs) ont été abandonnées par leurs gestionnaires, les plus fragiles mettant même la clé sous la porte. Livrés à eux-mêmes, les particuliers – privés de revenus – ont alors cherché un repreneur, acceptant souvent une baisse drastique de leurs revenus. «Lorsque surviennent les problèmes de paiement, cette phase est généralement suivie d’un deuxième effet négatif, à savoir une révision à la baisse du loyer à l’occasion du renouvellement du bail », souligne Franck Garnier, gestionnaire de patrimoine au sein du cabinet Cincinnatus Patrimoine. Or, une baisse de loyer participe à une dévalorisation du bien avec, à terme, une moins-value à la revente. On croit à tort que les Ehpad sont épargnés, pour cause de forte demande. « De plus en plus de gestionnaires n’hésitent pas à partir avec leur agrément. Ils laissent alors les propriétaires avec des chambres médicalisées invendables », alerte Frédéric Leurent, président de l’Association de copropriétaires en maisons de retraite médicalisées (ACMRM). L’association a été créée en 2010 à la suite de litiges avec DomusVi, exploitant français de résidences médicalisées. Dernier accroc en date qui n’a rien à voir avec la Covid : se basant sur une jurisprudence de 2016, cette société a annoncé par courrier à ses investisseurs, seulement 15 jours avant de verser leurs loyers du 2e trimestre 2020, l’annulation pure et simple du mécanisme d’indexation de loyer. Elle a même demandé le remboursement du trop-perçu au cours des 5 dernières années. « Cette décision concerne une cinquantaine d’Ehpad loués par le groupe. Certains se voient réclamer entre 4 000 et 15 000 € », s’exclame Frédéric Leurent. Des investisseurs ont décidé de porter l’affaire en justice. Les audiences (par résidence) devraient s’échelonner entre octobre et décembre. ■