“QUAND ON DÉBUTE UNE COLLECTION, IL FAUT SE FAIRE PLAISIR ET PRIVILÉGIER SON INSTINCT”
Bruno Borie, collectionneur et propriétaire du Château Ducru-Beaucaillou, 2e Grand cru classé en 1855 de Saint-Julien, revient sur la création de sa collection d’art contemporain.
Aquand remonte votre rencontre avec l’art contemporain ?
J’ai commencé à me passionner pour l’art contemporain lorsque je travaillais pour une maison de négoce de vins exclusivement tournée vers l’exportation. À l’époque, je voyageais beaucoup, notamment aux États-Unis, et je prenais le temps de découvrir, durant le week-end, les villes, leurs musées et leurs galeries. Mais j’ai paradoxalement découvert qu’à Bordeaux, notre Musée d’art contemporain, le CAPC, exposait les mêmes artistes qu’à New York et que le Frac (Fonds régional d’art contemporain, NDLR) possédait aussi une belle collection. Cela a été comme une révélation. J’ai alors beaucoup fréquenté les vernissages du musée puis les galeries qui se sont installées dans son sillage… Et puis, naturellement, j’ai commencé à acheter mes premières pièces : Les Chambres d’Amour de Bernard Faucon, un Mégalithe de Loïc Le Groumellec… Au fil des années, j’ai pu faire l’acquisition d’oeuvres plus importantes : de Christian Boltanski, de Keith Haring, de Carl Andre ou encore d’Alessandro Mendini. Je me passionne aussi pour le design, un art à la démarche moins revendicatrice, mais tout aussi magistral. Je pense en particulier à Ron Arad, Alessandro Mendini, les frères Bouroullec…
Vous est-il arrivé de revendre certaines de vos pièces ?
Non, je ne me suis jamais séparé d’aucune d’entre elles et j’en suis très fier. Je peux les voir tous les jours et il m’arrive encore d’être ému, même bouleversé, lorsque je les admire. Les oeuvres vous habitent. Il vous arrive de les oublier puis de les redécouvrir. Surtout, chacun peut se les approprier et les interpréter. J’ai fait, par exemple, l’acquisition il y a quelques années d’une sculpture de l’artiste japonais Masahide Otani qui représente un large morceau de tissu tenu par une main. L’artiste l’a réalisée en songeant à ses parents marchands de textile. De mon côté, j’y vois plutôt la main d’un torero tenant sa cape !
L’art vous accompagne chez vous et dans votre vie professionnelle. Comment parvenez-vous à associer l’art et le vin ?
J’ai eu l’honneur de collaborer avec de grands artistes pour mettre en valeur notre patrimoine. J’ai fait notamment appel à Andrée Putman il y a plusieurs années lorsque je dirigeais la marque d’apéritif Lillet, et Jade Jagger, la célèbre styliste et fille de Mick Jagger, a créé un habillage pour une édition limitée de notre cuvée La Croix Ducru-Beaucaillou. Dernièrement, Sarah Poniatowski a redécoré les intérieurs de notre bâtisse historique.
Selon vous, qu’est-ce qui unit un collectionneur d’art et un amateur de grands vins ?
Leur objectif est identique : ils sont tous les deux à la recherche de l’absolu…
Que recommandez-vous à ceux qui veulent débuter une collection ?
Ils doivent avant tout se faire plaisir et privilégier leur instinct. Et éviter de penser au potentiel de valorisation de leurs oeuvres. Ce n’est jamais la bonne démarche. Cela casse la magie. Un particulier ne peut pas réfléchir comme un collectionneur public ou un professionnel.
De mon côté, j’ai toujours agi avec spontanéité, en achetant des pièces qui me touchaient profondément et pour lesquelles j’ai ressenti un véritable coup de foudre. Tout est une question de moment. Certaines d’entre elles n’ont aucune valeur financière, mais j’y suis extrêmement attaché. L’autre danger est d’agir dans la précipitation. Il faut être sûr de soi car une oeuvre va vous accompagner pendant plusieurs années, parfois pendant toute votre vie. ■