LA CHRONIQUE d’Éric Zemmour
La Turquie contre l’Arménie. La Turquie contre la Grèce. La Turquie en Libye. La Turquie en Syrie. La Turquie contre les Kurdes. La Turquie contre la Russie. La Turquie contre la France. Non, ce ne sont pas des matchs de football mais des vrais conflits, avec de vrais soldats et de vraies armes. La Turquie est aujourd’hui engagée dans une multitude de combats de plus ou moins grande intensité. Son armée est sur le terrain et, avec elle, des supplétifs tirés des anciennes troupes de Daech, dont on comprend désormais que la Turquie fut le véritable mentor. Bien sûr, il y a les champs pétrolifères dans les eaux de la Grèce ou de la Libye. Bien sûr, il y a les soucis électoralistes d’un président contesté dans sa capitale par une opposition occidentaliste. Mais l’essentiel est plus profond : Erdogan est à la fois un islamiste et un nationaliste.
Il est le fils rebelle d’Atatürk. Il veut ressusciter l’Empire ottoman, non en imitant le modèle occidental de l’État nation laïque, mais en ressuscitant le Califat (pour le centenaire de sa suppression par Atatürk en 1924 ?).
Bref, Erdogan veut fermer la parenthèse du XXe siècle et revenir à la grandeur passée de son pays. Toutes les régions où il envoie ses armées furent des provinces de l’ancien Empire ottoman. Ce n’est pas un hasard. Erdogan veut en profiter pour reprendre à l’Arabie saoudite – qui se commet avec Israël – le flambeau de l’islam sunnite.
La Turquie n’est pas seule à regarder dans le rétroviseur. La Russie exalte la religion orthodoxe et la mémoire de Staline. La Chine marie l’héritage de Mao et les leçons de Confucius. Même l’Amérique, qui a derrière elle un long passé isolationniste, renonce à son rôle de gendarme mondial, se concentrant sur son seul duel avec la Chine. Toutes les grandes puissances renouent avec leur passé glorieux pour se projeter dans un avenir puissant. Notre siècle clôt la parenthèse du précédent et revient à la realpolitik des siècles qui l’avaient précédé.
Seuls les pays européens ont cru innover en reniant leur histoire pourtant glorieuse, persuadés que le droit et le commerce allaient régenter le monde. Le résultat est un échec absolu : les peuples européens sont énervés par la repentance permanente ; les nations sont désagrégées par un séparatisme ethnique, religieux et racial. Et les États se sont liés les mains dans une Union qui est une organisation internationale sans conscience politique. L’Europe fut pour ses membres un moyen de sortir de l’Histoire, mais l’Histoire les tire par les pieds. La France a hérité du Général une stratégie à double détente : l’Europe certes, mais comme « levier d’Archimède » de la puissance française. Le subtil double jeu gaullien ne fonctionne plus car il reposait sur un État souverain, une nation rassemblée derrière son chef, et une armée puissante, soutenue par une industrie militaire indépendante. Aujourd’hui, il ne reste avec son lointain successeur que les contradictions, les faiblesses, les ridicules du double jeu devenu double discours.