EN VUE Thierry Lentz
Cinquante années avec Napoléon
Le directeur de la Fondation Napoléon consacre un prodigieux dictionnaire au géant de l’histoire pour lequel il se passionne depuis l’âge de 10 ans. En 2021, lors du bicentenaire de la mort de l’Empereur, il ne se couchera pas devant les déboulonneurs de statues.
Face à l’hôtel de ville de Rouen se dresse une statue de Napoléon qui a été démontée, il y a quelques mois, en vue de sa restauration. Mais en septembre, le nouveau maire, le socialiste Nicolas MayerRossignol, suggérait de la remplacer par « une figure féminine », de préférence feu l’avocate féministe Gisèle Halimi. Un canular ? Tout en se défendant de vouloir « interférer avec la gestion d’une ville par ses élus », Thierry Lentz, directeur de la Fondation Napoléon, rappelait alors que l’Empereur avait fortement contribué à la prospérité de Rouen en soutenant ses manufactures textiles, mais ajoutait, dans une formule teintée d’euphémisme :
« Dans notre mission statutaire de protection du patrimoine, nous ne pouvons qu’être inquiets devant ce genre d’initiatives. » Incompréhension identique, avant l’été, lorsque l’historien, invité à prononcer une conférence devant les élèves de l’école de commerce Audencia de Nantes, avait appris l’annulation de son intervention, la direction de l’école ayant jugé qu’il serait inopportun de
« promouvoir l’héritage napoléonien en cette période ». Napoléon est une passion qui a saisi Thierry Lentz à l’âge de 10 ans, en 1969, lors du bicentenaire de sa naissance. Après des études de droit couronnées par un Mémoire de maîtrise sur l’administration préfectorale en Moselle sous le Consulat et l’Empire, il publie son premier livre, en 1986, sur la Moselle (son département natal) et Napoléon. Deux ans plus tard, il rencontre Jean Tulard, le grand maître des études napoléoniennes à l’université, et prend place parmi ses disciples. En 2000, il devient directeur de la Fondation Napoléon, une institution privée vouée à la recherche sur le premier et le second Empire. La fonction lui a notamment permis de codiriger la Correspondance générale de Napoléon Bonaparte, gigantesque entreprise éditoriale bouclée en 15 tomes parus entre 2004 et 2018. Parallèlement, l’historien a poursuivi son oeuvre personnelle, qui représente aujourd’hui une quarantaine d’ouvrages sur la période du Consulat et du premier Empire, avec quelques incursions dans d’autres domaines (l’assassinat du président Kennedy, le « nid d’aigle » de Hitler à Berchtesgaden). Depuis 2012, Lentz enseigne aussi l’histoire du premier Empire à l’Institut catholique d’études supérieures de La Roche-sur-Yon, en Vendée.
En 1987, Jean Tulard avait dirigé un Dictionnaire Napoléon auquel avaient participé 220 collaborateurs. Depuis, la recherche sur le premier Empire n’a jamais cessé, rendant nécessaire une nouvelle synthèse. C’est à cette tâche que s’est attelé Thierry Lentz, en 2016, mais seul. Le fruit de ce labeur, dédié à Jean Tulard, est en librairie : un remarquable « dictionnaire historique » qui restitue, en 1 000 pages et 300 entrées, toutes les facettes de Napoléon. De la bataille d’Austerlitz à la légende de Sainte-Hélène, les sujets les plus classiques sont traités, mais on y trouve du neuf, comme la réhabilitation de Marie-Louise, et de l’original, comme la notice sur les loups ou celle sur la musique, où l’on apprend que Napoléon chantait faux. L’auteur n’évite pas les sujets polémiques, rappelant que Bonaparte, en 1802, rétablit l’esclavage en Guadeloupe non par racisme mais par pragmatisme, afin de relancer l’économie et de faire pièce aux Anglais. Il ne dissimule pas non plus les ombres du règne de Napoléon, comme l’exécution du duc d’Enghien. Mais revendique son admiration pour les innombrables réformes du Consulat, qui ont fondé la France moderne.
En 2021, la France célébrera le bicentenaire de la mort de Napoléon. Expositions et colloques préparés à cette occasion subissent déjà la pression de réseaux militants, qui font de l’histoire du premier Empire une lecture décontextualisée, uniquement à charge, et polarisée sur la question de l’esclavage. Thierry Lentz, lui, tel un hussard, n’a pas l’intention de se coucher devant les injonctions du politiquement correct. Au mois de mars, il sortira un essai au titre sans ambages : Pour Napoléon.