LE THÉÂTRE de Philippe Tesson
La Comédie-Française présente un volet de la « Recherche » qui transforme les salons de Guermantes en cabaret conformiste.
Toute adaptation de Proust est une trahison. Christophe Honoré a l’honnêteté de l’affirmer lui-même. « Il est ridicule, dit-il, de prétendre adapter Proust, au théâtre comme au cinéma. C’est une entreprise pourrie d’avance. » Que n’est-il donc pas passé à l’acte ? À Marigny, on a en effet la démonstration éloquente du bien-fondé de cet aveu. Car Proust, ça n’est pas commun, comme il l’explique parfaitement en s’adressant aux acteurs : « Ce ne sont pas dans un premier temps des personnages que je vais vous confier, mais des noms : Oriane, Charlus, Villeparisis, Norpois, etc. Il ne vous suffira pas de les vêtir avant d’entrer en scène, les personnages chez Proust ne sont pas fabriqués d’un bloc, ils sont annoncés et puis ils se révèlent constamment infidèles à leur réputation, insaisissables. » C’est exactement cela, Proust. Aucun personnage n’est achevé. Tout chez lui contient plusieurs sens à la fois. Il est à lui seul un univers, une comédie humaine. On n’entre pas dans Proust comme dans un moulin. Défense d’entrer ! Défense d’inventer ce dont on n’a pas la clé ! Et puis cette comédie humaine a sa langue propre, sa culture, son histoire. Un personnage de Proust est un monde à lui seul. On ne le résume pas, on ne l’invente pas, on n’en a pas le temps. Le temps théâtral de Proust ne se mesure pas. Et de surcroît toute la littérature est dans Proust. Cela doit être sensible.
Alors, on ne peut pas supporter ce spectacle. On ne comprend pas que, partant de la théorie qu’il expose, Honoré réduise Proust à ce qu’on pourrait appeler un « ordinaire », un greffe médiocre du quotidien, soi-disant satirique, mais avec quelle vulgarité, proche du fait divers, et, pire, du cabaret.
Certaines démonstrations nous ont particulièrement choqué, celle de Serge Bagdassarian par exemple. Appelons un chat un chat, il y a dans cette mise en scène vivante et boulevardière une familiarité hors de propos. Le contraire de Proust. L’accueil du public est révélateur. La sociologie des rires ne trompe pas. Peu à peu, et sans qu’on y prête trop attention, cette vulgarité infiltre la Comédie-Française. Éric Ruf a beau s’extasier au prétexte que Christophe Honoré appelle désormais « patrimoine » ce qu’on appelait jadis « répertoire », la belle affaire ! On est vraiment chez les précieuses ridicules. Bonjour la mode !
Le Côté de Guermantes, d’après Marcel Proust. Adaptation et mise en scène de Christophe Honoré. Avec Claude Mathieu, Anne Kessler, Éric Génovèse… Théâtre Marigny (01.44.58.15.15).