Le Figaro Magazine

LES INFORTUNES DE LA VERTU

- Paulin Césari

Victime de son héroïsme ». C’est ainsi qu’une plaque commémorat­ive posée dans un jardin parisien a qualifié le sacrifice d’Arnaud Beltrame. De bonnes âmes n’ont vu dans cette sentence que maladresse et confusion. D’aucuns y ont perçu un déni de réalité, voire une dissonance cognitive. D’autres enfin ont condamné le transfert de culpabilit­é qu’elle semblait suggérer, ainsi que le biais idéologiqu­e qui la sous-tendait. Tous convenaien­t en coeur que

« mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Or, rien n’est plus faux. Car on peut tout reprocher à « victime de son héroïsme », hormis son équivocité, sa gaucherie, son irréalité, sa dissimulat­ion. Cette attributio­n nomme parfaiteme­nt les choses.

Elle énonce en toute simplicité qu’Arnaud Beltrame fut son propre bourreau ! Car, qu’est-ce qu’un bourreau ? Au pire, l’une des figures du Mal. Au mieux, celle d’un déviant à proscrire. Tout sauf un exemple à suivre. « Victime de son héroïsme » exprime donc avec une perfection littérale l’évangile du temps présent. Celui qui célèbre la royauté de l’individu ayant érigé en bien souverain la conservati­on de sa « vie nue ». De ce dogme, le reste découle : si la vertu des vertus consiste à ne sauver que sa peau, alors le sacrifice, donc l’héroïsme, ne peut être que le vice des vices ; le mal radical. Celui que chacun est sommé d’éradiquer en lui, hors de lui ; chez les vivants comme chez les morts…

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