LES INFORTUNES DE LA VERTU
Victime de son héroïsme ». C’est ainsi qu’une plaque commémorative posée dans un jardin parisien a qualifié le sacrifice d’Arnaud Beltrame. De bonnes âmes n’ont vu dans cette sentence que maladresse et confusion. D’aucuns y ont perçu un déni de réalité, voire une dissonance cognitive. D’autres enfin ont condamné le transfert de culpabilité qu’elle semblait suggérer, ainsi que le biais idéologique qui la sous-tendait. Tous convenaient en coeur que
« mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Or, rien n’est plus faux. Car on peut tout reprocher à « victime de son héroïsme », hormis son équivocité, sa gaucherie, son irréalité, sa dissimulation. Cette attribution nomme parfaitement les choses.
Elle énonce en toute simplicité qu’Arnaud Beltrame fut son propre bourreau ! Car, qu’est-ce qu’un bourreau ? Au pire, l’une des figures du Mal. Au mieux, celle d’un déviant à proscrire. Tout sauf un exemple à suivre. « Victime de son héroïsme » exprime donc avec une perfection littérale l’évangile du temps présent. Celui qui célèbre la royauté de l’individu ayant érigé en bien souverain la conservation de sa « vie nue ». De ce dogme, le reste découle : si la vertu des vertus consiste à ne sauver que sa peau, alors le sacrifice, donc l’héroïsme, ne peut être que le vice des vices ; le mal radical. Celui que chacun est sommé d’éradiquer en lui, hors de lui ; chez les vivants comme chez les morts…