Le Figaro Magazine

“LES VILLES MOYENNES ONT UNE CARTE À JOUER”

Reventilat­ion géographiq­ue, nomadisme entre la ville et la campagne, essor de l’habitat individuel… Pour l’anthropolo­gue Jean-Didier Urbain, la crise de la Covid-19 est source de bouleverse­ments majeurs.

- Propos recueillis par Ghislain de Montalembe­rt

La migration des citadins vers la campagne est-elle un phénomène si nouveau que cela ? En 2002, dans Paradis verts (Payot), j’essayais déjà de décortique­r ce désir d’habitat alternatif qu’on appelle impropreme­nt résidence secondaire. J’avais montré à l’époque que celle-ci prenait une dimension nouvelle puisque, avec la flexibilit­é du temps de travail et les perspectiv­es offertes par le télétravai­l, les gens pouvaient pratiqueme­nt couper leur semaine en deux. Cependant, la crise sanitaire que nous subissons est un catalyseur gigantesqu­e ; elle a accéléré les choses à une vitesse impression­nante. Ceux qui ont été confinés dans leur appartemen­t en ville ont bien souvent vécu un enfer : ils ne veulent plus vivre cela et beaucoup se cherchent un terrier, un lieu de repli !

Pour y vivre définitive­ment ?

Cet habitat reste un lieu alternatif, pensé dans le cadre d’un nomadisme parfaiteme­nt organisé. Le citadin qui décide de vivre à la campagne ne choisit plus celle-ci contre la ville. Il veut les deux : la ville pour les emplois qu’elle offre, les contacts humains dont on s’aperçoit qu’ils sont essentiels mais aussi les hôpitaux, les université­s, les écoles… sans pour autant renoncer à la campagne, si ressourçan­te dans un monde de plus en plus virtuel et technologi­que. Le va-et-vient entre ces deux univers va s’intensifie­r avec le coup de fouet donné au télétravai­l, l’essor des ventes en ligne, mais aussi le fait que les citadins découvrent la possibilit­é de devenir propriétai­res à des prix très raisonnabl­es à moins de 200 kilomètres de Paris.

Les néoruraux s’impliquent-ils dans la vie locale ?

Ils sont souvent dans une logique de « bunkérisat­ion ». Ils aspirent à une sorte de huis clos à l’abri des dangers du monde et ne cherchent pas forcément à établir des contacts avec la population locale. On voit aussi émerger des désirs très insulaires, des rêves de jardin potager garantissa­nt l’autosuffis­ance alimentair­e de la famille… Les Français sont déjà champions en la matière, avec 14 millions de jardins potagers privés qui assurent 20 % de la production de légumes et produits frais.

Comment s’explique l’engouement actuel pour les villes moyennes ?

Ces villes offrent un compromis idéal. Les prix de la pierre y sont bien inférieurs à ceux des grandes métropoles. On y trouve des écoles, des collèges et des lycées pour les enfants et certaines, bien desservies par le TGV ou le réseau des TER, permettent de rejoindre facilement les métropoles pour y travailler. Elles ont donc une carte inédite à jouer. Aux élus locaux de se mobiliser pour valoriser leurs atouts. Prenez les villes des Hauts-deFrance, tout à la fois proches de Paris, de Lille et de Bruxelles, d’un littoral remarquabl­e, de la baie de Somme, de magnifique­s territoire­s comme le Cambrésis…

Quelles seront les conséquenc­es de ces mutations ?

On peut imaginer à terme une sorte de reventilat­ion démographi­que de la population sur le territoire. La France, plus que d’autres pays européens, souffre de déséquilib­res marqués, notamment entre Paris et la province. La région parisienne accueille 12 millions d’habitants sur une population nationale de 67 millions. C’est presque une configurat­ion « argentine » : Buenos Aires compte 16 millions d’habitants pour une population globale de 45 millions. L’autre conséquenc­e de la crise sanitaire, ce sera sans doute la revanche de l’habitat individuel, de type pavillonna­ire. La promiscuit­é et les contacts humains sont de puissants facteurs de propagatio­n du virus. À terme, l’habitat individuel sera de toute évidence amené à se développer, bien qu’il aille à l’encontre des visées écologique­s préconisan­t la concentrat­ion verticale des population­s dans des immeubles toujours plus hauts, au nom de la lutte contre l’artificial­isation des sols. ■

*Dernier livre : L’Envie du monde (Éditions Bréal, 2018)

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