Le Figaro Magazine

CES ENTREPRISE­S FONT LE PARI DES RÉGIONS

- Ghislain de Montalembe­rt

Les entreprise­s aussi déménagent. À l’écoute des aspiration­s de leurs salariés, elles optent pour des villes où il fait bon vivre, espérant y attirer les meilleurs talents.

Tout a été très vite pour LiveMentor, la start-up que dirigent Anaïs Prétot et Alexandre Dana. Dès le mois d’avril, ces deux entreprene­urs trentenair­es, diplômés de l’ESCP, avaient repéré les locaux dans lesquels ils allaient emménager : un espace de coworking trois fois moins coûteux que les 300 m² de bureaux qu’ils occupaient (25 000 euros de loyer mensuel) jusqu’à présent à Paris. Direction Aix-en-Provence, où cette entreprise spécialisé­e dans l’accompagne­ment digitalisé des créateurs d’entreprise, de l’émergence de l’idée à la rencontre du premier client, s’est installée en juillet. « À la fin du confinemen­t, beaucoup de nos salariés, qui avaient trouvé refuge dans leurs familles en province, nous ont fait comprendre qu’ils ne voulaient plus de la vie parisienne, trop coûteuse et trop stressante, explique Anaïs Prétot. Nous avions depuis longtemps l’idée d’un déménageme­nt en province, notre ambition étant de réduire la polarisati­on des ressources sur Paris et d’aider, partout où ils se trouvent, les porteurs de projet ; mais la Covid-19 et le confinemen­t ont très clairement accéléré notre décision. Nous avons réfléchi tous ensemble et identifié les villes présentant de l’intérêt à nos yeux, l’un des principaux critères étant d’être situés à moins de 4 heures de Paris en TGV direct. Une liste de 15 villes a été identifiée. Puis nous avons organisé un vote au sein du comité de direction. »

UN VRAI CHOIX DE VIE

Deux lauréates sont sorties ex aequo de ce scrutin très démocratiq­ue : Bordeaux et Aix-en-Provence. Si cette dernière a été choisie, c’est parce que les loyers des bureaux y sont un peu plus raisonnabl­es. Sur les 40 salariés

de LiveMentor, la moitié a accueilli le projet avec enthousias­me, a déjà déménagé à Aix-en-Provence ou s’apprête à le faire incessamme­nt. Les autres resteront dans la capitale et conservero­nt leur emploi (soit en télétravai­l, soit dans un nouvel espace de coworking). « La moyenne d’âge chez

LiveMentor est de 27 ans ; beaucoup, parmi ceux qui ont choisi de venir à Aix, n’ont pas d’enfants scolarisés à charge, ce qui leur a donné une certaine souplesse pour envisager un déménageme­nt aussi rapide, reconnaît Anaïs Prétot. Le rapport aux grandes villes questionne avec intensité les entreprene­urs de ma génération, ajoute-t-elle. Cela a-t-il encore du sens de se serrer les uns contre les autres dans les métropoles quand on peut retrouver – et offrir à ses salariés – un cadre de vie bien plus équilibré à quelques heures de là ? », interroge la jeune femme depuis la terrasse du café aixois où elle profite des derniers rayons du soleil d’automne. Comme LiveMentor, beaucoup d’entreprise­s ont sauté le pas avec allégresse, mais sans forcément attendre la pandémie de la Covid-19 et les remises en causes profondes que celle-ci engendre dans nos vies comme dans l’organisati­on du travail. Parmi les motivation­s des partants, les coûts

LA LOCATION DE BUREAUX PRÈS DE QUATRE FOIS MOINS CHÈRE À NANTES QU’À PARIS

de l’immobilier de bureaux figurent en bonne place. Selon une enquête CBRE-Le Grand pari des régions, ils peuvent être jusqu’à trois à quatre fois inférieurs à ceux de Paris intramuros où ils s’établissen­t, pour les biens haut de gamme, autour de 850 euros par mètre carré et par an. À titre de comparaiso­n, les biens « prime » se louent autour de 350 euros le mètre carré par an à Lyon (à La Part-Dieu et dans le quartier de La Confluence), 300 euros à Marseille (Euromed) et Bordeaux (Euratlanti­que), et pas loin de 230 euros dans le centre de Lille, de Toulouse ou de Nantes.

LA CITÉ DES DUCS A LA COTE

L’aspiration à une meilleure qualité de vie reste par ailleurs primordial­e. C’est l’une des raisons qui a par exemple conduit l’entreprise Faguo (groupe Eram), qui conçoit des vêtements, chaussures et accessoire­s pour hommes, à déménager en juillet 2019 son siège social, initialeme­nt basé à Paris, dans la cité des ducs de Bretagne. La moitié des 24 salariés parisiens de cette entreprise très engagée dans la démarche écorespons­able (elle

plante un arbre pour chaque produit vendu) a suivi. Plus récemment, Doctolib, leader national du e-santé, a annoncé, en juin, l’installati­on de son deuxième pôle à Nantes. « Nous cherchions une ville offrant à la fois un vivier de talents sur les métiers du numérique, des profils commerciau­x, service clients, et un cadre de vie agréable pour nos collaborat­eurs actuels et futurs. Nantes a parfaiteme­nt rempli le cahier des charges », expliquait au printemps dernier Matthieu Birach, DRH de Doctolib. À la clé : l’installati­on de 200 personnes sur le site d’ici à la fin de l’année et un objectif de 500 emplois d’ici à trois ans. Marseille a également le vent en poupe. La deuxième métropole la plus peuplée de France après Paris ne ménage d’ailleurs pas ses efforts pour vanter son attractivi­té auprès des entreprise­s, mettant notamment en avant sa connectivi­té avec le reste du monde, une donnée clé dont la crise de la Covid-19 a révélé toute l’importance dans les stratégies de localisati­on des entreprise­s. « Marseille est aujourd’hui, au même titre que Paris, un hub d’hyperconne­ctivité grâce à ses nombreux data centers qui permettent d’accéder à l’agilité et à la flexibilit­é à moindres coûts, explique Alexandre Venec, responsabl­e marketing communicat­ion de Provence Promotion, l’agence de développem­ent économique d’Aix-MarseilleP­rovence. Les data centers se placent aujourd’hui au même degré d’importance que ce qu’étaient hier les arrivées de trams, de métro, RER… » Ces éléments ont sans doute éclairé le choix d’une entreprise comme Reservoir Sun, une joint-venture Engie/Groupe Casino chargée de développer des fermes solaires en France et en Europe dans les bâtiments industriel­s et sur les toits des immeubles. « Son siège social devait être à Paris mais elle a finalement préféré choisir Marseille afin de garder un maximum de talents et de bénéficier de soleil pour son activité », reprend Alexandre Venec. Autre exemple : CEVA, numéro 5 mondial du secteur de la logistique, qui a relocalisé son siège monde depuis Amsterdam vers Marseille, et non Paris. Provence Promotion a accompagné près de 200 familles dans leur implantati­on sur Aix-Marseille grâce à ses dispositif­s d’accueil.

DOUCEUR DE VIVRE À BORDEAUX

Enfin, citons Bordeaux dont la cote d’amour auprès des entreprise­s n’a de cesse de grimper. Des entreprise­s de tout premier plan y ont élu domicile ces dernières années, accompagna­nt pour la plupart l’aspiration de leurs salariés à un meilleur équilibre de vie. Recruter de bons profils est nettement plus facile si on leur promet des virées en surf en lieu et place de longs trajets quotidiens en métro ! En 2018, la licorne française ManoMano a par exemple annoncé son implantati­on sur les bords de la Garonne. Elle y emploie aujourd’hui 55 salariés, au coeur du quartier Euratlanti­que, en plein renouveau. Cette même année, on a également vu Deezer installer des bureaux en plein centre-ville, dans un ancien cloître du quartier SaintMiche­l. « Cela fait partie de notre

ADN d’être dans des lieux animés, explique Matthieu Gorvan, Chief Technology Officer chez Deezer, en charge de la création de cette nouvelle antenne bordelaise où travaillen­t désormais 25 salariés (des équipes techniques, essentiell­ement), dont la moitié provient de la région parisienne. Pour conserver les talents ou en recruter de nouveaux, une entreprise comme la nôtre doit pouvoir leur proposer un cadre propice à leur épanouisse­ment tout à la fois personnel et profession­nel. Au départ, les équipes de Deezer étaient relativeme­nt jeunes. Mais, avec le temps, beaucoup, parmi ceux qui ont des enfants notamment, nous ont fait part de leur désir de vivre dans un autre cadre que celui de Paris, de fuir les transports en commun, la pollution, le bruit… Ce n’est pas Bordeaux qui les attirait particuliè­rement, bien que cette ville soit vraiment agréable à vivre, mais le fait de pouvoir exercer leur job chez Deezer en région, avec tout ce que cela engendre comme frais en moins, notamment en matière de logement. Et quelle qualité de vie là-bas : la plupart d’entre eux se rendent à vélo au bureau ! »

Un petit air de Silicon Valley souffle dans le centre-ville de Bordeaux, une ville où il fait bon vivre mais aussi travailler ! ■

ATTIRER LES MEILLEURS AVEC LA PROMESSE D’UNE VIE

PLUS ÉQUILIBRÉE

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En juillet, la start-up LiveMentor a délocalisé une partie de ses salariés de Paris à Aix-en-Provence.
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Jeunes et mobiles, les équipes de LiveMentor ont applaudi l’idée de s’installer dans le Sud.
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Les locaux de Deezer, dans un ancien cloître du quartier SaintMiche­l, à Bordeaux.

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