VESTIAIRE DE PLEIN AIR POUR CITADINS ÉLÉGANTS
Des pardessus en tweed de la révolution industrielle aux parkas en Gore-Tex qui arpentent aujourd’hui le bitume, comment les vêtements d’extérieur sont devenus des standards en ville.
Quinze minutes de slalom à vélo dans les bouchons des grandes agglomérations équivalent aux mêmes efforts que dévaler les pistes », affirme Alexandre Fauvet, le PDG de Fusalp. Déjà, en 2013, alors que les héritiers Lacoste s’apprêtent à racheter la marque de sports d’hiver, leur constat est clair : l’homme urbain est devenu intarissable sur les vertus du Gore-Tex et ne jure que par la parka d’alpiniste pour chevaucher son deux-roues en ville quand il fait froid. « Quand nous avons repris Fusalp, le marché des vêtements techniques était pléthorique mais ne s’adressait pas aux citadins, poursuit le dirigeant. Or, les hommes d’aujourd’hui cherchent des habits polyvalents, qu’ils soient piétons, en deux-roues ou à vélo. C’est pourquoi ces dernières années, nous investissons dans le développement de produits toujours aussi performants mais confectionnés avec des tissus moins épais, moins lourds voire moins chauds afin qu’ils puissent s’adapter à un usage quotidien dans les métropoles aux latitudes plus tempérées. »
Dorénavant, Fusalp (3) décline les fonctionnalités de ses doudounes pour le grand froid dans sa « collection urbaine ». Cet hiver, une paire de jeans, éditée en collaboration avec le jeune label écoresponsable 1083, taillée dans un tissu technique microporeux alliant imperméabilité et respirabilité, s’affiche au côté du fameux « fuseau des Alpes ». « Nous sommes aussi en train de faire breveter une nouvelle membrane aussi chaude mais beaucoup plus fine que celles que nous utilisons pour nos anoraks de haute montagne, s’enorgueillit Alexandre Fauvet. Ce n’était pas une mince affaire puisque justement, pour garder la chaleur corporelle, il faut que l’air circule et donc que le tissu soit épais. » Même stratégie pour Aigle (5), fabricant de bottes en caoutchouc, installé près de Montargis depuis 1853. « Aigle, qui est né de l’alliance de la fonction et du style, est un pionnier de l’habillement d’extérieur en France, rapporte Sandrine Conseiller, PDG. Dès la fin des années 1980, nous avons exploré ce segment du marché porté par notre savoir-faire chaussant. Nous avons démocratisé le vêtement technique dans l’Hexagone, notamment avec notre parka Copeland inspirée des vestes de quart nautiques. » Sans parler de leurs bottes à double bande blanche créées pour les Jeux olympiques de Munich en 1972, qui chaussent désormais les pieds des citadins dès le début de l’automne. Et que dire des doudounes ultralégères de la marque japonaise Uniqlo (4) qui sont depuis longtemps plébiscitées par les cadres dynamiques. Cette saison, elles seront plus responsables, rembourrées de duvet recyclé à partir de celui de 600 000 vieux modèles collectés l’année dernière.
Ces nouveaux standards du vestiaire masculin qui fleurent bon le grand air ne datent pas d’hier. Pour Xavier Chaumette, historien de la mode, « les premiers manteaux en laine de la fin du XIXe siècle sont les détournements originels du plein air à la ville. À cette époque, l’homme bourgeois doit sortir afin de travailler et gérer ses affaires. Pour affronter les températures extérieures, son tailleur lui confectionne un pardessus sur le modèle de ceux des officiers de marine ». Une demande de la clientèle qui
coïncide avec les débuts de la confection en série et l’essor des grands magasins. « Entre 1850 et 1900, on trouve dans les catalogues de ces nouveaux commerces un nombre considérable de formes de pardessus dont les créateurs s’inspirent encore aujourd’hui, indique l’enseignant. Autrefois, on détournait le caban de marin ; de nos jours, c’est la parka de l’alpiniste. »
DES PÊCHEURS DU COIN AUX HABITANTS DES BEAUX QUARTIERS
Retour au début du XIXe siècle. En pleine révolution industrielle, l’Angleterre, à l’avant-garde, règne sur les us et coutumes de l’époque. En France, les hommes ont en tête l’image du gentleman qui a toujours apprécié le grand air, la chasse et parcourt ses terres, vêtu d’un paletot « emprunté » aux classes populaires (le tweed a d’abord été porté par les paysans qui le tissaient eux-mêmes). On raconte que vers 1880, Thomas Burberry aurait inventé la gabardine de son trench-coat après une rencontre avec un berger. Une dizaine d’années plus tard, John Barbour (2) aurait, lui, remarqué, alors qu’il débarquait dans le port de South Shields, à quelques kilomètres de Newcastle, l’étrange habitude des pêcheurs du coin qui enduisaient leurs vêtements de graisse de poisson pour s’isoler du froid. L’inventeur de la veste cirée du même nom n’aura pas le loisir de voir sa création sur le dos de la jeunesse dorée britannique dans les années 1980, puis sur celui de tout un chacun, ou presque, dans les grands centres urbains. « Les clients actuels recherchent principalement une interprétation moderne de ce qu’ils estiment être une Barbour classique, explique Ian Bergin, directeur des collections masculines. Ils ne tolèrent que quelques ajustements afin que leur veste corresponde à leur vie et à leurs besoins. Nous avons lancé la ligne White Label dans ce but : équilibrer l’authenticité et la modernité. »
Dans un autre registre, la parka Snow Mantra de Canada Goose (1), réputée pour être le manteau le plus chaud au monde, s’est imposée comme un classique de la panoplie de l’homme des villes. La marque canadienne qui s’apprête à sortir une collection Icons (en boutique le 27 novembre) revisitant, entre autres, ce modèle emblématique s’interroge : « Qu’est-ce qui fait une icône ? Qu’il s’agisse d’une personnalité ou d’un produit qui vient redéfinir sa catégorie, une icône laisse sa marque dans l’Histoire. » ■
“Les hommes d’aujourd’hui cherchent des habits polyvalents”