STABENRATH : DU CARRÈRE D’AVANT LE YOGA
Dans un récit glaçant, Bruno de Stabenrath réécrit « L’Adversaire » sur son ami d’enfance : Xavier Dupont de Ligonnès.
Cet été, Bruno de Stabenrath a dû faire une drôle de tête quand Society a sorti son enquête sur Xavier Dupont de Ligonnès. Il venait de rendre son manuscrit de 500 pages aux éditions Gallimard. Depuis neuf ans que les corps des quatre enfants Ligonnès et de sa femme ont été déterrés par la police nantaise, l’auteur de Cavalcade cherche à comprendre comment son pote en est arrivé là. Aurait-il dû lui dire quelque chose, l’écouter mieux, l’aider, ou au moins deviner sa détresse ? L’enquête de Society était un travail de fourmi, mais il lui manquait une dimension littéraire : la subjectivité. Stabenrath rédige son récit comme une histoire d’amitié qui finit mal. Stab’a lu L’Adversaire d’Emmanuel Carrère, dont le titre évoquait clairement le diable. Il évoque l’affaire Romand pour dire qu’elle n’a rien à voir avec l’affaire Ligonnès, mais je ne suis pas d’accord : Romand et « Ligo’» ont un point commun. Ce sont deux bourgeois qui cachent à leur famille qu’ils sont déclassés. Ils s’enferrent dans leurs mensonges pour sauver les apparences. Dans les familles qui n’ont plus d’argent, le père doit faire croire qu’il roule sur l’or, même quand il perd son boulot, galère, panique en basculant dans la précarité. Dans les mois à venir, en 2021 et 2022, beaucoup de petitsbourgeois vont devoir souffrir en silence. Allons-nous vers une recrudescence des assassinats familiaux ? L’Ami impossible remonte loin en arrière, à la rencontre entre Bruno et Xavier au collège Saint-Thomas-d’Aquin de Versailles en 1977, pour élucider l’impasse dans laquelle Ligonnès s’est fourvoyé. Il revisite ses souvenirs de rallyes, les soirées dansantes, les virées rock and roll à moto. La beauté de ce livre dépasse le fait divers : il fait revivre une époque insouciante, où l’idée d’un couvre-feu à 21 heures était purement et simplement inconcevable. Bruno de Stabenrath ne cherche jamais à excuser, toujours à expliquer, en recréant cette jeunesse envolée, celle où un futur tétraplégique dansait debout sur ses deux jambes avec un ami fantasque qui allait devenir le tueur le plus recherché de France.
Si cette atroce « famillicide » passionne le monde entier, c’est parce qu’il exacerbe des questions universelles. La question de la disparition : est-il possible de s’évaporer dans un monde de surveillance numérique permanente ? La question du divorce : pourquoi est-il encore tabou dans les milieux cathos intégristes ? La question du crime parfait : existe-t-il dans cette tragédie des complicités secrètes ? Et enfin celle qui tue : que feriez-vous si votre meilleur copain faisait la même chose ?
L’Ami impossible, de Bruno Stabenrath, Gallimard, 520 p., 22 €.