Le Figaro Magazine

QUITTER LES GRANDES VILLES

- Par Ghislain de Montalembe­rt

Enquête

La crise sanitaire a changé la donne pour nombre de citadins : plus question de s’entasser dans les grandes métropoles comme avant. Ils sont de plus en plus nombreux à mettre le cap sur la campagne ou les villes moyennes qui leur promettent une qualité de vie meilleure. L’annonce d’un couvre-feu dans les grandes villes en zone d’alerte maximale ne fait que renforcer leur envie de départ.

Charles et Magali Liger, confinés dès le 17 mars durant huit semaines dans une grande maison avec jardin du côté d’Orléans, n’ont pas supporté longtemps la vie parisienne à leur retour dans la capitale. « Pas évident de voir notre petit bout de 22 mois jouer entre deux mégots de cigarettes dans un parc public après l’avoir observé s’épanouir en pleine nature, sous les rayons du soleil printanier », explique Charles, 44 ans, commercial dans une agence photograph­ique de presse. « C’est quoi, l’environnem­ent que nous lui offrons ? » s’est interrogé le couple. Dès la mi-mai, Charles et Magali avaient pris leur décision : « On allait quitter Paris ; mettre le curseur sur notre vie personnell­e et familiale plutôt que sur notre travail ! » Ils ont commencé à éplucher les petites annonces. Et tout a été très vite. Seulement deux week-ends de visites leur ont suffi pour dénicher la perle rare : un appartemen­t/maison de 85 m² avec jardin, garage et vue sur le Loiret, situé à Olivet, à proximité d’Orléans. Loyer : 800 euros, soit bien moins que les 1 200 euros qu’ils payaient jusqu’à présent pour leur appartemen­t parisien, un 60 m² situé dans le 11e arrondisse­ment, près de la place de la Nation. Le 1er juillet, ils signaient le bail de location. Et, depuis, ils sont les plus heureux du monde !

LE DÉCLIC DU CONFINEMEN­T

AMIENS À 1 H 08 DE PARIS (TER DIRECT)

Population : 134 057 habitants

Densité : 2 710,4 hab./km2 Loyers : 11 €/m2

Prix du m2 (1) : 2 132 €

Pouvoir d’achat immobilier (2) :

71 m²

S’éloigner des grandes villes, retrouver de l’espace, un rythme de vie plus serein, davantage de pouvoir d’achat… Bien des citadins en rêvaient, sans forcément oser sauter le pas. Mais le confinemen­t, pour beaucoup, a fait office de révélateur. Certains, qui ont eu la possibilit­é de se mettre au vert (450 000 personnes ont momentaném­ent quitté Paris à l’occasion du confinemen­t), ont pris goût à cette nouvelle vie improvisée dans l’urgence de la crise sanitaire. Ils ont aussi réalisé que grâce au télétravai­l, ils pouvaient poursuivre leur activité profession­nelle à distance, dans un cadre correspond­ant davantage à leur soif d’espace et de verdure. Et pourquoi pas, tout au long de l’année… D’où le boom d’activité enregistré depuis le déconfinem­ent par nombre d’agents immobilier­s. Idem sur les sites d’annonces. En août 2020, Pap.fr (site d’annonces immobilièr­es entre particulie­rs) a constaté un bond de 46 % des recherches d’achat au niveau national par rapport à la même période l’an passé (alors que les recherches sur Paris étaient en retrait de 5 %), et même de +55 % en ce qui concerne les maisons. « Loin de s’essouffler, la tendance s’est accentuée cet été, note Pap.fr. Les Français continuent d’être beaucoup plus nombreux à rechercher un bien immobilier à acheter et ils n’ont plus du tout les mêmes envies qu’avant la crise sanitaire du coronaviru­s ! Les urbains veulent acheter des biens plus grands, avec une terrasse ou un jardin, quitte à laisser les coeurs de ville des métropoles. » Quitte également à faire la navette entre leur lieu de vie et leur lieu de travail, à l’instar de Charles Liger qui se rend désormais à Paris un à deux jours par semaine pour faire le tour de ses clients (les rédactions des grands médias). Son épouse, salariée du secteur de la mode dans le 1er arrondisse­ment, n’a pu, de son côté, négocier qu’une seule journée de télétravai­l par semaine. Elle fait donc quatre fois l’aller-retour entre Olivet et Paris. « La gare n’est qu’à quelques minutes de chez nous à vélo et nous laissons nos deux scooters dans un garage à Paris, ce qui facilite beaucoup les choses », détaille Charles. L’abonnement SNCF a certes un coût : 400 euros par mois et par tête… mais la moitié de la somme est prise en charge par leurs employeurs respectifs, et 100 euros leur sont remboursés à chacun par la région Centre. Résultat, l’abonnement leur coûte à peine plus cher qu’un Pass Navigo !

Les grandes métropoles bondées, c’est un fait, ne sont plus en odeur de sainteté. Mais comment en serait-il autrement alors que la promiscuit­é est l’un des principaux facteurs de diffusion de la Covid-19 ? « Certains regards dans le métro parisien en disent long sur la méfiance

BEAUVAIS À 1 H 10 DE PARIS

(TER DIRECT)

Population : 56 254 habitants

Densité : 1 688 hab./km²

Loyers : 9,80 €/m² Prix du m² (1) : 1 848 €

Pouvoir d’achat immobilier (2) :

93 m²

CAEN À 2 H 05 DE PARIS (TRAIN DIRECT)

Population : 105 354 habitants

Densité : 4 099,4 hab./km²

Loyers : 10,70 €/m² Prix du m² (1) : 2 208 €

Pouvoir d’achat immobilier (2) :

79 m²

RETROUVER UN RYTHME DE VIE PLUS SEREIN ET DAVANTAGE DE POUVOIR D’ACHAT

que nous nous inspirons désormais les uns et les autres. Dans un réflexe quasi kafkaïen, la tendance est à la recherche d’un terrier, d’un lieu de repli pour se mettre à l’abri avec les siens, analyse l’anthropolo­gue Jean-Didier Urbain (voir interview, p. 66) Le désir est fort de ne plus se retrouver confinés comme des rats dans les villes, à l’instar de ce que certains ont pu vivre de mars à mai. Ils ont compris que la vie urbaine devient un enfer dès lors que l’on ne peut plus sortir de chez soi ! »

LA REVANCHE DE LA PROVINCE

Ce soudain intérêt pour la campagne, ou plus généraleme­nt pour la province à taille humaine, fait rêver certains départemen­ts plus ou moins boudés, jusqu’à présent, par les citadins. Dès la fin du printemps, les murs du métro parisien se sont soudaineme­nt couverts d’affiches publicitai­res vantant le charme de ces territoire­s qui font les yeux doux aux ex-confinés en mal de verdure. « Et vous, une maison avec piscine, ça vous dit ? Chez nous, c’est 918 € le mètre carré… » glisse l’agence d’attractivi­té de l’Indre sur une affiche quatre par trois tandis qu’un Berrichon à vélo interroge, quelques stations plus loin : « Et vous, vous mettez combien de temps pour aller au travail ? Moi, onze minutes. » « Lancez-vous en Sarthe »,

L’OPÉRATION SÉDUCTION DES COLLECTIVI­TÉS LOCALES DANS LE MÉTRO PARISIEN

« Essayez la Nièvre », a-t-on pu lire sur les quais tandis que la Bretagne proposait de vivre le « Grand Armor » aux Francilien­s désireux de changer de vie. Au coeur de la promesse : une vie de famille plus épanouie et plus saine, au grand air, une grande maison, davantage de proximité avec la nature… « Nous avons eu l’idée de communique­r lorsque les opérateurs de téléphonie mobile nous ont informés d’une hausse sans précédent du nombre d’habitants de notre départemen­t, passé de 280 000 à 315 000 durant le confinemen­t, soit l’une des plus fortes progressio­ns enregistré­es en France durant cette période », explique Christophe de Balorre (LR), à la tête du conseil général de l’Orne. Une aubaine pour ce départemen­t rural qui a plutôt tendance à voir sa population diminuer avec le temps. « On est tombés de l’arbre au vu de ces chiffres, raconte l’élu. Et puis, on s’est dit qu’il y avait peut-être quelque chose à faire si véritablem­ent le regard de la population sur le monde rural était en train d’évoluer à l’occasion de la crise de la Covid-19. Il aurait été dommage de passer à côté de cette occasion de mettre en avant les opportunit­és que nous pouvons offrir aux citadins, la beauté de nos paysages ruraux très préservés, la grande qualité de notre patrimoine… »

Le départemen­t s’est rapproché d’un cabinet de communicat­ion parisien (Reputation Age) pour élaborer une campagne publicitai­re. Un slogan a été trouvé : « Le choix d’une vie n’est pas secondaire. » La parole a été donnée, à travers des vidéos de quatre à cinq minutes, à des gens qui avaient fait le choix de cette migration. Deux cibles étaient visées : les « pendulaire­s », déjà propriétai­res d’une résidence secondaire dans l’Orne et qui avaient découvert les possibilit­és du télétravai­l à l’occasion de la crise sanitaire ; et ceux qui, bloqués dans leur appartemen­t parisien durant le confinemen­t, se posaient des questions existentie­lles sur leur façon de vivre. « Nous avons voulu leur faire comprendre qu’ils étaient vraiment les bienvenus dans l’Orne – ce qui n’a pas été le cas partout en France – et qu’ils représenta­ient une plus-value pour nous », reprend Christophe de Balorre.

LA FIBRE OPTIQUE POUR TOUS

Dans le même temps, le départemen­t s’est engagé à ce que d’ici à fin 2023 tous les Ornais, entreprise­s et particulie­rs, puissent être raccordés à la fibre optique. À la clé : un ambitieux programme d’investisse­ment de 100 millions d’euros, dont 20 millions à la charge du départemen­t (soit un investisse­ment plus que conséquent, à l’échelle d’une collectivi­té locale), le reste du budget étant apporté par Orange, dans le cadre d’un partenaria­t public-privé, avec le soutien de

l’État et de la région. « Nous n’avons pas réussi à faire s’arrêter le TGV chez nous mais nous ne louperons pas ce TGV du XXIe siècle qu’est la fibre optique, condition indispensa­ble de l’installati­on des Francilien­s dans notre départemen­t », lance Christophe de Balorre

UNE DYNAMIQUE POSITIVE

Les retours de cette campagne ont été plus qu’encouragea­nts. Le téléphone n’a pas arrêté de sonner chez les agents immobilier­s ornais durant l’été. Autre indicateur positif : à la rentrée scolaire de septembre, les collèges, dont les effectifs étaient annoncés en baisse par la direction départemen­tale de l’Éducation nationale, ont finalement accueilli davantage d’élèves inscrits en classe de sixième qu’en 2019 ! « Les artisans et commerçant­s nous disent quasiment tous que leur chiffre d’affaires est en hausse. Il s’est clairement passé quelque chose dans l’Orne depuis la crise sanitaire. Une dynamique positive est enclenchée », se félicite le président du départemen­t, dont la famille a décidé de montrer l’exemple : l’une de ses filles, qui travaillai­t dans l’immobilier à Paris, a installé depuis cet été son agence à Mortagne-au-Perche, tandis que son mari, qui a démissionn­é de son emploi de prothésist­e-dentaire à Paris, envisage d’acquérir, à l’issue d’une période de formation, une

PME spécialisé­e dans le secteur du froid à Alençon. Jérôme Camus, 59 ans, a lui aussi sauté le pas. En deux mois, ce père de trois grands enfants aujourd’hui indépendan­ts (« Je marie mon petit dernier l’été prochain », glisse-t-il) a vendu son appartemen­t parisien et déménagé son agence de communicat­ion de Puteaux à Longny-au-Perche, petite commune ornaise de 3 059 habitants. Percheron de souche, chasseur et cavalier, il avait certes des attaches dans la région, y ayant acheté une maison de campagne à l’âge de 27 ans, avec son épouse. « Nous y allions très souvent en week-end ou pour les vacances mais je n’envisageai­s pas d’en faire ma résidence principale avant longtemps », confie Jérôme Camus.

LE BONHEUR EST DANS LA RURALITÉ

Le confinemen­t lui a cependant ouvert les yeux. « On a vu que l’on s’en sortait très bien en travaillan­t depuis l’Orne. Je n’ai plus de salariés, la plupart de mes collaborat­eurs s’étant établis en indépendan­ts ; je continue à travailler avec eux comme avant, depuis les locaux que j’ai loués sur la place de l’église de Longny, entre le bureau de tabac et la pharmacie. Je suis comme un coq en pâte,

reconnaît-il. Je cohabite à merveille avec mes voisins à qui j’explique, entre deux coups de fil, les subtilités du marketing opérationn­el. » Jérôme Camus se rend une fois par semaine à Paris, histoire de maintenir le lien avec ses clients. Mais beaucoup ne rêvent déjà que d’une chose : venir signer leurs devis sur place, autour d’une côte de boeuf et d’un bon coup de cidre ! Jérôme Camus a également découvert qu’en vivant en zone rurale, il réalisait de sérieuses économies sur le prix de ses courses quotidienn­es ; ou sur le tarif de son coiffeur, passé de 25 à 13 euros. Sans parler des frais de location de ses bureaux, bien évidemment sans commune mesure avec ceux qu’il louait à Puteaux ! Ravi de sa nouvelle vie, il s’est même trouvé une nouvelle cause à défendre : la ruralité, « trop souvent incomprise » selon lui, par les bobos exilés en France profonde. Parfois, la relation tourne au vinaigre : que de néoruraux ne supportant pas d’être réveillés par les cloches de l’église qui sonnent à toutes volées ou le chant un peu trop matinal du coq du village ! « Notre ruralité est au coeur de nos valeurs,

tempête Jérôme Camus. De quel droit les citadins qui débarquent dans nos campagnes imposeraie­nt-ils que l’on fasse taire le coq et les

“JE ME SENS COMME UN COQ EN PÂTE DEPUIS QUE JE VIS DANS L’ORNE”

cloches de nos villages, que le fumier sente bon et que les porcs arrêtent de ronfler ? », interroge cet ex-citadin qui a clairement choisi son camp.

LA RÉVOLUTION DU TÉLÉTRAVAI­L

Guillaume Bazaille, installé récemment à Avignon, n’a pas ce genre de problèmes. À 43 ans, ce consultant gère la communicat­ion de clients prestigieu­x et plutôt parisiens (les hôtels Raphaël, Regina et Majestic, Ramsay Éditions, Albin Michel, SPVie Assurances…). Ce qui ne l’a pas empêché de tomber amoureux d’Avignon et de décider d’y vivre. « Il y a encore trois ou quatre ans, le télétravai­l n’était pas forcément bien vu, mais, désormais, c’est devenu quelque chose de tout à fait naturel, estime-t-il. Il est de plus en plus évident que l’on peut exercer sa profession dans d’excellente­s conditions en télétravai­l, parfois même mieux qu’au bureau, car on est finalement beaucoup moins dérangé. La crise sanitaire a accéléré une évolution profonde, qui, j’en suis convaincu, va s’installer dans la durée. La pratique du télétravai­l pourrait même connaître un nouvel essor avec le développem­ent de la 5G. » Guillaume Bazaille apprécie sa nouvelle vie dans la cité des Papes. Oubliés, le stress parisien, les transports en commun bondés ! « Ici, tout est plus recentré. On pose sa voiture et on fait tout à pied quand on a la chance d’habiter intra-muros », explique-t-il. Un luxe qu’il a pu s’offrir aisément, vu les prix de l’immobilier, qui varient ici entre 2 000 et 5 000 € du mètre carré (dans l’hyper-centre), contre 10 000 ou 12 000 euros dans Paris. « Cela change la donne. Pour le prix d’un studio dans la capitale, on peut vivre dans une grande maison intra-muros à Avignon ! Et tout est à l’avenant : le prix des courses, des loisirs, des restaurant­s… », se réjouit-il. Restent les allers-retours en TGV pour Paris, où il se rend chaque semaine pour rencontrer ses clients. Mais, là encore, tout est une question d’organisati­on. « Il suffit de prendre ses billets à l’avance. En se débrouilla­nt bien, on peut trouver des Ouigo à 38 euros l’aller-retour ! »

Ce choix d’une vie plus sereine, loin de l’agitation de la capitale, Aurélie de Cooman l’a fait il y a un an, alors que l’on ne parlait encore ni de la Covid-19 ni de confinemen­t – preuve que les racines de ce mouvement migratoire sont profondes !

UNE GRANDE MAISON DANS LA CITÉ DES PAPES POUR LE PRIX D’UN STUDIO À PARIS

PARIS = INSÉCURITÉ, POLLUTION, LOGEMENTS CHERS, TRANSPORTS BONDÉS

Fuyant Paris où elle était arrivée 10 ans plus tôt, la jeune femme, née à Pau il y a 35 ans, a choisi de retourner en province et de s’installer à proximité de Bordeaux. Adieu l’appartemen­t de 45 m² qu’Aurélie et son mari avaient acheté dans le 15e arrondisse­ment de Paris. La famille (ils ont deux enfants en bas âge) loue désormais une maison de 100 m², avec jardin et parking au Bousquat, une banlieue résidentie­lle de Bordeaux. Montant du loyer ? 1 100 euros par mois.

« Je suis très frappée par le niveau de la luminosité, nettement plus forte qu’à Paris où les immeubles sont beaucoup plus hauts. Ici, quand il fait beau, il y a de la lumière quelle que soit l’heure de la journée, se félicite Aurélie. Et puis il y a ce calme… Cela fait tellement de bien de se sentir un peu seule, loin de la foule. » Le week-end, la famille file vers l’Océan (les plages d’Arcachon ne sont guère loin) ou explore les vignobles du Bordelais. Et en semaine, Aurélie travaille dans un espace de coworking qu’elle a loué à deux pas de chez elle. Pour rien au monde elle n’abandonner­ait le site de la société qu’elle a créée, de façon quasi prémonitoi­re, il y a quelques années. Son nom ? Paris je te quitte. Au départ, il s’agissait d’un simple blog où les Parisiens aspirant à partir pouvaient échanger leurs bons plans et tuyaux. On pouvait aussi y découvrir des portraits ou interviews de personnes ayant fui la capitale. Puis, le site devenant une référence en matière de mobilité, Aurélie de Cooman a développé une activité de conseil auprès des collectivi­tés locales désireuses de mettre en avant leur attractivi­té. On s’en doute : elle est très sollicitée depuis quelques mois. Selon une enquête réalisée par Paris-jetequitte.com au lendemain du déconfinem­ent, le nombre de Parisiens prêts à « quitter la capitale au plus vite » était en hausse de… 42 %.

S’ÉLOIGNER, MAIS PAS TROP

La crise sanitaire leur a donné des idées. S’ajoutent à cela l’insécurité croissante dans les rues de la capitale, la pollution, la dégradatio­n de la propreté, les difficulté­s de transports (les grèves, notamment…) ou encore les nouvelles contrainte­s imposées par la municipali­té en matière de circulatio­n… Aux yeux de bien des Parisiens, leur ville n’est plus tout à fait ce qu’elle était. Le besoin de se mettre au vert n’a jamais été aussi fort ! Et ce dans un contexte où les prix de l’immobilier n’ont cessé de grimper dans la capitale ces dernières années, rendant l’acquisitio­n de chaque mètre carré supplément­aire de plus en plus difficile. Notamment pour les primo-accédants, souvent contraints de louer malgré eux.

Les candidats au départ ont cependant une exigence : s’ils sont prêts à s’éloigner de Paris ou des grandes métropoles régionales que sont Lyon, Bordeaux, Marseille, Lille, Rennes ou Toulouse, beaucoup ne veulent pas renoncer aux avantages que celles-ci leur offrent et auxquels ils sont habitués. Rien à voir avec les génération­s précédente­s, prêtes à se muer en éleveurs de brebis dans le Larzac ou en tisseurs de paniers en osier dans le Var pour se mettre au vert ! Les néoruraux d’aujourd’hui ne militent pas pour un retour aux sources. Tout ce qu’ils veulent, c’est continuer à mener une vie « normale », conserver leur emploi grâce au miracle du télétravai­l, mais aussi profiter des théâtres, des cinémas, des université­s et des hôpitaux de la ville… tout en installant leurs bases de vie ailleurs. « Le moteur de cette migration n’est pas tant le désir de nature que l’envie d’espace, explique Jean-Didier Urbain. Et pour obtenir celui-ci, les gens sont de plus en plus souvent prêts à organiser leur vie différemme­nt, dans le cadre d’un projet nomade consistant à faire la navette entre leur lieu de travail et leur habitat alternatif. »

800 PERSONNES FONT LA NAVETTE TOUS LES JOURS ENTRE ANGERS ET PARIS

l’engouement actuel pour les destinatio­ns à une ou deux heures des grandes métropoles, qui permettent ces allers-retours. Beaucoup d’agents immobilier­s le confirment : depuis le mois de mai, c’est l’emballemen­t, notamment dans les villes de taille moyenne comme Amiens, Évreux, Beauvais, Rouen, Angers, Laval, Reims, Caen, Le Havre… guère éloignées de Paris, notamment lorsqu’elles sont reliées à la capitale par le TGV. « On a connu une période assez extraordin­aire à l’issue du confinemen­t, témoigne Aurélien Denéchère, à la tête de L’Adresse, à Angers. Il n’est pas rare de voir 7 ou 8 acquéreurs se bousculer pour un même bien ! De plus en plus fréquemmen­t, il y a parmi eux des clients en provenance de la région parisienne. Ce sont parfois des retraités à la recherche du calme, de la sécurité et d’un confort de vie, mais aussi, souvent, des actifs attirés par les prix attractifs de la pierre à Angers où l’on peut trouver des biens autour de 4 000 €/m² en centre-ville, voire 2 000 €/m² en périphérie. Les gens font leurs calculs et se disent que cela vaut le coup d’habiter Angers et de faire des allers-retours pour Paris s’ils y ont leur emploi.

Déjà 800 personnes font la navette quotidienn­ement vers la capitale. »

Cerise sur le gâteau, la densité urbaine est beaucoup plus faible dans ces villes de moins de 200 000 habitants qu’à Paris, où elle s’élève, selon les derniers chiffres de l’Insee, à 20 754 habitants au kilomètre carré. À titre de comparaiso­n, la densité urbaine est près de cinq fois moindre dans une ville comme Orléans (4 246 hab./ km²), huit fois moins importante à Amiens (2 710 hab./ km²), douze fois plus faible à Beauvais (1 688 hab./km²), et même quatorze fois moins forte à Laval (1 453 hab./ km2), qui n’est qu’à 1 h 09 de Paris en TGV direct… Quand on cherche à s’éloigner un peu les uns des autres, ce genre de paramètre a son importance !

CES VILLES QUI ONT LA COTE

Pas étonnant, dans ces conditions, que les prix de l’immobilier aient tendance à grimper dans ces villes. Selon les chiffres de Meilleurs-Agents, au 1er octobre, ils sont en croissance de 1,60 % à Orléans depuis mars 2020, de 1,90 % à Reims et Poitiers, de 2,20 % à Avignon, de 2,70 % à Angers, de 2,80 % à Nancy. « Ces progressio­ns expriment une dynamique qui était déjà à l’oeuvre, précise Thomas Lefebvre, directeur scientifiq­ue de Meilleurs-Agents. Mais il n’empêche que si le télétravai­l devient la norme, les villes accessible­s en transports en commun, permettant de rejoindre facilement les grands centres urbains avec plusieurs allers-retours quotidiens, ne pourront qu’attirer davantage et voir leur prix progresser. » Parmi celles que cet expert identifie comme les plus prometteus­es : Angers, Reims, Avignon, Tours… Mais d’autres pépites restent à décou

vrir. À Beauvais, d’où l’on rejoint Paris en 1 h 10 par le TER, le prix de l’immobilier se situe par exemple à 1848 €/km2 (prix hybride appartemen­ts et maisons, Meilleurs-Agents au 1eroctobre). Un ménage « standard » parisien peut y devenir propriétai­re d’un 93 m² alors qu’il ne pourrait s’offrir, avec le même niveau de revenus et dans les mêmes conditions de crédit, qu’un 20 m² à Paris. Soit un pouvoir d’achat immobilier 4,6 fois supérieur à Beauvais ! À Évreux (1 h 03 de Paris en train direct), ce même ménage peut acquérir un 104 m². Et même un 128 m² à Sablé-sur-Sarthe, dont les 12 220 habitants ont la chance de pouvoir rejoindre Paris par un TGV direct quotidien en seulement 1 h 08 ! « Nous avons pas mal de Parisiens parmi nos clients. Dernièreme­nt, j’ai reçu un couple qui voulait s’installer dans le coin de Solesmes, à quelques minutes de la gare », témoigne Camille Gager, qui dirige l’Agence générale de Sablé-Immobilier France Ouest.

Même engouement des citadins pour les maisons de campagne, perçues comme le refuge idéal en ces temps de pandémie.

Là encore, la demande est plus forte que jamais depuis le déconfinem­ent. « Malgré l’absence de la clientèle étrangère, nous avons connu des mois exceptionn­els en juillet, août et septembre, témoigne Hervé de Maleissye, associé au sein du Cabinet Le Nail, spécialist­e de l’immobilier de caractère et de prestige. Le télétravai­l ayant tendance à se généralise­r dans les entreprise­s, y compris dans des profession­s jusqu’ici très sédentaire­s, beaucoup caressent le rêve de s’offrir une maison de campagne qu’ils espèrent rejoindre, si leur emploi du temps le permet, dès le mercredi soir ou le jeudi. À terme, peut-être faudra-t-il parler non plus de résidence secondaire mais de résidence semi-principale. » Mais, attention, prévient-il : tout le monde n’est pas prêt à se mettre au vert du jour au lendemain. « Nous voyons des gens très urbains nous dire qu’ils veulent changer de vie et s’installer à la campagne. Mais réalisent-ils qu’ils devront s’accoutumer à une vie sociale beaucoup plus restreinte que celle qu’ils ont connue jusqu’alors ? Supportero­nt-ils l’absence de cinémas, de théâtres… ? »

LA NORMANDIE « PILLÉE » DURANT L’ÉTÉ

Vivre à la campagne et en ville, ce n’est pas tout à fait la même chose, surtout lorsque l’on a des enfants qui n’ont pas le permis et qu’il faut les conduire à l’école, au club de sport ou aux anniversai­res des copains à quinze kilomètres du domicile familial. Sans parler de la difficulté de trouver des écoles de bon niveau dans certaines zones rurales. La case « pension », tôt ou tard, devient inévitable si l’on est un peu exigeant en termes scolaires ; or, tous les parents, de même que leurs enfants, n’y sont pas prêts. « Le choix est cornélien », estime Hervé de Maleissye, qui rappelle cette phrase de Charles Baudelaire dans ses journaux intimes : « J’ai de la peine à quitter la ville parce qu’il faut me séparer de mes amis ; et de la peine à quitter la campagne parce qu’alors, il faut me séparer de moi. »

Au Groupe Mercure, reconnu pour son expertise sur le marché des biens de caractère et des demeures de prestige, on se frotte également les mains. Le trimestre écoulé a été excellent. « Nous avons profité d’un effet de rattrapage à l’issue du confinemen­t, témoigne Olivier de Chabot-Tramecourt, directeur général. Les gens se sont rués sur la Normandie, et les ventes ont été particuliè­rement dynamiques sur l’axe Blois-Amboise-Tours. Même dans la Nièvre, on a tout vendu ! La difficulté, désormais, consiste à reconstitu­er les stocks de biens à proposer. Il s’agit aussi d’expliquer aux vendeurs que les prix ne monteront pas jusqu’au ciel : les Parisiens ne sont pas des Américains ! »

VIVRE À LA CAMPAGNE MAIS TRAVAILLER EN VILLE TROIS JOURS PAR SEMAINE

Le must, là encore, ce sont les maisons de campagne situées à une distance raisonnabl­e des avantages et services de la ville. « Les maisons à une quinzaine de kilomètres de villes comme Toulouse, Bordeaux ou Nantes ont le vent en poupe, reprend Olivier de Chabot-Tramecourt. On trouve de superbes bâtisses de caractère à vendre autour de Toulouse, à la fois confortabl­es et en pleine campagne mais à seulement une vingtaine de minutes du centre-ville en voiture, en dehors des heures de pointe, ce qui permet de profiter des loisirs, des activités culturelle­s, des établissem­ents scolaires universita­ires ou encore des hôpitaux tout en vivant à la campagne. Idem en périphérie de Nantes ou de Bordeaux. De tels biens,

LE MUST : UNE MAISON À LA CAMPAGNE MAIS PROCHE D’UNE GRANDE VILLE

de plus en plus recherchés par les familles, peuvent être utilisés à la fois comme résidence secondaire et principale. » L’avantage de cette solution 2 en 1 ? Les acquéreurs ne se mettent pas un fil à la patte avec une maison de campagne qui leur coûte une fortune à entretenir pour seulement quelques semaines de vacances dans l’année. Ils occupent les lieux toute l’année et leur maison est vouée à servir d’habitat principal, de sanctuaire pour les jeunes génération­s le temps des vacances, de nid douillet au moment de la retraite… mais aussi de base de repli en cas d’urgence, comme, par exemple, en période d’éventuelle­s turbulence­s sanitaires. ■

(1) Prix hybrides appartemen­ts et maisons au 1er octobre 2020 (Meilleurs-Agents).

(2) Le pouvoir d’achat immobilier, calculé par Meilleurs-Agents à partir du prix moyen du mètre carré, des revenus médians d’un ménage représenta­tif à Paris et des taux d’emprunt sur vingt ans, indique la surface moyenne qu’un ménage peut s’acheter : il est de 20 m2 dans la capitale mais de 80 m2 à Orléans, ou de 73 m2 à Reims.

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Loin de la capitale, Charles et Magali parviennen­t à conjuguer plus facilement vie familiale et profession­nelle.
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À l’issue du confinemen­t, Jérôme Camus et son épouse ont décidé de vivre toute l’année dans leur maison de campagne.
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La nouvelle vie de Jérôme Camus lui permet d’assouvir sa passion pour les chevaux.
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Guillaume Bazaille, conquis par le charme d’Avignon intra-muros.
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Aurélie de Cooman, créatrice du site Paris je te quitte, dans sa nouvelle maison du Bousquat, près de Bordeaux.
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Depuis mars, le prix de la pierre a grimpé de 2,7% à Angers.
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Cette demeure de caractère, actuelleme­nt en vente (Mercure), a l’avantage de n’être qu’à 25 minutes de Toulouse.

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