Le Figaro Magazine

LES ÉVANGÉLIQU­ES ONT TOUJOURS LA FOI EN TRUMP

- De notre envoyée spéciale, Youna Rivallain

En 2016, ils étaient 81 % à avoir fait confiance à Donald Trump.

À quelques jours des élections présidenti­elles américaine­s, les évangéliqu­es demeurent un enjeu électoral majeur et se préparent à voter de nouveau pour l’actuel président, mais avec moins de conviction qu’il y a quatre ans. Nous les avons rencontrés dans le Tennessee et en Géorgie, où la concentrat­ion d’églises évangéliqu­es par habitant est particuliè­rement forte.

Peu importe sa race, sa religion, qui il aime ou pour qui il vote. Ce que Jésus demande, c’est d’aimer son prochain. » Près du feu de camp installé dans le parc de son église, le pasteur Adam Crisp, barbe fournie et chemise à carreaux, prêche à une quarantain­e de jeunes et leurs parents. Ce soir, c’est réunion avec les jeunes à l’église RIO Revolution, une des megachurch­es (plus de 2 000 fidèles par culte) de la petite ville de Maryville, au pied des Appalaches. Bienvenue dans l’East Tennessee, surnommé la « boucle de la ceinture biblique », où la concentrat­ion d’églises rapportée au nombre d’habitants reste une des plus importante­s aux États-Unis.

À deux semaines des élections, la politique n’est pas au coeur des discussion­s. Il faut dire que, dans cette église, tous sont plutôt sur la même longueur d’onde. « À RIO Revolution Church, explique Adam Crisp, vous trouverez beaucoup de gens qui votent uniquement en se basant sur un seul enjeu, la lutte contre l’arrêt de la Cour suprême Roe vs Wade », qui rendit légal l’avortement en 1973. « En général, ce que je fais, c’est une sorte de tableau dans ma tête avec les thèmes qui me tiennent à coeur, résume Rebecca McCarthy, dont les trois enfants font partie du Youth Group de l’église. Je ne peux pas voter pour quelqu’un qui soutient l’IVG, le mariage homosexuel ou qui menace la liberté religieuse ! » Rebecca craint l’ombre rouge de Joe Biden. « Je veux un bon avenir pour mes enfants, sans socialisme. » Justement, Erin, la fille McCarthy, bientôt 18 ans, surgit de derrière une voiture. « Quelle galère ces élections ! Je suis contente de ne pas pouvoir voter cette année ! » Courtisés à chaque élection, les protestant­s évangéliqu­es sont un enjeu électoral de taille pour les candidats. Ils sont estimés à 110 millions d’individus aux États-Unis, soit un tiers de la population américaine. En 2016, 81 % des évangéliqu­es blancs avaient voté pour Trump, officielle­ment presbytéri­en. Cette année, les instituts de sondage estiment les intentions de vote à 82 % pour l’actuel locataire de la Maison-Blanche, contre 17 % pour Joe Biden, fervent catholique.

TRUMP À CONTRECOEU­R

À l’église RIO Revolution, peu sont vraiment convaincus par Trump. Et pourtant. « Je n’aime aucun des deux », annonce la jeune Elisha Sierra, originaire de Porto Rico et responsabl­e des réseaux sociaux pour la megachurch. Ses deux priorités : l’avortement et l’indépendan­ce de Porto Rico, pour l’instant territoire américain. « Trump et Biden sont tous les deux racistes. Et ils n’ont rien dit sur Porto Rico. Mais voter pour Trump, c’est voter pour la vie. » Le pasteur Adam Crisp est tout aussi dépité. « Je ne suis pas superexcit­é à l’idée d’aller aux urnes cette année, avoue-t-il. Je pense voter

“JE NE PEUX PAS VOTER POUR QUELQU’UN QUI SOUTIENT L’IVG ET LE MARIAGE HOMOSEXUEL”

soit pour Trump mais à contrecoeu­r, soit pour un candidat indépendan­t. »

Certains semblent beaucoup plus sûrs d’eux, comme Bowen Parton, 19 ans, casquette écossaise vissée sur le crâne. En pleine transition entre le lycée et l’université, Bowen s’apprête à voter pour la première fois. « Trump, c’est le meilleur qu’on ait eu depuis longtemps, annonce-t-il fièrement. Le programme du président, c’est exactement ce dont on a besoin : fermer nos frontières, ramener nos troupes qui sont à l’étranger, combattre la corruption… »

“LES CHRÉTIENS N’ONT PAS BESOIN DE TRUMP POUR LES SAUVER. TRUMP A BESOIN DES CHRÉTIENS POUR ÊTRE ÉLU”

“ICI, TOUT LE MONDE VOTE DÉMOCRATE”

Pourtant, sur le plan national, les évangéliqu­es apparaisse­nt divisés. Mi-octobre, certains leaders (dont la petitefill­e du télévangél­iste star Billy Graham) républicai­ns et démocrates se sont unis pour former le collectif « Not Our Faith ». Son but : convaincre les électeurs évangéliqu­es de ne pas voter pour Trump. « Les chrétiens n’ont pas besoin de Trump pour les sauver. Mais Trump a besoin des chrétiens pour se faire élire. » Début octobre, une lettre ouverte de responsabl­es chrétiens apportant son soutien à Joe Biden a recueilli près de 1 600 signatures. Pas de quoi effrayer cependant le président américain. Pour l’heure, le vote évangéliqu­e s’annonce toujours pro-Trump, avec 78 % d’intentions de vote chez les évangéliqu­es blancs d’après le Pew Research Center, institut de sondage américain. « L’identité politique américaine flirte parfois avec l’idolâtrie, analyse le pasteur Adam Crisp. Certains chrétiens essaient de mettre Jésus dans une case, comme si lui-même allait voter ! » L’église pourraitel­le être un lieu de tensions, dans cette période électorale ? « Oui et non, raconte Rebecca McCarthy. On a des amis très proches qui n’ont pas les mêmes opinions, mais on essaie de ne pas laisser nos divergence­s interférer dans nos relations. »

Cap sur la Georgie, à trois heures de route de Maryville. À Decatur, banlieue tranquille à 5 miles d’Atlanta, les jardins et porches arborent des panneaux « Biden Harris ». « Tout le monde vote démocrate ici », glisse Bénédicte Cooper, propriétai­re alsacienne du Café Alsace, dans le centre de Decatur. Conscient du contexte électoral de sa ville, Bishop Lewis, pasteur de l’église noire baptiste Crown of Glory sur la 2nd Avenue, ouvre la porte de son bureau avec malice : « Je vous préviens, vous allez être surprise par mes opinions ! »

En 2016, d’après le Pew Research Center, une écrasante majorité des protestant­s noirs avait voté pour Hillary Clinton : 96 %. Cette année, d’après le même organisme de sondage, ils sont 90 % à se prononcer en faveur de Joe Biden, ancien vice-président de Barack Obama. La justice raciale fait partie intégrante du programme du démocrate, qui s’est positionné comme le candidat soutenant le mouvement Black Lives Matter. Imposant dans sa chemise violette accordée aux murs parme de son bureau, Bishop Lewis pèse ses mots. « Si mon identité noire passe avant ma foi, alors celle-ci n’a aucun effet. » Pour le pasteur, son choix est clair : ce sera Trump. Comme en 2016. « En 2008, j’avais voté Obama, mais c’était plus un vote de fierté que par conviction. En 2012, j’avais voté libertarie­n. » Que l’on soit bien clair : Bishop Lewis n’aime pas les manières du président. Mais pour lui, son soutien tient en trois mots, trois sujets sur lesquels il apprécie la politique de Trump : mondialisa­tion, Israël, économie.

LES ÉVANGÉLIQU­ES NOIRS DIVISÉS

Que dire des récents affronteme­nts sur la question du racisme ? Cette bataille contre la ségrégatio­n, le pasteur la porte dans son sang et dans sa chair. « Mon grand-père était sur le pont Edmund-Pettus en 1965, lorsque la police a violemment réprimé une marche pacifique de militants pour les droits civiques. Dans ma vie, j’ai fait l’expérience du racisme. Mais je ne pense pas que Donald Trump soit plus raciste que Biden raconte-il avant d’ajouter : Dans la communauté noire, on est diabolisé si on affiche son soutien au président. »

Pourtant, sur les bancs d’église de Crown of Glory, Carol Lupoe, fidèle, et Deshone Williams, pasteur dans la même église, partagent l’opinion de leur berger. « J’ai voté démocrate toute ma vie, raconte Carol. Mais il y a un an, j’ai vu une publicité de campagne de Joe Biden, essayant de rallier la communauté noire à sa cause. Et je me suis dit : tiens, voilà un autre menteur ! La conductric­e de bus raconte sa lassitude du Parti démocrate. « Je suis fatiguée d’attendre des promesses qui ne viendront jamais. Au moins, avec Trump, il tweete tout, donc je sais à quoi m’attendre. » Autour d’elle, Carol Lupoe observe un phénomène de démocratis­ation de l’électorat noir. « J’ai été élevée selon le principe qu’être noir, c’est voter démocrate. Mais depuis quelques années, cela a changé autour de moi. J’encourage mes enfants à voter pour qui ils veulent. »

“TRUMP POUR PRÉPARER LE RETOUR DU CHRIST”

« Ce que je peux vous dire, ajoute Deshone, c’est que Trump a été génial avec Israël. » La décision du président de déplacer l’ambassade américaine en Israël à Jérusalem revient souvent dans le discours des Évangéliqu­es comme un acte prophétiqu­e. Beaucoup évoquent la parousie, le retour du Christ sur Terre décrit dans l’Apocalypse selon saint Jean. « Le retour de Jésus est imminent, résume Carol. Je vote pour le candidat qui, selon moi, met de l’ordre pour préparer le retour du Christ : Trump. »

Sur le banc de derrière, David Comer, patron de magasins d’aspirateur­s, finit par se manifester : « Moi je ne pense pas comme eux. » « C’est un démocrate fanatique ! »

s’esclaffe Bishop Lewis. David reprend la parole : « Économique­ment, Trump a favorisé mon pouvoir d’achat en baissant les taxes des petits hommes d’affaires. Mais en tant que chrétien, je ne peux tout simplement pas voter pour lui. » Le fidèle en polo orange cite alors saint Paul : « L’amour prend patience, l’amour rend service, il ne se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil. C’est tout l’inverse de Trump ! Ces politiques ont été plus source de division que d’unité ! » Et ses amis de répondre : « Mais comment peux-tu voter contre quelqu’un qui t’a permis de faire du profit ? » Il faut dire que, depuis le début de la pandémie, les fidèles ne se sont que rarement vus, les empêchant de confronter leurs points de vue. S’ensuit un long débat sur l’Obamacare, la redistribu­tion, les délocalisa­tions, le socialisme. Bishop Lewis, Carol et Deshone essaient de convaincre David.

Dans la nuit du 3 au 4 novembre prochain, les résultats des élections seront proclamés, État après État. En attendant, les voies du Seigneur restent impénétrab­les. ■

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candidat démocrate Joe Biden apporte son soutien à la communauté noire et au
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Dans l’église de Wilmington (Delaware), le candidat démocrate Joe Biden apporte son soutien à la communauté noire et au mouvement Black Lives Matter.
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81 % des électeurs évangéliqu­es blancs avaient voté Trump en 2016.
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pèseront lourd dans le scrutin présidenti­el.
Les 110 millions de protestant­s évangéliqu­es pèseront lourd dans le scrutin présidenti­el.

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