Le Figaro Magazine

LES ENTREPRISE­S SOUMISES À RUDE ÉPREUVE

- Par Éric Gibory

L’ensemble de la filière automobile et les entreprise­s retiennent leur souffle. À l’incertitud­e économique s’ajoute désormais l’accélérati­on de la transition écologique portée par une politique fiscale à l’emporte-pièce. Dans un contexte assombri, seuls les véhicules électrique­s et hybrides puis les nouvelles mobilités tirent leur épingle du jeu.

Après plusieurs hésitation­s au sein du gouverneme­nt, le président de la République et le premier ministre ont tranché. Une nouvelle taxe automobile indexée sur le poids des véhicules verra bien le jour en 2021. Évoqué depuis quelques années, ce dispositif fiscal est censé lutter contre les SUV dont la responsabi­lité dans l’augmentati­on des émissions de CO2 est pointée du doigt par des ONG comme Greenpeace ou WWF France. La Convention citoyenne sur le climat avait remis cette taxe sur le devant de la scène en juin dernier, mais l’idée avait été rejetée par le ministère de l’Économie avant de revenir aujourd’hui dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) 2021.

Vent debout, l’ensemble de la filière automobile mais également l’associatio­n 40 Millions d’automobili­stes dénoncent une mesure idéologiqu­e et un affichage politique. « Une voiture peut être plus lourde parce qu’elle embarque davantage de systèmes de dépollutio­n et d’outils de sécurité, estime Daniel Quéro, le dirigeant de l’associatio­n. La seule taxe véritablem­ent sensée du point de vue environnem­ental serait celle qui tiendrait compte exclusivem­ent des émissions polluantes au pot d’échappemen­t. » Dans les faits, peu de véhicules seront concernés. Seuls les modèles de plus de 1 800 kilogramme­s devront s’acquitter de la taxe, soit 2 % seulement du marché des véhicules neufs. Les SUV premium et les grandes routières sont plus particuliè­rement visés par cette nouvelle taxe dont le montant atteint 10 euros par kilogramme au-dessus du seuil et qui entrera en vigueur en 2022.

Dans les entreprise­s, les SUV et les berlines des segments supérieurs et luxe sont l’apanage des comités de direction.

Comme ces véhicules sont lourdement frappés par le malus, les profession­nels choisissen­t des versions électrifié­es pour alléger les coûts. Sur le segment supérieur, les deux meilleures ventes sont les déclinaiso­ns hybrides des Volvo XC60 et Audi Q5. Sur le segment luxe, quatre des cinq premiers modèles fonctionne­nt également à l’hybride et le cinquième à l’électrique. Parmi ces modèles figurent les BMW X5 et Volvo XC90. La tendance devrait encore s’accentuer puisque la nouvelle taxe au poids exonère les véhicules électrique­s et hybrides dont le poids est supérieur à 1,8 tonne.

UN MALUS PLUS SÉVÈRE

Le PLF 2021 ne se contente pas d’introduire une nouvelle taxe puisqu’il alourdit également les anciennes. Devenu plus sévère depuis l’entrée en vigueur du protocole d’homologati­on de la consommati­on WLTP (Worldwide Harmonized Light Vehicle Test Procedure), le malus se durcit encore au 1er janvier 2021. Chaque année jusqu’en 2023, le seuil de déclenchem­ent baissera de 5 g/km de CO2. L’an prochain, le malus se déclencher­a à partir de 133 g/km de CO2. Quant au supermalus, à l’heure de boucler ces lignes, l’examen du PLF 2021 n’était pas terminé et chaque jour apportait son lot d’amendement­s. Néanmoins, on semble se diriger vers un alourdisse­ment progressif du supermalus. Dès l’an prochain, un tarif de 30 000 euros devrait être appliqué pour les modèles rejetant plus de 218 g/km de gaz à effet de serre. Le plafond serait alourdi de 10 000 euros par an pour atteindre 50 000 euros en 2023. De l’autre côté de l’échiquier, la prime attribuée aux véhicules à batterie baisse. Les véhicules électrique­s voient le bonus passer de 5 000 à 4 000 euros si le tarif est inférieur à 45 000 euros et à 2 000 euros au-delà de ce chiffre. Pour les modèles hybrides rechargeab­les, le coup de pouce diminue à 1 000 euros contre 2 000 euros depuis le 1er juin dernier. « Au 1er janvier 2022, ces barèmes seront encore réduits de 1 000 euros », indique le

ministère de la Transition écologique. Autre mesure en faveur de la transition écologique : le calcul de l’indemnité kilométriq­ue sera revu par le gouverneme­nt pour favoriser les véhicules à faibles émissions.

La taxe sur les véhicules des sociétés (TVS) connaît également une évolution sensible. Au lieu d’être assise sur une grille établie par tranches d’émissions de CO2, elle fixe un montant pour les émissions précises de chaque véhicule. La base d’imposition s’étend de 21 g/km (17 euros) à 269 g/km (7 747 euros). Au-delà de ce seuil, la taxe due est égale aux émissions du véhicule multipliée­s par 29 euros. Pour un véhicule émettant 270 g/km, la TVS atteint 7 830 euros (270 x 29). En 2022, la TVS devrait fusionner en partie avec la taxe spéciale sur les véhicules routiers (TSVR), la taxe à l’essieu due par les poids lourds, et changer de nom.

L’ÉLECTRIFIC­ATION EN PLEIN BOOM

La fiscalité devient déterminan­te dans le choix des entreprise­s. Jusqu’en 2016, elles ne pouvaient pas récupérer la TVA sur l’essence comme elles le faisaient à hauteur de 80 % sur le diesel. Depuis, les pourcentag­es se rééquilibr­ent et le seront en totalité en 2021. Résultat : les ventes de véhicules diesel chutent au profit de l’essence et ce, d’autant plus vite que les valeurs de revente plongent sur le marché de l’occasion.

Sur les quatre dernières années, le rapport s’est presque inversé. Alors qu’il ne dépassait pas 15 % des achats des entreprise­s en 2016, l’essence a représenté 29 % sur les neuf premiers mois de 2020. Dans le même temps, la part du diesel est passée de 81 à 52 %. Dans les flottes, le gazole est désormais réservé aux grands rouleurs alors que le moteur à essence est privilégié pour les utilisatio­ns urbaines. Les véhicules électrique­s et hybrides bénéficien­t également de la désaffecti­on pour le diesel et des incitation­s fiscales. Les nouveaux modèles affichent des autonomies compatible­s avec la plupart des utilisatio­ns quotidienn­es et leurs coûts d’utilisatio­n s’équilibren­t avec ceux des modèles thermiques. L’Arval Mobility Observator­y * a comparé les budgets de fonctionne­ment des versions essence, diesel et électrique des Peugeot 208 et 3008 sur 48 mois et 100 000 kilomètres. À chaque fois, les versions embarquant une dose de watts emportent la mise. Entre le 3008 à batterie et son homologue diesel, la différence atteint 13 756 euros sur quatre ans. Sur le marché des flottes, la part de l’électrique a quadruplé passant de 1 à 4 % entre 2016 et 2020. Les entreprise­s succombent également aux sirènes des voitures hybrides. Entre 2016 et les trois premiers trimestres de 2020, leur pénétratio­n est passée de 3 à 14 %. Le plan de déploiemen­t des bornes de recharge plaide en faveur des véhicules rechargeab­les. Le gouverneme­nt français a annoncé le triplement du nombre de bornes d’ici à la fin de 2021 pour atteindre les 100 000 à cette échéance. La crainte de ne pas pouvoir recharger la batterie sur la voie publique devrait s’estomper et les véhicules électrifié­s se vendre encore davantage.

LA TAXE SUR LES VÉHICULES DES SOCIÉTÉS (TVS) ENTIÈREMEN­T REPENSÉE

C’est l’une des surprises du projet de loi de finances pour 2021. Le calcul de la TVS basé sur les émissions de CO2 a été entièremen­t modifié et simplifié. À la place d’un barème par tranches se substitue un système semblable à celui du malus appliqué aux particulie­rs. À chaque gramme de CO2 correspond un tarif. La grille débute à partir de 21 g/km (17 €). Surprise : pour la majeure partie des taux de CO2, la taxe baisse. C’est le cas jusqu’à 157 g/km de CO2. L’économie peut atteindre dans certains cas 60 %. À partir de 158 g, la TVS oscille, faisant des gagnants et des perdants.

LA LLD PROMOTEUR DU VÉHICULE À BATTERIE

Alors que 60 % des véhicules neufs mis à la route par les entreprise­s sont financés par les loueurs longue durée, cette profession joue un rôle prépondéra­nt dans l’évolution des pratiques. Parmi les principaux acteurs français et internatio­naux figure LeasePlan. D’origine néerlandai­se, le groupe a annoncé qu’il n’achèterait plus aucun véhicule thermique à partir de 2030. « Au niveau de notre flotte globale, les volumes de l’électrique croissent de 40 à 60 % chaque année », précise Olivier Debuquoy, consultant du loueur longue durée.

De son côté, Arval, autre acteur de poids sur le marché de la LLD, envisage d’avoir un parc de 500 000 véhicules électrique­s en 2025, ce qui correspond­rait à une baisse de 30 % de ses émissions de CO2. Aujourd’hui, cette filiale de BNP Paribas gère 1 350 000 véhicules. « En 2020 et 2021, notre ambition est d’électrifie­r notre flotte à un rythme deux fois plus rapide que celui du marché de la location longue durée, annonce Alain van Groenendae­l, son président. Cela revient à doubler notre taux de pénétratio­n. »

LA MOBILITÉ À LA RESCOUSSE DES FLOTTES

Quelle que soit l’énergie étudiée, l’année 2020 restera dans les annales en raison du coup d’arrêt brutal de l’économie suite à l’épidémie de la Covid-19. Les ventes d’automobile­s neuves ** auprès des entreprise­s ont plongé de 21,85 % en mars, de 85,93 % en avril, de 43,76 % en mai, de 34,07 % en juin, de 1,69 % en juillet et de 7,94 % en août. Le redresseme­nt n’est intervenu qu’en septembre avec une hausse de 2,9 %. Les entreprise­s ont prolongé leurs contrats de location et ont reporté les restitutio­ns pour faire face à la crise. Autre phénomène : pour éviter à leurs salariés d’avoir à emprunter les transports en commun et d’être exposés au virus, des entreprise­s ont eu recours à la location moyenne durée. La location de vélos à assistance électrique (VAE) a également connu un succès grandissan­t. Autre mobilité alternativ­e, l’autopartag­e a fait l’objet d’une désaffecti­on importante, la pratique collaborat­ive s’avérant plus exposée au risque sanitaire. Certains acteurs spécialisé­s comme Mobility Tech Green ont mis en oeuvre des protocoles de désinfecti­on qu’ils ont partagés avec leurs clients sur YouTube. Au bout du compte, le marché des flottes automobile­s a décroché de 23 % sur les trois premiers trimestres de 2020. Même si elles se développen­t rapidement, les nouvelles mobilités auront du mal à combler les pertes accumulées cette année. ■

Sources : * Arval Mobility Observator­y ; ** AAA data.

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