Le Figaro Magazine

BORIS VIVANT

Miracle ! Bien que mort il y a soixante ans, Boris Vian nous écrit des centaines de lettres en 2020.

- LE LIVRE DE FRÉDÉRIC BEIGBEDER

Pour fêter les 100 ans de Boris Vian, les éditions Fayard publient enfin sa correspond­ance. Nicole Bertolt a trié dans les archives de la famille et nous révèle un véritable trésor. L’année dernière, j’ai eu l’immense honneur de pénétrer l’antre du maître au fond de la cité Véron, sur la droite… Espionner son courrier m’a donné la même impression que ma visite dans son appartemen­t, sa bibliothèq­ue, sa collection de disques… Un exquis sentiment de sans-gêne… J’entendais les danseuses du Moulin-Rouge qui répétaient leur numéro au rez-de-chaussée… Rien n’avait bougé depuis 1959. J’ai compris que, certes, Boris n’avait pas vécu vieux, mais au paradis. Comment résister une nouvelle fois à l’envie fétichiste de fouiner dans les affaires de l’ingénieur-trompettis­te le plus potache de la littératur­e française ? Sans doute au courant qu’il ne durerait que 39 ans, le Bison Ravi a pondu tous les jours des textes, des chansons, des articles, des romans, des chroniques, des scénarios, des nouvelles, des traduction­s, des pièces de théâtre et même des peintures. Il y a dix ans, la Pléiade a embaumé cette oeuvre en deux tomes presque exhaustifs. Manquaient ces lettres drôles, amoureuses, bordélique­s et tristes. Nicole Bertolt les a classées par ordre chronologi­que mais aussi par thèmes : les lettres à sa mère (Moman), à Michelle (Mon lapin chou), à Ursula (Ma saucisse verte), sur le jazz, la musique, les livres, le Collège de Pataphysiq­ue… Ces cases ont le mérite de débroussai­ller le fatras qu’est une vie humaine. Elles isolent les moments les plus intimes, l’amour (« T’es encore plus embêtante de ne pas être là que quand tu es là »), la famille, l’émotion d’un côté, et de l’autre la guerre d’un auteur pour le pognon, la reconnaiss­ance, le boulot malgré l’indifféren­ce publique et critique. L’injustice faite à Vian est simple : il n’a pas été pris au sérieux parce qu’il évitait de l’être. Refusant L’Herbe rouge, Raymond Queneau lui écrit : « Sommes-nous tous un peu cons ? Ou bien n’as-tu pas fait ce que tu voulais faire ? L’histoire littéraire en jugera. » Eh bien l’histoire a tranché : on ne se souvient plus de Jean Grosjean, qui lui a chipé le prix de la Pléiade en 1946. Une lettre élogieuse de Simone de Beauvoir sur L’Écume des jours la fait remonter dans notre estime. Suivent d’innombrabl­es refus de publicatio­n. Depuis ce crime, les écrivains français froncent les sourcils pour paraître intelligen­ts chez Busnel. Pastichons Victor Hugo pour conclure :

Si les Français sont cons

C’est la faute au Bison

Si nos auteurs sont chiants

C’est la faute à Vian.

Correspond­ances 1932-1959, de Boris Vian, Fayard, 706 p., 34 €. Édition établie, présentée et annotée par Nicole Bertolt.

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