JOURNAL D’UN FRUSTRÉ
★★ Journal particulier 1937, de Paul Léautaud, Mercure de France, 237 p., 18 €. Édition établie par Édith Silve.
En 1937, Léautaud a 65 ans et sa maîtresse, Marie Dormoy, 50. Avant elle, il a connu une passion houleuse et érotique avec Anne Cayssac, furie nymphomane d’une rare laideur, à l’hystérie légendaire, affectueusement surnommée « le Fléau » par l’écrivain. Marie Dormoy, chargée de taper le manuscrit de son Journal (elle le divisera en deux, le « littéraire » et le « particulier »), est différente : elle aime qu’on lui « fasse minette », mais guère plus, car l’acte de chair lui donne des battements de coeur et des maux de tête. C’est un être fragile, perpétuellement malade, dont on se demande comment elle a pu tomber amoureuse du vieil homme :
« Je n’avais pas prévu cela, cette bouche édentée, ces lèvres mouillées, ce menton mal rasé. » Sans parler de l’hygiène… Léautaud, perpétuellement frustré, devient fou, est jaloux de ses anciens amants, lui en invente de nouveaux, d’autant que « le Fléau » qu’il voit encore lui explique que sa nouvelle conquête est infidèle. Il l’appelle plusieurs fois par jour, va rôder sous ses fenêtres, lui écrit d’innombrables lettres de reproches, et lorsqu’il parvient à la mettre dans un lit, Léautaud n’a droit qu’à ses seins. Il lui reproche de ne pas être adepte des « polissonneries » qu’il aime tant et lui dit : « Tu es en bois. » Tout cela est très répétitif – il s’agit du journal d’un homme qui, toutes les deux pages, déplore que sa maîtresse se refuse à lui – et ne vaut pas le mythique premier volume (1917-1930) consacré au « Fléau », mais les inconditionnels de Léautaud ne rechigneront pas car son esprit est bien là :
« Nous parlons littérature, ce qui est bien le comble du néant passionnel entre deux amants. »