; LOCATION Les propriétaires délaissent Airbnb
La désertion des touristes et des réglementations toujours plus contraignantes ont mis à mal les finances des propriétaires qui passaient par des platesformes comme Airbnb.
Une année noire. « Le confinement généralisé a fragilisé beaucoup de propriétaires qui avaient investi dans des deux ou trois-pièces en centre-ville pour les louer à la nuitée ou à la semaine pendant les salons professionnels ou à des touristes de passage », confie Hervé Sayaque, directeur de Home Clef Properties à Cannes. La raison ? Ces derniers sont nombreux à avoir acheté leur logement à crédit en calibrant leurs mensualités d’emprunt sur les revenus – importants – qu’ils comptaient encaisser. Les deux mois sans possibilité de louer ont été catastrophiques pour leurs finances et, malgré une bonne saison estivale, l’avenir n’est pas rose. Car les nouvelles mesures de couvre-feu, doublées du spectre de la récession économique, n’incitent ni les ménages ni les entreprises à prévoir des escapades ou séminaires au soleil. Conséquence immédiate : dès septembre, beaucoup de meublés touristiques sont retournés sur le marché de la location traditionnelle, avec un bail de long terme. Cette tendance se retrouve aussi dans des grandes agglomérations, où la location meublée touristique n’a plus le vent en poupe. « Des propriétaires, qui avaient acheté à prix d’or des petites surfaces, alléchés par la perspective d’un rendement élevé, essaient désormais de les revendre, constate Nicolas Prado, directeur de l’agence Twist à Bordeaux. Avec l’effondrement du tourisme, ils ne louent pas autant que prévu. » Même constat dans l’hypercentre de Lyon et même celui de Paris. Il semble donc bien que la crise de la Covid-19 est en passe de réussir un exploit : mettre un coup d’arrêt à la location meublée touristique.
VÉRITABLE BUSINESS
En vogue depuis une dizaine d’années, ce type de location permettait à des propriétaires, à l’origine, de louer leur résidence principale quelques semaines à des touristes de passage. L’avantage pour eux : tirer des revenus de leur bien, inoccupé pendant leurs vacances. L’atout pour les locataires : un cadre moins impersonnel que celui d’un hôtel et des prix bien plus doux. À Paris, la location meublée touristique s’est peu à peu transformée en véritable business. Attirés par le prix très élevé des nuitées, de 80 à 150 € pour un deuxpièces bien situé, les investisseurs se sont rués sur les petites surfaces. L’exemple a fait boule de neige : séduits par une rentabilité incomparable et une fiscalité nettement plus douce (lire encadré), des bailleurs ont transformé des logements loués vides en meublés de courte durée. Un phénomène parti de Paris qui s’est développé à toute vitesse dans les grandes agglomérations – Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes et Nice en tête – et sur les côtes françaises (La Rochelle…).
RÉGLEMENTATIONS DURCIES
Face à la pénurie croissante de logements pour les actifs locaux, la mairie de Paris a été la première à réagir. Elle a imposé au fil du temps des règles de plus en plus strictes, et est, depuis deux ans, suivie par d’autres villes. Aujourd’hui, il n’y est pas possible de louer sa résidence principale en meublé touristique plus de 120 jours par an. Ce dernier doit aussi remplir un formulaire (à Bordeaux, dans le Pays basque, à Lyon, Nantes et Paris, notamment) pour obtenir un numéro d’enregistrement à faire obligatoirement figurer sur sa petite annonce. Il doit, de plus, collecter et reverser la taxe de séjour due par nuit et par locataire, les platesformes la récupérant pour leur compte s’il loue par leur intermédiaire.
Si le logement n’est pas la résidence principale du propriétaire, la règle des 120 jours ne s’applique pas. Mais, dans ce cas, des règlements locaux spécifiques doivent être respectés. À Paris, un propriétaire doit demander un changement d’usage pour le logement à la mairie (car la location en meublé touristique est une activité commerciale) et, en plus, faire de la « compensation », c’est-à-dire transformer un local commercial d’une surface équivalente (ou du double pour les arrondissements centraux) en local d’habitation. Des contraintes quasiment impossibles à respecter.
AVENIR SOMBRE
Plutôt que d’arrêter leur activité, un grand nombre de propriétaires se sont mis hors la loi. Erreur, car depuis bientôt trois ans, la mairie de Paris n’hésite plus à attaquer en justice. Et elle gagne ! Dernière victoire : le 22 septembre dernier, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a déclaré conformes au droit européen les réglementations locales sur les meublés touristiques, notamment imposées à Paris. « La Cour a répondu que de tels règlements n’entraient pas en contradiction avec la directive européenne sur la libre circulation des services, précise Sarah Bouët, avocate spécialisée en droit immobilier à Bordeaux. La décision est intéressante, car elle précise qu’il faut que ces règlements soient justifiés par un accès difficile au logement. » Une ville comme Paris, en flagrant déficit de logements, n’aura pas de mal à prouver cet état de fait. En revanche, cela pourrait ne pas être le cas dans d’autres agglomérations. En attendant une loi nationale, les tribunaux continuent de condamner les propriétaires fautifs. Les amendes peuvent atteindre 50 000 €, assorties d’astreintes journalières astronomiques, jusqu’à la régularisation. Les plates-formes sont aussi dans l’oeil du cyclone. Depuis le 1er décembre 2019, elles doivent fournir aux mairies qui en font la demande une liste des logements loués, avec leur adresse et leur numéro d’enregistrement, ainsi que le nombre de nuitées. Depuis le 1er janvier 2020, elles doivent aussi communiquer chaque année au fisc le décompte des sommes gagnées par les propriétaires. Bref, l’étau se resserre et le glas de la location meublée touristique pourrait même sonner si l’une des mesures proposée par les notaires lors de leur 116e congrès (octobre 2020) retenait l’attention du législateur. Ils demandent qu’en cas de procédure, ce soit au bailleur d’apporter la preuve de l’affectation du logement loué en meublé et non plus à la mairie, comme c’est le cas actuellement. « Cela aiderait grandement les villes à constater l’infraction des propriétaires », souligne Nathalie Couzigou-Suhas, notaire à Paris. Et enfoncerait une nouvelle épine dans les pieds des propriétaires. ■