Le Figaro Magazine

L’ÉDITORIAL

- Guillaume Roquette Directeur de la rédaction du Figaro Magazine groquette@lefigaro.fr @G_Roquette

de Guillaume Roquette

Et dire que Jacques Chirac voulait la faire entrer dans l’Europe ! La Turquie nous démontre chaque jour qu’elle est un des meilleurs ennemis de l’Occident. Son président, l’inquiétant Recep Tayyip Erdogan, ne se contente plus de nous menacer d’un déferlemen­t de migrants ou d’essayer de faire renaître un califat ottoman, il se considère désormais comme le commandant en chef de l’islam, pourfendan­t tous ceux qui, de Jérusalem à Paris, contrarien­t ses coreligion­naires. Sa dernière provocatio­n envers Emmanuel Macron (dont il remet en cause la santé mentale) peut prêter à sourire par son outrance, mais Erdogan dispose de nombreux relais en France. Il est très populaire auprès de ses concitoyen­s installés chez nous (les deux tiers ont voté pour lui aux dernières élections) et la moitié des 300 imams étrangers détachés sur le sol français sont turcs. On espère qu’ils ne sont pas trop imprégnés de ce poème cher au coeur de leur président : « Les minarets sont nos baïonnette­s, les coupoles nos casques, les mosquées sont nos casernes, les croyants nos soldats. »

Face aux menaces du néosultan, la fermeté apparaît comme la seule réponse possible. Les Américains l’ont prouvé en obtenant il y a deux ans la libération d’un pasteur grâce à des menaces de sanctions. Au lieu de courber l’échine devant Erdogan (les pourparler­s d’entrée dans l’Union ne sont toujours pas rompus !), l’Europe aurait tout intérêt à hausser le ton face à un pays économique­ment très fragile. Angela Merkel semble d’ailleurs l’avoir compris, malgré son souci de ne pas fâcher les quelque 3 millions de Turcs présents sur son sol : elle a condamné sans ambiguïté les insultes contre Emmanuel Macron. Une fermeté qui contraste avec la prudence dont elle faisait preuve cet été lors des provocatio­ns turques dans les eaux territoria­les grecques.

Nous autres Français avons longtemps fait preuve de la même faiblesse envers le régime d’Erdogan. En 2015 puis en 2017, ses dirigeants avaient pu organiser des meetings politiques géants sur notre territoire. Pire, ils ont pris le contrôle d’une large partie de l’islam hexagonal, jusqu’à la présidence du Conseil français du culte musulman durant deux ans. Les insultes dont nous sommes aujourd’hui l’objet prouvent combien cette soumission était contre-productive. Erdogan nous reproche d’être « islamophob­es » ? La belle affaire ! Ce n’est qu’un prétexte pour essayer de maintenir son influence sur les mosquées de l’Hexagone. S’il se préoccupai­t vraiment du sort des musulmans, il dénoncerai­t avec la même vigueur les persécutio­ns (bien réelles celles-là) que la Chine fait subir aux population­s ouïgoures. Mais là, pas une protestati­on, encore moins de boycott. Il est vrai que la Chine investit massivemen­t dans les pays musulmans, en Turquie, au Moyen-Orient et en Afrique. Et puis, entre régimes autoritair­es qui ne respectent pas les droits de l’homme, il faut se serrer les coudes, surtout contre les méchants Occidentau­x amis des États-Unis et d’Israël. Finalement, les provocatio­ns turques ont peut-être du bon : elles nous obligent à être moins naïfs.

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