UN MORAL D’ACIER
Le dressing masculin a bien changé, les montres aussi. Une vague d’acier déferle actuellement sur tous les poignets. Explications.
Le dressing masculin change, les montres aussi
Au commencement était le cuir. Mais désormais, l’heure est à l’acier. Du boîtier jusqu’au moindre maillon du bracelet, les garde-temps sont passés au métal. Pas du jour au lendemain, bien sûr, mais tout aussi irrémédiablement que le virage de la montrebracelet, guerre oblige, a fait disparaître celles portées au gousset. Même si, sous l’influence du style à la Peaky Blinders, le gilet et la casquette font un retour en force, ce n’est pas encore au point de réimposer massivement les montres de poche au quotidien. L’acier, en revanche, représenterait la grande majorité des exportations des montres Swiss made à travers le monde. À elle seule, la marque à la couronne, Rolex, en est largement responsable, ayant contribué avec quelques autres telles que Blancpain à métamorphoser des instruments de mesure à vocation professionnelle en objets de style atemporels. Car la vague des montres tout acier, en général avec bracelet en métal intégré au boîtier pour un look plus abouti, ne remonte pas à hier. Au-delà de la déferlante Rolex, un duo de créations des années 1970, toutes deux signées Gérald Genta, le Picasso des montres, a posé à lui seul ce que sont devenues les règles non écrites d’une montre sport chic réussie : la Royak Oak d’Audemars Piguet, déclinée avec succès en Offshore, et la Nautilus de Patek Philippe. Un style à la fois détendu et élégant, de l’acier à prix d’or, et un bracelet en métal indissociable de la boîte d’un point de vue stylistique. Sans pour autant avoir à s’inscrire dans la lignée de ces deux pièces cultes, aucune marque ne saurait aujourd’hui se passer de proposer un modèle casual entièrement en métal. De l’ultraélégante Octo Finissimo de Bulgari à l’Ingenieur d’IWC ou à la Monaco de TAG Heuer ou l’Alpine Eagle de Chopard récemment réincarnée, sans oublier la surprenante Odysseus dévoilée par A. Lange & Söhne, la BR05 de Bell & Ross ou la dernière venue, la Highlife de Frédérique
Constant, toutes ont désormais un moral d’acier. Voire de titane, quand il s’agit de marquer les 40 ans de Hublot avec une Big Bang Integral faisant exceptionnellement fi de l’habituelle fusion entre métal et caoutchouc, qui est pourtant sa signature design, son leitmotiv depuis des décennies.
Pourquoi ce bouleversement du style horloger, avec un bracelet en cuir de moins en moins porté, et des mailles en métal omniprésentes ? Le côté prêt à tout affronter du look sport chic y est pour beaucoup. Inutile de se soucier de changer de montre au fil de la journée voire de la semaine, de devoir régulièrement changer son bracelet en cuir dévoré par le soleil, l’eau et le contact de la peau. Les maillons d’acier, eux, traverseront le temps, quitte à faire l’objet d’un léger polissage en cas de choc trop violent. Mais plus encore, c’est le vestiaire masculin qui s’est métamorphosé, lentement mais sûrement. Qui aurait imaginé, il y a encore quelques années, voir des cadres, dirigeants ou non, venir au bureau en panoplie jean baskets, hormis Steve Jobs ? La tendance des sneakers de mode ne cesse de se répandre, des Veja écorespectueuses aux « drops » en édition limitée des plus grandes marques. Et le sport, souvent, de l’emporter sur le chic, parfois dans une fuite en avant jeuniste, à la poursuite d’une décennie dont, on ne fait plus partie.
TAILLÉ POUR AFFRONTER LA JUNGLE URBAINE
Les grandes victimes de cette métamorphose masculine, alors qu’au fond le style habillé n’avait guère changé depuis un petit siècle : le costume (plus encore trois pièces) et la cravate. La chemise fait encore de la résistance, en bleu comme en blanc, mais le style habillé semble avoir déserté les couloirs des métros comme ceux des entreprises. À look résolument casual, montre tout aussi sport chic, et donc en acier. Le bracelet en cuir n’aura ainsi été que le dommage collatéral d’un changement d’air, sinon d’ère. Le métal a remporté la guerre du poignet, avec toutes les bonnes raisons du monde. D’abord, son côté discret et passe-partout, tout sauf ostentatoire quand il s’agit de porter un garde
temps au quotidien, au bureau, en soirée comme en vacances. Sa solidité, quand il s’agit d’affronter la jungle urbaine comme un confinement, joue également, de même que la dimension hypoallergénique du métal du boîtier comme des maillons du bracelet qui font toute l’harmonie d’une belle montre. L’acier 316L, à faible teneur en carbone et donc inoxydable, règne en maître sur cet univers casual. Chopard, quant à lui, a récemment développé pour son Alpine Eagle un nouvel alliage d’acier fondu deux fois, baptisé Lucent Steel A223. Présenté comme moitié plus résistant à l’abrasion que les aciers classiques, il est aussi antiallergique, comparable en cela à l’acier chirurgical.
LE VERT A LE VENT EN POUPE
Mais alors, comment se différencier si tous les poignets, ou presque, sont passés à l’acier ? En personnalisant la couleur et la finition des cadrans, bien sûr ! À chacun sa religion horlogère. Souvent, le goût masculin penche vers un fond bleu, malgré un amour de la couleur vive plus souvent affirmé qu’affiché. Le cadran blanc fait ressortir l’élégance de la forme d’un boîtier, l’intégration réussie des mailles du bracelet en métal à la boîte. Le fond noir, lui, ajoute une touche habillée à des garde-temps à l’ADN sportif, sans en dénaturer le design. Et la couleur, la vraie, celle ajoutant une touche non pas de classicisme mais d’originalité ? Il en existe une infinité, même si le vert fait partie de celles ayant le vent en poupe depuis quelques mois déjà.
Mais la star du millésime horloger 2020, en la matière, sera sans aucun doute la Rolex Oyster Perpetual. Cette année, en plus de deux nouveaux mouvements, elle prend des couleurs. À des modèles en finition soleil argenté, bleu vif ou noir, s’ajoutent cinq cadrans laqués taillés pour les victimes de la mode : candy rose, turquoise, vert, jaune et rouge corail. Ajoutez à cela des prix démarrant à 4 750 € pour la version 28 mm, la Rolex la plus abordable du moment. Différents diamètres, des cadrans colorés et deux nouveaux mouvements : voilà de quoi détourner le regard des pièces de seconde main. Il faudra bien le nouvel écrin peaufiné pour la marque par la maison Dubail, qui doit ouvrir ses portes fin novembre sur les Champs-Élysées, pour répondre à l’engouement que ces montres vont immanquablement susciter. ■
La couleur du cadran, nouvelle arme de séduction massive des garde-temps sport chic