“NOTRE COHÉSION NATIONALE EST EN TRÈS GRAND DANGER”
Face au terrorisme islamiste, « le paradoxe serait que la France succombe, entravée par ses propres valeurs », estime l’avocat.
Après l’attentat de Nice, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a affirmé sur RTL : « Nous sommes en guerre contre l’idéologie islamiste. » Menons-nous cette guerre avec les moyens appropriés ?
Conceptualiser à haute voix le fait que nous sommes attaqués par une idéologie, l’islamisme, qui vise à conquérir le monde et en particulier la France, est déjà un progrès réel ! Pendant longtemps les politiques et de nombreux leaders d’opinion n’ont pas compris que le terrorisme islamiste n’était qu’un mode opératoire à des fins politiques. Aujourd’hui, on a enfin compris que l’islamisme est une doctrine politique. Il existe deux voies pour la promouvoir : celle de la terreur d’une part, et une autre voie, empruntée par les associations islamistes et soutenue de fait par les politiques, qui vont, pour des raisons d’opportunités locales ou nationales, tenir sur l’islam des propos ambigus. Elle utilise nos institutions et nos règles de droit pour les retourner contre nous et nous dominer. C’est ce que j’appelle « le judo des valeurs » dans mon livre *.
La France est-elle suffisamment armée pour lutter contre l’islamisme ?
Nous n’y arriverons qu’au prix d’un changement de logiciel intellectuel. Juridiquement, la France a les moyens mais se heurte à trois obstacles.
Le premier d’entre eux, c’est la volonté politique d’appliquer les lois. Elle est trop souvent absente. Je vous donne un seul exemple : nous avons, dans notre arsenal, la possibilité d’expulser des étrangers en urgence absolue en cas de risque de trouble grave à l’ordre public. C’est une procédure encore trop rarement utilisée, même s’il y a du mieux depuis quelques mois. Je cite dans mon livre un rapport de la Cour des comptes de 2018 dont la conclusion est claire : seuls 15 % des étrangers en situation irrégulière sur le territoire sont expulsés !
En pratique cela veut dire que 85 % des étrangers qui entrent en France et qui se retrouvent, d’une manière ou d’une autre, en situation irrégulière, y restent. Deuxième obstacle : nous avons des corps intermédiaires qui pèchent beaucoup trop souvent par une forme de naïveté induite par un manque de culture sur la question islamiste. Je pense à certains magistrats, aux positions d’organismes comme le Conseil d’État, parfois la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel, et la Cour européenne des droits de l’homme. Sur les questions dont ils sont saisis en rapport avec les projets de sécurité du gouvernement, pas seulement français d’ailleurs dans le cas de la CEDH. Ces corps intermédiaires sont souvent en décalage avec la nécessité opérationnelle et affaiblissent de fait la capacité des États à protéger leurs populations. L’année dernière, Place Beauvau, l’un des proches collaborateurs du ministre de l’Intérieur de l’époque, Christophe Castaner, se lamentait en me disant que l’Intérieur était le ministère du « c’est pas possible » : chaque fois qu’ils avaient un projet, on leur expliquait que ce n’était pas possible. Il faut responsabiliser ces corps intermédiaires. Ils ont un rôle crucial dans le combat pour la survie de notre démocratie.
Et le troisième obstacle ? L’ampleur de la menace est telle que les moyens humains et techniques dont nous disposons, je pense aux services de renseignement, malgré d’énormes efforts faits depuis 2015, sont insuffisants. Nous attendons un tsunami avec des sacs de sable sur la plage ! La vague est plus haute que la barrière que nous installons. C’est un problème structurel qui m’amène à prôner vigoureusement un recentrage de l’État sur ses fondamentaux : il faut massivement augmenter les budgets régaliens : l’intérieur, la justice, les armées, l’enseignement, les affaires étrangères et la santé.
On a l’impression que le gouvernement refuse de faire le lien entre l’immigration massive et le développement de l’islamisme radical.
Il y a un lien, évident, factuel, entre les vagues d’immigration successives depuis quelques décennies et le développement de l’islamisme sur le territoire français, puisqu’une partie importante de la population immigrée est de culture musulmane, dont l’islamisme est une dérive politique. On ne pourra pas faire l’économie de la question de l’immigration dans le débat général de la lutte contre l’islamisme. Mais on ne peut pas reprocher à Emmanuel Macron de ne pas avoir parlé d’immigration dans son discours des Mureaux, en octobre dernier. C’est un mauvais procès. Il y avait un besoin impérieux d’un discours très précis sur la lutte contre l’islamisme. Ce discours était attendu depuis tellement longtemps que certains se désespéraient de ne pas l’entendre. Maintenant, il y a enfin un projet de loi à l’horizon. Sous réserve du texte final, tout ce qui y est annoncé, notamment la lutte contre les associations, est absolument crucial. C’est donc normal qu’il y ait un texte autonome sur l’islamisme. Mais cela n’empêche pas de constater les problèmes posés par l’immigration en ce qui concerne le développement de l’islamisme sur le territoire français et d’en tirer les conséquences. Je vais vous raconter une anecdote. Quand Gérard Collomb est arrivé Place Beauvau, en 2017, il a réuni un certain nombre d’acteurs du renseignement et de la police pour leur demander une idée d’initiative spectaculaire qu’Emmanuel Macron pourrait prendre pour son premier Conseil européen. L’un des présents a suggéré, dans le cadre de Frontex, donc au niveau européen, le déploiement des flottes de guerre européennes pour faire tampon, comme en Australie, afin que les bateaux des migrants soient raccompagnés à leur point de départ. Le ministre de l’Intérieur a répondu : c’est invendable politiquement ! Cette anecdote illustre l’impuissance des politiques et la nécessité du changement de logiciel.
Ce changement de logiciel concerne-t-il aussi le Conseil constitutionnel ? Dans « Le Figaro », son président, Laurent Fabius estimait qu’on pouvait « défendre la liberté sans faire preuve de naïveté ».
Évidemment que ça concerne aussi le Conseil constitutionnel. Défendre la liberté sans faire preuve de naïveté ? Je dis chiche ! Montrez-le ! Prouvez-le dans les mois qui viennent. Mais j’ai quand même des doutes quand je vois la façon dont le texte de loi sur la rétention de sûreté a été rejeté. Dans les semaines et les mois qui viennent, il y aura de nombreuses occasions, à commencer par la loi sur les séparatismes. La multiplication, inéluctable, des attentats va conduire le gouvernement à prendre des dispositions plus fermes. Ce sera intéressant de voir comment le Conseil constitutionnel réagira. Le point d’équilibre est compliqué, je le reconnais, mais une démocratie a le droit de se défendre. Le paradoxe serait que la France succombe, entravée par ses propres valeurs. Ça me serait insupportable.
Faut-il, comme le demandent des politiques, une législation d’exception ?
Il faut avant tout que l’exécutif applique nos lois sans état d’âme et que les corps intermédiaires précités les interprètent avec réalisme dans l’intérêt fondamental de la République.
Pensez-vous que les Français sont prêts à moins de liberté pour se protéger ?
C’est un faux débat. La liberté n’a de sens que si l’on est en sécurité pour l’exercer. La sécurité est la première des libertés. Si demain on abolissait intégralement les mesures de sécurité dans les avions, si l’on pouvait entrer dans un avion comme dans un autobus, qui prendrait encore l’avion ? La sécurité est la première des exigences de la pyramide de Maslow, il ne faut jamais l’oublier. Entre Conflans et Nice, on en est à deux décapitations en quinze jours. C’est un rythme que le pays ne supportera pas longtemps.
Le terroriste qui a tué Samuel Paty a adressé un message « du serviteur d’Allah à Macron, le dirigeant des infidèles ». Plus que la République laïque, n’est-ce pas la France catholique qui est visée ?
Les deux propositions sont vraies. Le discours d’Erdogan le montre. Mais beaucoup de ceux qui considèrent que la France est attaquée à cause de sa laïcité occultent cette dimension de la place historique de la nation française. La France a été la fille aînée de l’Église.
Nous attendons un tsunami avec des sacs de sable sur la plage. La vague
est plus haute que la barrière que
nous installons
Nous avons des racines gréco-latines, une tradition judéo-chrétienne. Nous constituons dès lors pour les islamistes à la fois une cible symbolique formidable, mais aussi opérationnellement atteignable, du fait de l’importance de notre population musulmane dont une fraction significative est séduite par l’islamisme.
Faut-il fermer les frontières ?
Il n’y a aucun droit à l’immigration. Il est parfaitement légitime de choisir qui l’on veut accueillir en fonction d’intérêts nationaux. Sur ces questions il faut remettre les priorités en place. Il faut du courage politique. Mais la réponse ne peut être qu’européenne. Ainsi, si le droit d’asile doit bien sûr demeurer, je propose d’en revoir les modalités. Je prône l’existence de zones d’attente sur le territoire européen dans lesquelles on ferait patienter les demandeurs. Ils auraient accès aux soins et aux modes de communication, mais ne pourraient sortir du périmètre. Si la demande d’asile était acceptée, ils pourraient entrer sur le territoire européen. Si elle était refusée, ils seraient automatiquement renvoyés. Nous avons tous les outils pour faire pression sur les pays de départ avec le double levier des aides financières et des visas. Il faut absolument, sans fausse pudeur, conditionner les aides et les visas à une acceptation par les pays d’origine de récupérer leurs ressortissants expulsés.
Le ministre de l’Intérieur a annoncé l’expulsion de 231 étrangers, suivis pour soupçon de radicalisation. Est-ce suffisant ?
Il y a une contradiction que je ne comprends pas : Gérald Darmanin a annoncé qu’il y avait 4 111 étrangers inscrits au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), dont 851 sont en situation irrégulière. Ces personnes présentent un risque terroriste. Alors que font-elles encore sur le territoire national ? La loi permet une expulsion immédiate puisqu’il y a un trouble à l’ordre public ! À peine cinq jours après l’attentat contre Samuel Paty, des voix se sont élevées pour prévenir contre l’islamophobie…
On aurait pu penser que l’assassinat atroce de Samuel Paty fasse bouger les lignes. Notamment parce que c’est la première fois qu’un professeur est tué pour avoir fait son métier, mais aussi qu’on applique la charia en fin d’après-midi dans une rue française. On a également très vite su que cet acte était la conséquence d’une pression d’individus islamisés auprès du lycée, relayée par des associations islamistes. Ainsi, il apparaissait pour la première fois de façon évidente un lien direct entre ces associations islamistes, qui ne prônent pas ouvertement la violence, et le passage à l’acte. Mais l’une des méthodes de conquête des islamistes, c’est de tenter de nous paralyser sur la dénonciation de ce qu’ils sont et passé l’émotion, ce discours est assez
On ne pourra pas faire l’économie de la question de l’immigration dans le débat général de la lutte contre l’islamisme
vite réapparu dans les médias. Les islamistes ont inventé le terme « islamophobie » pour, sous couvert d’un prétendu racisme antimusulman (qui existe par ailleurs et est punissable en France), empêcher la critique de l’islamisme politique et de la religion musulmane. Or en France, on a parfaitement le droit de critiquer les religions. Le terme « islamophobie » constitue ainsi une cible posée par les islamistes dans le dos des personnalités qui, ayant compris leur logique de conquête, les combattent dans le débat public. Les ambiguïtés récurrentes de partis politiques comme LFI, mais aussi EELV ou le PCF, dans leur rapport à cette question sont très inquiétantes pour l’avenir. Je regrette également le silence assourdissant des sportifs et des artistes, qui constituent un relais d’opinion dans la société française, notamment auprès des jeunes. On les a beaucoup entendus, avec énormément de bêtises d’ailleurs, sur la question du comportement de la police, mais sur la question islamiste, on ne les entend jamais. La montée au créneau des footballeurs professionnels ou des artistes issus de la communauté musulmane, ne serait-ce que pour dénoncer les attentats islamistes, et idéalement l’islamisme politique qui est derrière, constituerait un soutien bienvenu dans le contre-discours. Il faut avoir conscience de ce que notre cohésion nationale est aujourd’hui en très grand danger. ■