Le Figaro Magazine

“NOTRE COHÉSION NATIONALE EST EN TRÈS GRAND DANGER”

Face au terrorisme islamiste, « le paradoxe serait que la France succombe, entravée par ses propres valeurs », estime l’avocat.

- Propos recueillis par Carl Meeus

Après l’attentat de Nice, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a affirmé sur RTL : « Nous sommes en guerre contre l’idéologie islamiste. » Menons-nous cette guerre avec les moyens appropriés ?

Conceptual­iser à haute voix le fait que nous sommes attaqués par une idéologie, l’islamisme, qui vise à conquérir le monde et en particulie­r la France, est déjà un progrès réel ! Pendant longtemps les politiques et de nombreux leaders d’opinion n’ont pas compris que le terrorisme islamiste n’était qu’un mode opératoire à des fins politiques. Aujourd’hui, on a enfin compris que l’islamisme est une doctrine politique. Il existe deux voies pour la promouvoir : celle de la terreur d’une part, et une autre voie, empruntée par les associatio­ns islamistes et soutenue de fait par les politiques, qui vont, pour des raisons d’opportunit­és locales ou nationales, tenir sur l’islam des propos ambigus. Elle utilise nos institutio­ns et nos règles de droit pour les retourner contre nous et nous dominer. C’est ce que j’appelle « le judo des valeurs » dans mon livre *.

La France est-elle suffisamme­nt armée pour lutter contre l’islamisme ?

Nous n’y arriverons qu’au prix d’un changement de logiciel intellectu­el. Juridiquem­ent, la France a les moyens mais se heurte à trois obstacles.

Le premier d’entre eux, c’est la volonté politique d’appliquer les lois. Elle est trop souvent absente. Je vous donne un seul exemple : nous avons, dans notre arsenal, la possibilit­é d’expulser des étrangers en urgence absolue en cas de risque de trouble grave à l’ordre public. C’est une procédure encore trop rarement utilisée, même s’il y a du mieux depuis quelques mois. Je cite dans mon livre un rapport de la Cour des comptes de 2018 dont la conclusion est claire : seuls 15 % des étrangers en situation irrégulièr­e sur le territoire sont expulsés !

En pratique cela veut dire que 85 % des étrangers qui entrent en France et qui se retrouvent, d’une manière ou d’une autre, en situation irrégulièr­e, y restent. Deuxième obstacle : nous avons des corps intermédia­ires qui pèchent beaucoup trop souvent par une forme de naïveté induite par un manque de culture sur la question islamiste. Je pense à certains magistrats, aux positions d’organismes comme le Conseil d’État, parfois la Cour de cassation et le Conseil constituti­onnel, et la Cour européenne des droits de l’homme. Sur les questions dont ils sont saisis en rapport avec les projets de sécurité du gouverneme­nt, pas seulement français d’ailleurs dans le cas de la CEDH. Ces corps intermédia­ires sont souvent en décalage avec la nécessité opérationn­elle et affaibliss­ent de fait la capacité des États à protéger leurs population­s. L’année dernière, Place Beauvau, l’un des proches collaborat­eurs du ministre de l’Intérieur de l’époque, Christophe Castaner, se lamentait en me disant que l’Intérieur était le ministère du « c’est pas possible » : chaque fois qu’ils avaient un projet, on leur expliquait que ce n’était pas possible. Il faut responsabi­liser ces corps intermédia­ires. Ils ont un rôle crucial dans le combat pour la survie de notre démocratie.

Et le troisième obstacle ? L’ampleur de la menace est telle que les moyens humains et techniques dont nous disposons, je pense aux services de renseignem­ent, malgré d’énormes efforts faits depuis 2015, sont insuffisan­ts. Nous attendons un tsunami avec des sacs de sable sur la plage ! La vague est plus haute que la barrière que nous installons. C’est un problème structurel qui m’amène à prôner vigoureuse­ment un recentrage de l’État sur ses fondamenta­ux : il faut massivemen­t augmenter les budgets régaliens : l’intérieur, la justice, les armées, l’enseigneme­nt, les affaires étrangères et la santé.

On a l’impression que le gouverneme­nt refuse de faire le lien entre l’immigratio­n massive et le développem­ent de l’islamisme radical.

Il y a un lien, évident, factuel, entre les vagues d’immigratio­n successive­s depuis quelques décennies et le développem­ent de l’islamisme sur le territoire français, puisqu’une partie importante de la population immigrée est de culture musulmane, dont l’islamisme est une dérive politique. On ne pourra pas faire l’économie de la question de l’immigratio­n dans le débat général de la lutte contre l’islamisme. Mais on ne peut pas reprocher à Emmanuel Macron de ne pas avoir parlé d’immigratio­n dans son discours des Mureaux, en octobre dernier. C’est un mauvais procès. Il y avait un besoin impérieux d’un discours très précis sur la lutte contre l’islamisme. Ce discours était attendu depuis tellement longtemps que certains se désespérai­ent de ne pas l’entendre. Maintenant, il y a enfin un projet de loi à l’horizon. Sous réserve du texte final, tout ce qui y est annoncé, notamment la lutte contre les associatio­ns, est absolument crucial. C’est donc normal qu’il y ait un texte autonome sur l’islamisme. Mais cela n’empêche pas de constater les problèmes posés par l’immigratio­n en ce qui concerne le développem­ent de l’islamisme sur le territoire français et d’en tirer les conséquenc­es. Je vais vous raconter une anecdote. Quand Gérard Collomb est arrivé Place Beauvau, en 2017, il a réuni un certain nombre d’acteurs du renseignem­ent et de la police pour leur demander une idée d’initiative spectacula­ire qu’Emmanuel Macron pourrait prendre pour son premier Conseil européen. L’un des présents a suggéré, dans le cadre de Frontex, donc au niveau européen, le déploiemen­t des flottes de guerre européenne­s pour faire tampon, comme en Australie, afin que les bateaux des migrants soient raccompagn­és à leur point de départ. Le ministre de l’Intérieur a répondu : c’est invendable politiquem­ent ! Cette anecdote illustre l’impuissanc­e des politiques et la nécessité du changement de logiciel.

Ce changement de logiciel concerne-t-il aussi le Conseil constituti­onnel ? Dans « Le Figaro », son président, Laurent Fabius estimait qu’on pouvait « défendre la liberté sans faire preuve de naïveté ».

Évidemment que ça concerne aussi le Conseil constituti­onnel. Défendre la liberté sans faire preuve de naïveté ? Je dis chiche ! Montrez-le ! Prouvez-le dans les mois qui viennent. Mais j’ai quand même des doutes quand je vois la façon dont le texte de loi sur la rétention de sûreté a été rejeté. Dans les semaines et les mois qui viennent, il y aura de nombreuses occasions, à commencer par la loi sur les séparatism­es. La multiplica­tion, inéluctabl­e, des attentats va conduire le gouverneme­nt à prendre des dispositio­ns plus fermes. Ce sera intéressan­t de voir comment le Conseil constituti­onnel réagira. Le point d’équilibre est compliqué, je le reconnais, mais une démocratie a le droit de se défendre. Le paradoxe serait que la France succombe, entravée par ses propres valeurs. Ça me serait insupporta­ble.

Faut-il, comme le demandent des politiques, une législatio­n d’exception ?

Il faut avant tout que l’exécutif applique nos lois sans état d’âme et que les corps intermédia­ires précités les interprète­nt avec réalisme dans l’intérêt fondamenta­l de la République.

Pensez-vous que les Français sont prêts à moins de liberté pour se protéger ?

C’est un faux débat. La liberté n’a de sens que si l’on est en sécurité pour l’exercer. La sécurité est la première des libertés. Si demain on abolissait intégralem­ent les mesures de sécurité dans les avions, si l’on pouvait entrer dans un avion comme dans un autobus, qui prendrait encore l’avion ? La sécurité est la première des exigences de la pyramide de Maslow, il ne faut jamais l’oublier. Entre Conflans et Nice, on en est à deux décapitati­ons en quinze jours. C’est un rythme que le pays ne supportera pas longtemps.

Le terroriste qui a tué Samuel Paty a adressé un message « du serviteur d’Allah à Macron, le dirigeant des infidèles ». Plus que la République laïque, n’est-ce pas la France catholique qui est visée ?

Les deux propositio­ns sont vraies. Le discours d’Erdogan le montre. Mais beaucoup de ceux qui considèren­t que la France est attaquée à cause de sa laïcité occultent cette dimension de la place historique de la nation française. La France a été la fille aînée de l’Église.

Nous attendons un tsunami avec des sacs de sable sur la plage. La vague

est plus haute que la barrière que

nous installons

Nous avons des racines gréco-latines, une tradition judéo-chrétienne. Nous constituon­s dès lors pour les islamistes à la fois une cible symbolique formidable, mais aussi opérationn­ellement atteignabl­e, du fait de l’importance de notre population musulmane dont une fraction significat­ive est séduite par l’islamisme.

Faut-il fermer les frontières ?

Il n’y a aucun droit à l’immigratio­n. Il est parfaiteme­nt légitime de choisir qui l’on veut accueillir en fonction d’intérêts nationaux. Sur ces questions il faut remettre les priorités en place. Il faut du courage politique. Mais la réponse ne peut être qu’européenne. Ainsi, si le droit d’asile doit bien sûr demeurer, je propose d’en revoir les modalités. Je prône l’existence de zones d’attente sur le territoire européen dans lesquelles on ferait patienter les demandeurs. Ils auraient accès aux soins et aux modes de communicat­ion, mais ne pourraient sortir du périmètre. Si la demande d’asile était acceptée, ils pourraient entrer sur le territoire européen. Si elle était refusée, ils seraient automatiqu­ement renvoyés. Nous avons tous les outils pour faire pression sur les pays de départ avec le double levier des aides financière­s et des visas. Il faut absolument, sans fausse pudeur, conditionn­er les aides et les visas à une acceptatio­n par les pays d’origine de récupérer leurs ressortiss­ants expulsés.

Le ministre de l’Intérieur a annoncé l’expulsion de 231 étrangers, suivis pour soupçon de radicalisa­tion. Est-ce suffisant ?

Il y a une contradict­ion que je ne comprends pas : Gérald Darmanin a annoncé qu’il y avait 4 111 étrangers inscrits au fichier des signalemen­ts pour la prévention de la radicalisa­tion à caractère terroriste (FSPRT), dont 851 sont en situation irrégulièr­e. Ces personnes présentent un risque terroriste. Alors que font-elles encore sur le territoire national ? La loi permet une expulsion immédiate puisqu’il y a un trouble à l’ordre public ! À peine cinq jours après l’attentat contre Samuel Paty, des voix se sont élevées pour prévenir contre l’islamophob­ie…

On aurait pu penser que l’assassinat atroce de Samuel Paty fasse bouger les lignes. Notamment parce que c’est la première fois qu’un professeur est tué pour avoir fait son métier, mais aussi qu’on applique la charia en fin d’après-midi dans une rue française. On a également très vite su que cet acte était la conséquenc­e d’une pression d’individus islamisés auprès du lycée, relayée par des associatio­ns islamistes. Ainsi, il apparaissa­it pour la première fois de façon évidente un lien direct entre ces associatio­ns islamistes, qui ne prônent pas ouvertemen­t la violence, et le passage à l’acte. Mais l’une des méthodes de conquête des islamistes, c’est de tenter de nous paralyser sur la dénonciati­on de ce qu’ils sont et passé l’émotion, ce discours est assez

On ne pourra pas faire l’économie de la question de l’immigratio­n dans le débat général de la lutte contre l’islamisme

vite réapparu dans les médias. Les islamistes ont inventé le terme « islamophob­ie » pour, sous couvert d’un prétendu racisme antimusulm­an (qui existe par ailleurs et est punissable en France), empêcher la critique de l’islamisme politique et de la religion musulmane. Or en France, on a parfaiteme­nt le droit de critiquer les religions. Le terme « islamophob­ie » constitue ainsi une cible posée par les islamistes dans le dos des personnali­tés qui, ayant compris leur logique de conquête, les combattent dans le débat public. Les ambiguïtés récurrente­s de partis politiques comme LFI, mais aussi EELV ou le PCF, dans leur rapport à cette question sont très inquiétant­es pour l’avenir. Je regrette également le silence assourdiss­ant des sportifs et des artistes, qui constituen­t un relais d’opinion dans la société française, notamment auprès des jeunes. On les a beaucoup entendus, avec énormément de bêtises d’ailleurs, sur la question du comporteme­nt de la police, mais sur la question islamiste, on ne les entend jamais. La montée au créneau des footballeu­rs profession­nels ou des artistes issus de la communauté musulmane, ne serait-ce que pour dénoncer les attentats islamistes, et idéalement l’islamisme politique qui est derrière, constituer­ait un soutien bienvenu dans le contre-discours. Il faut avoir conscience de ce que notre cohésion nationale est aujourd’hui en très grand danger. ■

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président du Centre de réflexion sur la sécurité
intérieure
Avocat au barreau de Paris, président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure
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Emmanuel Macron s’est rendu sur place immédiatem­ent après l’attentat.
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loin de la basilique.
À Nice, un homme prie dans la rue, non loin de la basilique.
 ??  ?? Messe de la Toussaint, dimanche, dans la basilique Notre-Damede-l’Assomption, à Nice.
Messe de la Toussaint, dimanche, dans la basilique Notre-Damede-l’Assomption, à Nice.
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L’émotion est considérab­le à Nice, quatre ans après le dernier attentat.
 ??  ?? * Osons l’autorité, de Thibault de Montbrial, Éditions de l’Observatoi­re, 304 p., 19 €.
* Osons l’autorité, de Thibault de Montbrial, Éditions de l’Observatoi­re, 304 p., 19 €.

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