ALEXANDRE THARAUD
Pianiste de grand chemin
Pour célébrer les trente ans d’une incroyable carrière, le pianiste publie une anthologie en forme de coffret. Une longue balade au fil de choix musicaux très éclectiques. Rencontre avec un artiste qui reconnaît être dans une quête permanente.
Sa maison de disques a voulu intituler son nouveau coffret : Le Poète du piano. Un titre qui somme toute lui va bien. Au fil de ses trente années de carrière, Alexandre Tharaud a marqué le paysage du classique par une présence singulière que souligne cette anthologie avec des enregistrements, dont certains inédits, gravés sur trois disques. Tous illustrent les moments forts d’un parcours éclectique. Tandis que le premier volet du coffret est consacré aux solos et le deuxième aux concertos, le troisième réunit des raretés et même quelques compositions propres. Voilà une belle déclinaison des facettes de ce musicien. Elle offre le pendant parfait de son autobiographie parue en 2017 chez Grasset, Montrez-moi vos mains, où, par brefs épisodes, Tharaud racontait le quotidien solitaire d’un soliste de grand chemin.
Car à ses yeux, l’écriture et le piano participent d’une même recherche d’authenticité : « Ce qui m’intéresse, c’est ce que je ne connais pas de moi et qui peut surgir à l’improviste. Ainsi, en studio, on enregistre 50 fois le même passage, et à la 51e fois, sans qu’on sache pourquoi, quelque chose jaillit du plus profond des tripes. Alors, on se dit “ça valait le coup d’insister.” » Mais au studio, il préfère le concert : « Sur scène, je suis chez moi, au point de me trouver parfois moins à mon aise en d’autres lieux. »
Au coeur de ce coffret qui exalte magnifiquement le son du piano, on trouve, lovée comme un anachronisme, une chanson de Barbara, J’ai tué l’amour. Il s’agit de la toute première mélodie que la chanteuse a enregistrée comme auteur-compositeur-interprète. Ici, elle est chantée par Dominique A, bien évidemment accompagné par
Alexandre Tharaud. Ils avaient gravé le morceau ensemble et pour le plaisir, trois ans auparavant, au terme d’une séance de travail. Le pianiste préparait alors un hommage à Barbara pour le vingtième anniversaire de sa mort. Comme on boit un dernier verre en fin de soirée, les deux complices étaient retournés au studio. Ils avaient enregistré
« en une seule prise » la chanson qu’ils connaissaient par coeur. Le morceau avait été oublié dans les arcanes de son disque dur. La voici, telle quelle, brute, sans montage. Un instant de vérité comme les aime Alexandre. Et un bel exemple de ce « lâcher-prise » si difficile à obtenir, mais qui permet de « transcender la technique ». « Une partition, avec toutes les annotations du compositeur, est souvent un carcan qui nous bride. On est par ailleurs très contraint par le public. Il connaît souvent les oeuvres qu’on joue, et une interprétation très libre, hors norme, peut le dérouter. »
Tharaud est tout aussi éclectique dans son approche des autres arts. Ainsi de la danse. Il signe un petit film sobrement intitulé Faune en référence au Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy dont il a composé les mesures et que danse Chun-Wing Lam de l’Opéra de Paris. Pour ce faire, les deux artistes se sont installés en pleine campagne, près de Fécamp. Alexandre avec son piano dans les champs et le danseur au milieu des herbes folles. Le tournage a commencé par sa musique, qu’il a calquée sur les mouvements du corps. Le résultat est bucolique en diable. C’est à la fois un voyage onirique et une ballade poétique. Il met l’accent sur la notion de partage, si nécessaire dans
« ce marasme d’individualisme ambiant ». C’est qu’à ses yeux, si la musique est son mode d’expression par excellence, elle est aussi un mode de partager, d’être ensemble, quand « les dialogues sont souvent des confrontations. On peut se mettre en danger avec les mots des autres ». À ses yeux encore, la haute fonction du spectacle et du concert est justement de favoriser cette prise de conscience contre l’individualisme. « C’est pour cela que la vie musicale est essentielle. Depuis que nous avons repris les concerts, la réaction du public est inouïe. »
Coffret Le Poète du piano,
Erato. Concerts avec Sabine Devieilhe à Bordeaux, le 23 novembre ; à Lyon, le 29.
Le cinéma en salles est entre parenthèses, pour ne pas dire entre la vie et la mort ; il nous reste celui sur petit écran (platesformes, DVD, VOD…). Mais aussi la mémoire de ses années glorieuses. Ou plutôt celle de ses coulisses et de ses tournages. À leur sujet, les anecdotes fourmillent, souvent croustillantes. Dans un livre * qui tient dans la poche sans la salir, Philippe Lombard en a recensé 300. Autant que de Grecs de Sparte résistant aux Perses durant la bataille des Thermopyles, donc. Certaines sont connues, même si on ne s’en lasse pas : Alfred Hitchcock qui jette Tippi Hedren au milieu de vrais oiseaux en lieu et place des volatiles mécaniques promis ; la scène d’ouverture de huit minutes de Marco Polo, avec Alain Delon, qui met trois semaines à être tournée et coûte le budget de trois films (coulant par là même le projet et le producteur Raoul Lévy) ; Sergio Leone que la mort surprend alors qu’il vient enfin d’obtenir les autorisations pour faire son Il était une fois dans l’Est (le récit des neuf cents jours du siège de Leningrad, en 1941-1944), etc.
Où l’on apprend aussi que Francis Perrin a refusé de jouer le rôle du père de Vic dans La Boum
(il trouvait le scénario et le film pareillement consternants) ; que Jean-Pierre Melville recala à un casting un étudiant américain des Beaux-Arts de Paris dont il était persuadé qu’il mentait sur sa nationalité (il s’agissait de Robert De Niro !) ; que Costa-Gavras faillit tomber en syncope en voyant à son arrivée en Italie que le titre de son film Z était devenu L’Orgie du pouvoir (rien à voir avec la choucroute, en effet) ; que le breuvage surprise avalé par Jean Lefebvre dans la scène mythique de la cuisine, dans Les Tontons flingueurs, était composé de cognac, de whisky et de poire (de quoi en avoir certes les larmes aux yeux…) ; que la Suisse est si peu cinéphile qu’en 1976, dans une gare du Valais, on pouvait donner ses valises à Al Pacino (Le Parrain, Serpico…) en le prenant pour un porteur, etc. Bizarrement, les anecdotes sur les tournages des blockbusters anglosaxons tournés sur fond vert sont rares. * Hugo Image,
304 p., 12 €.