Le Figaro Magazine

LES INDISCRÉTI­ONS

de Carl Meeus

- LES INDISCRÉTI­ONS DE CARL MEEUS

Jamais la France n’a connu situation aussi critique la Seconde Guerre mondiale. Une épidémie meurtrière qui oblige le gouverneme­nt à reconfiner la population chez elle, au moment d’une vague d’attentats islamistes. Comment l’opinion publique va-t-elle réagir, dans un contexte déjà marqué par une crise économique et sociale engendrée par le premier confinemen­t du printemps dernier ? Pour Emmanuel Rivière, directeur général de Kantar Public France, le risque le plus important, c’est une fragmentat­ion supplément­aire de la société française, déjà morcelée.

Ce qui le frappe, c’est que « ce qui devrait faire consensus ne le fait pas ». Ou plus. En 2012, au lendemain des attentats de Mohamed Merah, les principaux candidats avaient décidé de suspendre leur campagne électorale pendant quelques jours. La proximité de la présidenti­elle n’avait pas empêché l’unité nationale, même si les critiques, notamment de François Hollande, perçaient dans les médias sur la baisse des effectifs policiers sous le quinquenna­t de Nicolas Sarkozy. En 2015, tout le monde a gardé en mémoire les manifestat­ions du dimanche qui a suivi les attaques contre Charlie Hebdo

et l’Hyper Cacher. Mais, déjà après le Bataclan, l’unité nationale s’était fissurée. Après l’attentat de Nice en juillet 2016, des voix plus nombreuses s’élevèrent pour contester la politique de François Hollande. En 2020, l’unité nationale n’est plus qu’un vain mot. « Les camps se radicalise­nt. Le renforceme­nt de la dialectiqu­e du bien et du mal ne permet plus les points de vue intermédia­ires »,

observe Emmanuel Rivière.

L’épidémie de Covid-19 vient renforcer cette difficulté. « Les Français se regardent en chiens de faïence, analyse le patron de Kantar. On peste contre son voisin. » Pendant le premier confinemen­t, certains prenaient des photos de ceux qui ne respectaie­nt pas les consignes gouverneme­ntales. Dans ses études, il a relevé que la France, comme le Japon, était le pays où les gens pensaient que leurs voisins se comportaie­nt mal. Il y a d’un côté les responsabl­es et de l’autre les irresponsa­bles. Autre caractéris­tique qui revient dans les études, et notamment l’Eurobaromè­tre : la France est dans les dernières positions quand il s’agit de dire que le pays est uni ou que les concitoyen­s ont des choses à faire ensemble. Ces clivages sont évidemment exacerbés par les attentats. Une partie des Français éprouvent « une difficulté à se sentir à l’aise dans un collectif qui les regarde comme musulmans quand ils veulent se sentir français ».

Quelles conséquenc­es politiques peuvent surgir de cette situation ? Aux élections municipale­s, l’abstention a fortement progressé, montrant un détachemen­t d’un certain nombre de Français pour les questions politiques. Rien d’étonnant à cela finalement dans une période où les priorités sont tout autres. « La santé, la menace identitair­e, ce sont des sujets existentie­ls. La politique est passée au second plan », constate Emmanuel Rivière. Cela peut-il être le cas en 2022 pour l’élection présidenti­elle ? Les attentiste­s, ce groupe de Français que la vie politique n’intéresse pas particuliè­rement, vont-ils changer de comporteme­nt dans la mesure où ces crises, sanitaire et terroriste, ont un impact sur leur vie quotidienn­e ? Après tout, l’interventi­on d’Emmanuel Macron la semaine dernière a été suivie par près de 32,7 millions de téléspecta­teurs ! Une partie des Français peuvent vouloir une rupture plus forte que la précédente. En ce sens, pour Emmanuel Rivière, « un espace s’ouvre en 2022 pour quelqu’un qui incarnerai­t, encore mieux que Macron en 2017, la critique du système existant ».

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