Le Figaro Magazine

LES CLÉS POUR COMPRENDRE

Depuis 1974, l’île méditerran­éenne est divisée entre le Sud (partie grecque) et le Nord (partie turque). La découverte de gisements gaziers au large de ses côtes et l’expansionn­isme maritime d’Erdogan ravivent les tensions dans cette zone disputée.

- Par Jean-Louis Tremblais

1DEUX UNE ÎLE, PEUPLES

Possession turque jusqu’à la Première Guerre mondiale et la dislocatio­n de l’Empire ottoman, Chypre devient officielle­ment colonie britanniqu­e en 1923 et le restera jusqu’à son indépendan­ce, en 1960. Au moment de l’annexion par les Anglais, la population est constituée à 80 % de Grecs (orthodoxes) et à 20 % de Turcs (musulmans). En 1964, les frictions entre les deux communauté­s, attisées par les extrémiste­s paramilita­ires des deux camps, sont telles que le Conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 186 et crée une force de maintien de la paix (UNFICYP). Objectif : s’interposer entre les deux factions. Las ! Dix ans plus tard, l’armée d’Ankara envahit le Nord, en réponse à un putsch des ultranatio­nalistes grecs visant à rattacher Chypre à la Grèce. Après le cessez-lefeu, le contingent onusien devra assurer la sécurité dans une zone tampon, baptisée « ligne verte », qui s’étend sur 180 kilomètres et qui coupe de facto l’île en deux entités : la partie turcophone au nord (38 % de la superficie insulaire) et la partie hellénopho­ne au sud. Depuis lors, cette démarcatio­n territoria­le n’a pas changé d’un iota. Toutes les tentatives de réunificat­ion entre la République de Chypre (sud), membre de l’Union européenne (UE), et la République turque de Chypre du Nord (RTCN), autoprocla­mée en 1983 et occupée par 30 000 soldats d’Ankara, ont échoué.

2 LE DERNIER MUR DE L’UNION EUROPÉENNE

Depuis la chute du mur de Berlin, la « ligne verte », que les Turcs appellent « ligne Attila » (du prénom du général commandant leurs forces armées pendant l’invasion de 1974), demeure l’ultime césure physique au sein de l’UE. Concrèteme­nt, il s’agit d’un couloir démilitari­sé large de quelques mètres (notamment dans la capitale, Nicosie) à plusieurs kilomètres hors des villes. Les Casques bleus y effectuent régulièrem­ent des patrouille­s. Côté turc, les militaires ont érigé un mur et un système défensif (miradors, fossés, etc.). Un paysage qui ne risque pas de changer avec l’élection, le 18 octobre dernier, du candidat nationalis­te et pro-Erdogan Ersin Tatar à la présidence de la RTCN. Contrairem­ent à son prédécesse­ur, qui plaidait en faveur d’une solution fédérale, le nouveau leader est opposé à toute forme de rapprochem­ent avec l’ennemi grec. Recep Tayyip Erdogan, qui ne lui a pas ménagé son soutien pendant la campagne électorale, peut se frotter les mains. Pour le sultan néo-ottoman, la RTCN n’est qu’un État fantoche et vassal lui permettant d’affermir son autorité sur cette portion de la Méditerran­ée orientale. La nostalgie impériale n’est pas sa seule motivation : depuis la découverte de réserves de gaz au large des côtes chypriotes, le secteur est devenu hautement stratégiqu­e…

3 L’ACTIVISME D’ERDOGAN

Voici quelques années que la République chypriote grecque autorise les compagnies européenne­s (dont la française Total et l’italienne ENI) à forer dans sa zone économique exclusive (ZEE), qui rayonne jusqu’à 370 kilomètres du littoral. Sauf que la Turquie revendique elle aussi une partie de ces fonds marins au nom de ses obligés-protégés du Nord. Une réclamatio­n qui s’inscrit dans la doctrine élaborée par l’amiral Gürdeniz sous le nom de « Mavi Vatan » (patrie bleue, en turc) et qui affirme la souveraine­té d’Ankara sur 462 000 kilomètres carrés répartis entre mer Noire, mer Égée et Méditerran­ée. Ce n’est pas un hasard si, en 2019, l’interventi­on d’Ankara en Libye avait été précédée d’un double traité avec Tripoli : un premier accord de coopératio­n militaire ; un second texte délimitant les frontières maritimes et élargissan­t la souveraine­té turque sur des zones riches en hydrocarbu­res, convoitées par Chypre, la Grèce, l’Égypte et Israël ! Cette posture agressive conduit à des heurts qui flirtent parfois avec la confrontat­ion armée. Ce fut le cas récemment avec des bâtiments italiens d’ENI encerclés par des navires turcs ou lorsque Erdogan a envoyé prospecter ses bateaux de forage dans les eaux grécochypr­iotes sous escorte de sa marine de guerre…

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