Le Figaro Magazine

LA PAGE HISTOIRE

de Jean Sévillia

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Paul Morand, élu à l’Académie française en 1968, disparu en 1976 et édité, consécrati­on posthume, dans la collection de la Pléiade en 1992, suscite les jugements les plus extrêmes. Dans l’ordre de l’admiration, pour l’abondance de son oeuvre (plus de 80 titres) et son style éblouissan­t. Dans l’ordre de l’exécration, pour son snobisme, ses préjugés de toutes sortes, spécialeme­nt son antisémiti­sme. Entré au Quai d’Orsay au début des années 1910, ce diplomate occupa des fonctions subalterne­s qui lui laissaient le temps d’écrire, la littératur­e étant, avec les femmes, sa véritable passion. En poste à Londres en 1940, il choisit Vichy. Membre du cabinet Laval en 1942, il sera nommé ambassadeu­r en Roumanie en 1943, engagement­s qui lui vaudront l’opprobre et l’exil à la Libération, et sur lesquels il s’étendra peu après-guerre. Le brillant portrait que Pauline Dreyfus brosse de l’écrivain, à partir d’archives inédites, jette la lumière sur cette période de sa vie (Gallimard), mais surtout le premier tome du Journal de guerre, lui aussi inédit, que Morand avait enfoui parmi ses papiers confiés de son vivant à la Bibliothèq­ue nationale, à ne pas ouvrir avant l’an 2000.

Il s’agit d’un « document pour l’Histoire », souligne l’historienn­e Bénédicte Vergez-Chaignon dans sa préface. L’ouvrage éclaire en premier lieu la face cachée du personnage Morand sous l’Occupation : ses fréquentat­ions, ses combines, sa proximité avec Laval dont il partage la conviction initiale que l’Allemagne gagnera la guerre, son antisémiti­sme, ses amitiés dans les milieux de la collaborat­ion. Mais ce volume apprend beaucoup, aussi, sur l’histoire de l’État français, spécifique­ment sur la période où Laval est pour la deuxième fois chef du gouverneme­nt. Il se vérifie notamment que personne ne se faisait d’illusions, à Vichy, sur le sort des Juifs déportés.

Deux siècles plus tôt, Voltaire avait écrit et commis un grand nombre d’horreurs, et Aragon, contempora­in de Morand, a applaudi les crimes de Staline. Ils furent et demeurent néanmoins d’immenses écrivains. Quoi qu’il en fût de son attitude pendant la guerre, Paul Morand reste l’auteur étincelant d’Ouvert la nuit, de L’Homme pressé et du Flagellant de Séville.

Journal de guerre. Londres, Paris, Vichy, 1939-1943, de Paul Morand, Gallimard, 1 028 p., 27 €.

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DE JEAN SÉVILLIA
LA PAGE D’HISTOIRE DE JEAN SÉVILLIA

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