DERNIÈRE NOUVELLE
Patrick Poivre d’Arvor
Le dimanche 10 novembre 2024, le Vendée Globe s’élança une fois de plus des Sables-d’Olonne. La dixième édition : enfin un repère stable dans un monde qui bougeait beaucoup trop vite. Profitant d’une énième vague de la Covid-24, le président à vie du département Philippe de Villiers avait fait installer des frontières aux limites de son territoire. Désormais, il fallait montrer patte blanche pour pouvoir y pénétrer. Même son ancien bras droit, Bruno Retailleau, devenu entre-temps son ennemi intime – ça arrive souvent en politique –, n’avait plus le droit de retourner en Vendée. Il avait pourtant eu son heure de gloire deux ans auparavant en se présentant à la présidentielle… Alors que toutes les villes de France et de Navarre étaient désormais interdites aux automobiles, le président du département avait fait sensation en faisant revenir les voitures à cheval dans les principales agglomérations vendéennes : La Roche-sur-Yon, Les Herbiers, Fontenay-le-Comte, Les Sables-d’Olonne…
C’est donc en calèche que les très nombreux concurrents du Vendée Globe se rendirent au port pour prendre le départ. S’ils étaient si nombreux c’est que, décroissance oblige, il n’y avait pas un seul sponsor pour pouvoir aligner plus de 10 000 euros en échange de son nom – en tout petit – sur la coque. De toute façon, la très récente loi sur la limitation de la publicité avait obligé les voiles à rester vierges de toute inscription. Progressivement, trimarans et grands catamarans avaient été remisés à la casse, et les organisateurs s’étaient mis d’accord pour revenir à la bonne vieille recette qui avait fait le succès de la formule de la Course du Figaro : un même type de bateau pour tous les concurrents et une taille unique. Avec un budget plus accessible aux bourses modestes, les concurrents s’étaient donc inscrits en nombre à la dixième édition du Vendée Globe. Celui qui nous intéresse ici s’appelle Édouard Philippe. Naguère, il avait fait de la politique. Il avait même été Premier ministre. Mais aujourd’hui à la barre de son bateau, La Ville du Havre, barbe blanche au vent, il était bien loin de tout cela. Il n’avait qu’une envie : rompre les amarres, et pour de bon. La veille encore, il avait dû parlementer avec les « gilets jaunes » du cru, qui en étaient à leur 203e samedi de manifestation, et le jour du départ, il lui avait fallu se faufiler en calèche aux milieux des gilets orange, qui, eux, s’étaient appropriés le dimanche et qui venaient de dépasser leur 100e journée de protestation. On ne savait d’ailleurs plus contre quoi. Les autoroutes françaises, désormais vides de toute circulation, étaient quand même le théâtre d’une joyeuse cacophonie. Vélos, rollers et trottinettes se déplaçaient entre gilets jaunes et orange, et les employés ne savaient plus comment se faire repérer par la couleur de leur uniforme.
À la poupe de son monocoque, le 76 – comme son département –, Édouard Philippe s’élança au milieu d’une centaine de concurrents pour le départ de la mythique course autour du monde en solitaire. Comme il n’était pas très expérimenté, il se laissa très vite distancer et on s’intéressa moins à lui. Pourtant, sitôt passé le Portugal, il mit un surprenant coup de barre à l’est et s’engagea dans le détroit de Gibraltar.
Les commentateurs se déchaînèrent. Abandon ? Non. Avarie technique ? Il ne s’arrêtait dans aucun port. Hommage à Bernard Moitessier qui, cinquante-six ans plus tôt, avait refusé de boucler son tour du monde alors qu’il avait course gagnée ? Nul ne savait. Certains virent même une ruse propre à la classe politique : il allait s’épargner le contournement de l’Afrique en coupant par la Méditerranée ! Que nenni !
Deux mois après son départ des Sables-d’Olonne, Édouard Philippe s’amarra au quai principal de la place Saint-Marc et envoya un texto à son premier mentor, Alain Juppé : « La tentation de Venise, ça existe, mais moi, j’y ai cédé ! Je t’attends. »
* Dernier livre paru : La Bretagne au coeur (Éditions du Rocher).