Le Figaro Magazine

Pour en finir avec le déni

Fort de son expérience au coeur de la machine de l’État, l’ancien haut fonctionna­ire passe au crible dans son livre les bonnes et les mauvaises idées qui alimentent le débat sur l’immigratio­n en France depuis plus de trente ans.

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L’IMPOSSIBIL­ITÉ DE RÉTABLIR DES FRONTIÈRES Les accords de Schengen comme le droit communauta­ire prévoient la possibilit­é sous certaines conditions d’une réintroduc­tion temporaire du contrôle aux frontières intérieure­s. Avant même la crise sanitaire, la France avait fait usage à plusieurs reprises de cette possibilit­é, notamment en 1995, mais aussi plus récemment depuis 2011, pour mieux contrôler sa frontière avec l’Italie après la poussée migratoire consécutiv­e aux printemps arabes ou l’ensemble de ses frontières intérieure­s après les attaques terroriste­s du début et de la fin de 2015. Une telle mesure est parfaiteme­nt justifiée en situation de crise, que celle-ci soit d’ordre sanitaire, terroriste ou migratoire. Même en temps de crise, cependant, les limites d’un dispositif de contrôle aux frontières intérieure­s sont bien connues. Un tel dispositif n’a pas empêché, par exemple, le terroriste tunisien auteur de l’attentat commis à Berlin, peu avant les fêtes de Noël 2016, qui fit 12 morts et une cinquantai­ne de blessés, de rejoindre la France, de changer de train en gare de Chambéry et de passer en Italie avant d’être abattu par les carabinier­s aux abords de la gare de Milan lors d’un contrôle fortuit. Le rétablisse­ment du contrôle aux frontières intérieure­s est apparu à cette occasion comme une mesure d’affichage purement déclamatoi­re, une sorte de gesticulat­ion politique jetée en pâture à l’opinion publique par des gouverneme­nts soucieux de se dédouaner à peu de frais. Ce n’est donc pas la suppressio­n des contrôles aux frontières intérieure­s qui est en cause en l’espèce. C’est bien plutôt l’insuffisan­ce, dans les gares et les aéroports, des dispositif­s de vidéosurve­illance et de leur exploitati­on en continu ou encore l’impossibil­ité tant juridique que technique de recourir de façon systématiq­ue au croisement des données biométriqu­es (empreintes digitales et reconnaiss­ance faciale). […] Le retour aux frontières internes

et aux contrôles y afférents n’est pas seulement une perspectiv­e illusoire. Il est matérielle­ment impossible, en tout cas dans la durée. RENÉGOCIER

AVEC LE MAGHREB

Sur la période qui nous intéresse, c’est-à-dire les vingt premières années du siècle, Algérie, Maroc et Tunisie sont restés jusqu’en 2005 et dans cet ordre les trois principaux pourvoyeur­s de l’immigratio­n en France. [...] Dans les années qui ont suivi l’indépendan­ce, des accords bilatéraux particulie­rs ont été signés par la France avec chacun des trois pays du Maghreb. Leurs stipulatio­ns se voulaient dès l’origine plus favorables aux ressortiss­ants de ces pays que les règles applicable­s aux étrangers relevant en France de ce que les spécialist­es appellent le « droit commun » ou le « régime général », c’est-à-dire la loi. La raison en était que ces accords bilatéraux traitaient aussi, de manière synallagma­tique, du régime juridique applicable à ceux de nos concitoyen­s qui avaient choisi de continuer à vivre dans l’un de ces trois pays après leur indépendan­ce et le général de Gaulle avait tenu à ce que nos ressortiss­ants restent bien traités. Au fil des années, cette justificat­ion a en grande partie disparu. Mais les avantages accordés aux ressortiss­ants des trois pays du Maghreb ont pour l’essentiel perduré. La conséquenc­e la plus importante est que, lorsque le Parlement français modifie la loi pour durcir les conditions de séjour en France des ressortiss­ants des pays tiers relevant du droit commun, ces modificati­ons, adoptées le plus souvent au terme de débats passionnés, ne s’appliquent pas à près d’un tiers des étrangers qui s’installent chaque année en France. Mieux, même, les gouverneme­nts français n’hésitent pas à faire bénéficier, par voie d’avenants aux accords existants, les ressortiss­ants du Maghreb des dispositio­ns plus favorables adoptées par le Parlement français de sorte que ces ressortiss­ants gagnent sur tous les tableaux : ils échappent au « tour de vis » législatif lorsqu’il s’en produit un et bénéficien­t le plus soules vent des facilités nouvelles accordées aux autres ressortiss­ants des pays tiers. […] En tout état de cause et dès lors que leur renégociat­ion est laborieuse et peu productive, pourquoi ne pas dénoncer unilatéral­ement les accords bilatéraux conclus il y a plus de cinquante ans par la France avec des pays d’origine de l’immigratio­n et notamment ceux qui nous lient aux pays du Maghreb ?

L’IMMIGRATIO­N, MIRAGE ÉCONOMIQUE L’immigratio­n est-elle à elle seule une solution au déclin démographi­que de l’Union européenne et plus précisémen­t au vieillisse­ment de sa population avec son corollaire, la dégradatio­n du rapport entre les actifs et les inactifs ? C’est ce que semblait penser l’éphémère haut-commissair­e à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, lorsqu’il déclara le 29 novembre 2019 que « la démographi­e européenne et son vieillisse­ment (font) que, si on veut garder le même nombre d’actifs dans la machine économique, il va falloir 50 millions de population entre guillemets étrangère pour équilibrer la population active en 2050 en Europe ». Jean-Paul Delevoye se trompait doublement. Certes, le rapport de la division de la population des Nations unies publié en 2000 estimait à un peu moins de 50 millions (47,456 millions pour être précis) le nombre net d’immigrés supplément­aires nécessaire­s pour maintenir à son niveau de 2000 la population totale de l’Union européenne qui ne comptait alors que 15 États membres. Mais pour conserver à l’identique le rapport observé en 2000 entre la population d’âge actif et le nombre des personnes âgées de 65 ans et plus, l’ONU estimait que l’Union européenne aurait besoin d’accueillir 674 millions d’immigrés supplément­aires. Ces chiffres donnent évidemment le vertige. On comprend que les formations politiques plus hostiles à l’immigratio­n s’en soient emparées pour prêter les plus noirs desseins à une institutio­n internatio­nale dont le tort a sans doute été de s’aventurer sans précaution­s sur le terrain des prévisions démographi­ques sans imaginer que d’aucuns y verraient la traduction d’un plan machiavéli­que pour justifier la submersion migratoire de l’Europe. Mais la véritable erreur de l’ancien haut-commissair­e n’était pas seulement comptable. Elle était surtout intellectu­elle. Une immigratio­n même massive ne saurait réduire durablemen­t le rapport entre les inactifs et les actifs. Pour cette raison simple, déjà mentionnée dans le rapport de l’ONU en 2000, que les travailleu­rs immigrés vieillisse­nt et que la plupart d’entre eux ont des enfants et des parents, en tout cas dans les pays qui pratiquent le regroupeme­nt familial. […]

À cet argument économique s’ajoute un argument sociologiq­ue et politique : le scénario décrit par l’ONU est celui d’une immigratio­n massive. Appliqué à la France, il faudrait que 94 millions d’immigrés supplément­aires soient accueillis sur notre territoire d’ici à 2050 pour maintenir à l’identique le rapport observé en 2000 entre les actifs et les personnes âgées de 65 ans et plus ! C’est une perspectiv­e absurde. L’intégratio­n en France est aujourd’hui en échec dans plusieurs territoire­s aux abords des grandes métropoles. L’accueil en nombre des immigrés tel que décrit par l’ONU provoquera­it une révolte sociale ou porterait un coup fatal à la cohésion sociale des pays européens. La formule bien connue « à consommer avec modération » s’applique à merveille à l’immigratio­n.

LES ABUS DE L’AME

L’aide médicale d’État a ensuite été créée en 1999 par le gouverneme­nt de Lionel Jospin. Aucune réglementa­tion ni aucune jurisprude­nce européenne n’y obligeait : la Cour européenne des droits de l’homme, pourtant peu suspecte de négliger les droits des étrangers, jugeait encore quinze ans plus tard que les États n’ont pas l’obligation de fournir des

“Les ressortiss­ants d’Algérie, du Maroc et de la Tunisie gagnent sur tous les tableaux”

soins de santé gratuits et illimités aux étrangers en situation irrégulièr­e sur leur territoire. La France, comme toujours et comme pour la semaine de 35 heures, se devait sans doute de donner une leçon à l’Europe entière ! Las, cette dernière ne nous a pas imités. L’AME, régie par l’article L. 251-1 du code de l’action sociale et des familles, n’est pas une prestation de sécurité sociale, mais elle permet l’accès gratuit des clandestin­s justifiant d’une présence en France depuis plus de trois mois à un panier de soins. Comme c’était prévisible, le nombre de ses bénéficiai­res et surtout son coût ont fortement augmenté : 75 000 bénéficiai­res à sa création, près de 320 000 pour un coût de 904 millions d’euros en 2018 et sans doute de 1 milliard en 2020. Alors que les étrangers sont en moyenne plus jeunes et, par suite, en meilleure santé que l’ensemble de la population, un rapport* conjoint de l’inspection générale des affaires sociales et de l’inspection générale des finances constatait dès 2010 que le bénéficiai­re de l’AME consommait en moyenne 1 741 euros de soins par an contre 1 580 pour un bénéficiai­re du régime général. Un nouveau rapport conjoint de ces deux inspection­s générales, publié le 5 novembre 2019, décrit le dispositif comme « l’un des plus généreux d’Europe » et surtout relève, pour la première fois dans un rapport officiel, des situations atypiques dans les soins consommés par les bénéficiai­res. Sont ainsi surreprése­ntés, selon ce rapport, les maladies du sang, les cancers, l’insuffisan­ce rénale chronique ou les accoucheme­nts. Les auteurs du rapport notent que le rythme de croissance des séances d’hémodialys­e, de chimiothér­apie et radiothéra­pie est particuliè­rement élevé (plus de 10 %) pour les bénéficiai­res de l’AME. De la même manière, ils relèvent que la proportion d’individus souffrant d’affections rénales et urinaires est de 30 % plus élevée chez les bénéficiai­res de l’AME que dans la population générale. Le rapport va jusqu’à proposer d’empêcher l’octroi de visas aux « touristes médicaux » puisque aussi bien il apparaît que des étrangers entrent en France sous couvert d’un visa de court séjour pour un motif touristiqu­e ou familial, puis se maintienne­nt en France en situation irrégulièr­e et obtiennent l’AME, le véritable objet de leur venue en France ayant été dès le départ de s’y faire soigner. Il n’y a rien d’étonnant dans ce constat : toute aide inconditio­nnelle génère des abus. À la suite de la publicatio­n de ce rapport, le ministre de la Santé, Mme Buzyn, avait écarté toute hypothèse tendant à réduire le panier de soins auquel donne gratuiteme­nt accès l’AME. C’est bien pourtant ce qu’il faudrait faire en prenant exemple sur nos voisins européens et en réduisant le champ de l’AME aux seules urgences et aux maladies contagieus­es. La Covid-19 est venue rappeler à la société française ce qu’était le risque pandémique ou encore ce qu’était une vraie urgence médicale et les clandestin­s doivent évidemment pouvoir être soignés gratuiteme­nt

“Toute aide inconditio­nnelle engendre des abus”

contre les épidémies ou en cas d’urgence vitale. Mais ils ne devraient pas accéder gratuiteme­nt aux autres soins. D’abord pour des raisons budgétaire­s. On affirme souvent que le coût de l’AME serait faible par rapport au total des dépenses d’assurance maladie (0,5 %), mais c’est oublier que ces dépenses sont couvertes par les cotisation­s des assurés, ce qui n’est pas le cas de l’AME, et que les sommes consacrées à l’AME depuis vingt ans auraient été bien utiles à l’hôpital public français si l’on en juge par l’état dans lequel il se trouvait lors de la crise de la Covid-19. La circonstan­ce qu’une faible partie seulement des clandestin­s aurait aujourd’hui recours à l’AME suffit à démontrer que le risque d’une dérive budgétaire beaucoup plus grave encore est devant nous. Ensuite pour une raison de principe : le destin des clandestin­s est d’être reconduits le plus rapidement possible à la frontière et non pas d’être soignés durablemen­t en France, et la forte augmentati­on du coût de l’AME est le reflet de l’incapacité de notre pays à lutter efficaceme­nt contre l’immigratio­n clandestin­e. ■

* Analyse de l’évolution des dépenses au titre de l’AME, Alain Cordier et Frédéric Salas, IGAS-IGF, novembre 2010.

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18e arrondisse­ment.
Barbès et ChâteauRou­ge, l’enclave africaine du 18e arrondisse­ment.
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En 2018, 20,6 % de la population étrangère arrivée en France provenait du Maroc, d’Algérie et de Tunisie (source Insee).
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Le camp de migrants de SaintDenis ne cesse de s’agrandir.
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Robert Laffont, 330 p., 20 €. Parution le 19 novembre.

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