OCTAVE REMERCIE MIRBEAU
La parution en « Bouquins » des romans d’Octave Mirbeau a passionné notre chroniqueur Octave Parango, qui lui renvoie l’ascenseur.
La collection « Bouquins » rassemble quatre romans d’Octave Mirbeau (1848-1917) : Le Jardin des supplices (1899), Le Journal d’une femme de chambre (1900), La 628-E8 (1907) et Dingo (1913). Saluons l’initiative, même si l’on aurait pu y ajouter Sébastien Roch (1890), le premier roman dénonçant le viol d’un adolescent par un prêtre, ainsi que Les 21 Jours d’un neurasthénique
(1901), l’ancêtre des romans déprimistes, si nombreux aux deux siècles suivants.
Mirbeau est un idéaliste révolté, un insatisfait viscéral, un pamphlétaire qui déverse sa colère dans ses romans. Merci à lui d’avoir pavé la route à tous les impertinents qui considèrent que la fiction peut décupler la puissance d’un dégoût. Le roman, c’est raconter une histoire qui peut changer l’Histoire. Croire que la littérature, bien qu’inutile, puisse nous ouvrir les yeux en nous fendant le coeur : tout cela, nous le devons à Octave Mirbeau. C’est un Victor Hugo tordu.
Le Jardin des supplices n’est pas seulement un cauchemar sadique, mais une descente aux enfers du cynisme. C’est le marquis de Sade dans la végétation orientale. Cette prose poétique très luxuriante a étiqueté Mirbeau parmi les décadents au même titre que Huysmans. Lui qui entendait dénoncer les meurtres de l’armée coloniale devint auteur d’un immense best-seller, comme toujours, sur un malentendu.
Le Journal d’une femme de chambre le révèle anarchiste tendre, humaniste pessimiste et féministe misogyne (oui, oui, c’est possible). Il se met dans la peau de Célestine, une bonne très exploitée. Il faut absolument lire ce carnet calfeutré et malsain, en plein reconfinement. Quel don admirable pour l’ironie antibourgeoise ! Les bourgeois ont adoré ce roman à l’époque car ils sont masochistes.
La 628-E8 est l’immatriculation d’une automobile dans laquelle Mirbeau traversa la Belgique, la Hollande et l’Allemagne, inventant le « travel writing » moderne. Enfin, bien avant Didier de Chabat, Dingo imagine l’allégorie folle d’un chien qui rééduque son maître. Journaliste au Figaro à la fois anticlérical et antimilitariste (il fallait le faire !), lyrique et amer, nihiliste et engagé, antisémite tourné dreyfusard par haine de l’injustice, Mirbeau ne s’est jamais trompé en défendant l’individu contre tous les pouvoirs. C’est un désobéisseur professionnel. En 2020, ce libertaire insoumis aurait brûlé des masques chirurgicaux tout en provoquant Didier Raoult en duel. Si l’expression « politiquement incorrect » avait existé au XIXe siècle, nul auteur ne l’aurait méritée mieux qu’Octave Mirbeau.
Le Jardin des supplices et autres romans, d’Octave Mirbeau, Robert Laffont, « Bouquins », 1 440 p., 32 €. Édition établie, présentée et annotée par Pierre Glaudes.