L’Alpe-d’Huez, une île dans les neiges de l’Oisans,
À 85 ans, la station-reine de l’Isère se porte comme un charme. Ses panoramas en mettent plein la vue et sa glisse somptueuse se consomme sans modération.
L’Alpe-d’Huez se mérite. On y accède par une route d’anthologie, 21 lacets à flanc de montagne, au départ de Bourg-d’Oisans, 1 000 m plus bas. Morceau de choix du Tour de France cycliste, cette « montée de l’Alpe », 13,8 km d’ascension, a fait la célébrité de la station de l’Oisans. En voiture, le raide parcours d’approche n’en finit pas. On s’y perd dans le décompte des virages numérotés par ordre décroissant. Au passage, certains interpellent, qui portent aussi un nom. Tiens, en voici un justement, le numéro 9, baptisé « Céleste ». Renseignements pris, c’est le prénom de la petite fille venue au monde ici même, le 14 novembre 2014 (6 ans demain, bon anniversaire), sans laisser le temps à sa maman d’arriver à Grenoble – la descente de l’Alpe est parfois aussi sensationnelle que la montée… La station émerge soudain de la mer de nuages qui plafonne la vallée de la Romanche. À 1 860 m d’altitude, elle s’offre sous le soleil exactement et le pic Blanc. Spectacle dont seul l’hiver montagnard a le secret, cette lumineuse apparition a valu à l’Alpe-d’Huez le surnom d’« île au soleil ». À quand la possibilité ? « Nous continuerons dans les jours et les semaines à venir à préparer notre domaine skiable afin que la station puisse ouvrir ses portes dès le 5 décembre comme prévu initialement », informe le service des pistes via la page Facebook-assistance de la station. Bien avant le nouveau confinement, celle-ci avait pris les devants, détaillant sur son site les mesures d’hygiène en vigueur, tout en assurant à ses clients d’être remboursés intégralement en cas d’annulation liée à la Covid-19. Au chapitre événementiel, la 2e édition du festival Tomorrowland, terrassée par l’épidémie au printemps, n’a pas été reprogrammée. En revanche, le 24e Festival international du film de comédie figure bien au calendrier 2021, présidé par Michèle Laroque, du 19 au 24 janvier.
DES KILOMÈTRES DE GLISSE SANS UNE REMONTÉE, TEL EST LE PRIVILÈGE DES SKIEURS DE L’ALPE-D’HUEZ
UN DOMAINE CHAMPION DES GRANDS DÉNIVELÉS
Aux dernières nouvelles, il y aurait toutefois un plan B pour le repousser en mars, au cas où. Dans ce contexte inédit, on en oublierait presque la neige. Elle est là. Tombée précocement dès septembre, elle blanchit depuis régulièrement les sommets du massif des Grandes-Rousses, cocon d’un domaine skiable champion des grands dénivelés. Puisque le masque sanitaire ne sera pas obligatoire pour dévaler les pentes, les skieurs de l’Alpe-d’Huez seront privilégiés par ces kilomètres de glisse sans prendre une remontée. De ses 3 330 m d’altitude desservis par un téléphérique, le pic Blanc domine les 250 km de pistes qui plongent
jusqu’aux villages de Vaujany (1 250 m), Oz-en-Oisans (1 350 m), Villard-Reculas (1 480 m), Huez (1 500 m) et le moderne petit front de neige d’Auris-en-Oisans (1 600 m). « Le domaine skiable est à la fois très ouvert et très progressif. Les pistes les plus faciles sont proches de la station et plus on monte, plus le niveau technique augmente », explique Xavier Perrier-Michon, le directeur d’une l’ESF de 360 moniteurs. Même les cinq descentes aux énormes dénivelés, jusqu’à 2 200 m non-stop, jouent le jeu de la diversité, noires pour commencer puis assorties de variantes rouges ou bleues à l’approche de leur terminus. Sauf la Sarenne, la plus longue piste noire d’Europe, 16 km depuis le pic Blanc, par le glacier de Sarenne jusqu’aux gorges du torrent du même nom. Reste que le mur de départ non damé constitue la seule difficulté de ce parcours unique. « Nous avons la chance d’avoir une montagne où tout le monde, du débutant au très bon skieur, peut se faire plaisir et où l’on peut aussi suivre le soleil toute la journée », renchérit Ophélie David. Jeune retraitée de l’équipe de France, la championne de skicross (elle a tout gagné) est maintenant monitrice à l’ESF. Sa piste préférée ? « La combe Charbonnière, une noire un peu coupée du monde, étroite et impressionnante au pied des falaises des Rousses. Elle arrive aux ruines de l’ancienne mine d’anthracite de l’Herpie.»
UN PANORAMA D’EXCEPTION CLASSÉ 3 ÉTOILES
Planté au coeur des Alpes françaises, pile à la soudure nord-sud de la chaîne, le pic Blanc offre un panorama d’exception. Arrêt sur images : au sud, gros plan sur le massif des Écrins (Meije, Râteau, Muzelle, dôme de la Lauze, Barre des Écrins), à cheval sur les départements de l’Isère
UNE MONTAGNE OÙ TOUT LE MONDE, DU DÉBUTANT AU TRÈS BON SKIEUR, PEUT SE FAIRE PLAISIR
et des Hautes-Alpes. Par temps clair, on distingue, au loin, la pyramide provençale du mont Ventoux, autre mythe de la Grande Boucle. Au nord trône évidemment le massif du Mont-Blanc, versant italien flanqué des GrandesJorasses. À l’est, travelling sur les sommets savoyards de la Vanoise et selfie en compagnie du trio des aiguilles d’Arves toutes proches. Classé 3 étoiles au Guide vert Michelin, le site se visite comme un monument. Il figure d’ailleurs en tête de liste des sorties commentées organisées par l’office de tourisme. Au programme, un petit cours de géo donc, un zeste de géologie alpine, la vie des animaux de la montagne plus une parenthèse technique sur la construction du téléphérique, 1962 pour le tronçon sommital, ainsi que le rappel des étapes clés du développement de la station. De là-haut, sa forme géométrique se découvre avec la précision d’un drone. Au fil du temps, les pièces du puzzle se sont assemblées en un triangle parfait : le quartier VieilAlpe, le plus ancien ; le Cognet où l’Hôtel Les GrandesRousses, ouvert en 1954 par la famille Collomb, toujours aux commandes, est passé de 3 à 4 étoiles et même 5 l’hiver dernier pour sa luxueuse extension. « Le Cognet s’est développé dans les années 1960-1970 avec des immeubles à toit plat, raconte Frédérik Tane, le cicérone de la station. Dans les années 1980, de nouveaux quartiers ont été construits avec une architecture en dégradé. » Ainsi les Bergers où, l’an dernier également, le Club Med s’est agrandi et relooké de pied en cap. Ou encore l’Éclose, actuellement en pleine métamorphose. Le très chic Hôtel Daria-I-Nor, premier 5 étoiles de l’Alpe-d’Huez, y a élu domicile en 2018. Tout ce beau monde s’habille désormais de bois, la tenue de rigueur au sommet. « C’est à l’Éclose que le premier monte-pente avait été installé l’hiver 1936, suivi d’un deuxième en 1937 sur l’actuelle piste du Signal puis d’un troisième en 1938, au lac Blanc », précise Frédérik Tane. L’engin, une sacrée trouvaille, avait été élaboré avec un pont de camion, un câble de chanvre tendu entre des pylônes de bois et mû par un moteur électrique, et des perches accrochées au câble par des attaches fixes en noisetier. Il faisait 50 m de long et desservait la piste des Idiots. À ses débuts, la mécanisation de la glisse était mal vue par les skieurs dignes de ce nom qui ne juraient que par la montée à peaux de phoque (des vraies à l’époque).
LE SAINT-TROPEZ DES NEIGES DES ANNÉES 1960
N’empêche que l’inventeur grenoblois du terrible engin, un certain Jean Pomagalski, a réussi son coup. Un nombre incalculable de remontées mécaniques portent depuis la griffe Poma sur la planète ski. Le monte-pente de l’Éclose acte officiellement la naissance de la station la saison 1935-1936. L’Alpe-d’Huez a donc 85 ans. Un âge plus que respectable pour s’embourgeoiser et redorer son blason. « Dans les années 1960, nous étions le Saint-Tropez de la montagne, reprend Frédérik Tane. Les vedettes de cinéma et de la chanson française venaient ici, Bourvil, Johnny, Aznavour, Darry Cowl, Roland Magdane… ». Apothéose en 1968 avec l’organisation des épreuves de bobsleigh des Jeux olympiques de Grenoble. Le soleil, encore lui, a eu raison du serpent gelé. Aujourd’hui, l’hôtellerie se refait une beauté et de nouvelles résidences sont annoncées. L’Alpe-d’Huez monte en gamme à la vitesse grand V. ■