Le Figaro Magazine

L’ÉDITORIAL de Guillaume Roquette

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Le pire n’est jamais certain. À l’heure où nous bouclons ce numéro, la guerre civile annoncée par les Cassandre n’avait toujours pas commencé outre-Atlantique. Les images des manifestan­ts pro-Trump contestant les résultats de l’élection présidenti­elle semblaient même nettement moins violentes que celles des « gilets jaunes » (ou se faisant passer pour tels) qui vandalisai­ent les rues de Paris il y a moins de deux ans.

Cela ne signifie nullement, bien sûr, que cette campagne électorale, et surtout le mandat de Donald Trump, n’a pas créé de profondes fractures dans la population américaine. Mais on peut faire ce constat (il est difficilem­ent discutable) sans jeter pour autant le président battu aux oubliettes de l’Histoire. Il est un peu facile de reprocher à Trump d’avoir désuni l’Amérique, comme si la mission d’un chef d’État ou de gouverneme­nt démocratiq­ue était forcément d’apaiser les tensions de son pays, tel un conseiller conjugal ou un agent de médiation. Et si c’était l’inverse ? Et si la plus grande qualité de la démocratie consistait au contraire, selon les termes de l’essayiste François Sureau, « à civiliser les divisions » ?

Donald Trump avait été élu en 2016 sur des engagement­s aussi clivants qu’explicites : juguler l’immigratio­n, soutenir la famille, baisser massivemen­t les impôts, protéger l’industrie américaine, rompre avec le multilatér­alisme… Il l’a fait avec une brutalité contestabl­e, mais n’a pas trompé son monde et les opposition­s qu’il a suscitées étaient à la hauteur des transforma­tions engagées. Il en va de même avec Boris Johnson au Royaume-Uni : rien d’étonnant à ce qu’il divise son pays en l’engageant sur la voie du Brexit, mais les électeurs savaient à quoi s’en tenir. En France, les partis de gouverneme­nt se montrent infiniment plus prudents. Depuis Jacques Chirac, ils considèren­t qu’il ne faut pas fragiliser la société avec des programmes trop radicaux et ce n’est pas pour rien que le principe de précaution est désormais une règle constituti­onnelle. Du coup, les décisions les plus essentiell­es pour l’avenir et l’intégrité de notre pays (entrée dans la mondialisa­tion, immigratio­n de masse, intégratio­n européenne) ont été prises sans consulter clairement le peuple, sauf lors du référendum de 2005, mais dont Nicolas Sarkozy a choisi de ne pas tenir compte.

On connaît le résultat, et il n’est guère reluisant : à la dernière élection présidenti­elle, les deux principaux candidats « hors système » (Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon) ont totalisé 40 % des voix au premier tour. La pacificati­on démocratiq­ue se paye d’une désertion civique inédite avec des taux d’abstention qui battent des nouveaux records à chaque scrutin. Et le ressentime­nt d’une large partie du pays s’exprime désormais hors des urnes, comme en témoigne le mouvement des « gilets jaunes ». La droite française n’a pas à copier aveuglémen­t Trump ou Johnson, mais elle pourrait avec profit s’inspirer de leur témérité si elle veut renouer un jour avec le peuple.

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