LES RENDEZ-VOUS de J-R Van der Plaetsen
Spécialiste de la littérature d’outre-Manche, elle reprend dans son dernier roman la trame de « Raison et sentiments », ce classique de Jane Austen, et la transpose à notre époque.
Christine Jordis n’est pas tout à fait de son temps. Élevée dans le respect des vertus d’autrefois, elle se projette volontiers dans le passé pour y trouver des modèles d’existence, quelques exemples de hauteur d’esprit, une élévation de l’âme qui lui permettent de respirer un peu d’air pur. Elle l’a dit avec talent dans Une vie pour l’impossible, où elle dressait avec lyrisme un portrait de son père, Henri de Foucaucourt, qui combattit à monte Cassino, enchaîna divers métiers avant de partir pour le pôle Nord, où il vécut tel un Eskimo, puis finir moine bénédictin, ayant été rattrapé par une vocation religieuse tardive. Christine Jordis n’est pas non plus tout à fait de son pays. Est-ce parce qu’elle est lasse d’observer ce qu’il devient ? Ou parce qu’elle a épousé un gentilhomme allemand ? À moins qu’il ne faille en chercher la raison dans sa passion pour la littérature anglaise – et plus particulièrement les romancières du XIXe siècle, à commencer par Jane Austen ? Une certitude : ce goût pour la psychologie féminine et l’imaginaire des vieilles familles d’outre-Manche l’a conduite à diriger pendant plus de vingt ans le département de littérature anglaise chez Gallimard. Elle est par ailleurs l’une des dames du jury du prix Femina. Pendant longtemps, Christine Jordis a tu ce que lui inspirait notre époque. Dans son dernier roman, Prudence et passion, elle dit tout ce qu’elle a sur le coeur. Transposant de nos jours la trame de Raison et sentiments, un classique de Jane Austen, dans lequel s’expriment deux conceptions de l’existence à travers les tempéraments de deux soeurs, Christine Jordis déplore que la raison s’efface aujourd’hui si souvent devant la passion. « Veut-on la vérité, demande-t-elle avec force, ou plaire à un monde qui ment ? » Alors que la radicalisation des esprits empêche tout débat serein, cette simple question peut lui valoir des ennuis avec la police de la pensée.
“En ces temps d’enfermement idéologique, la prudence consiste à se taire.
Il y faut une certaine force, d’ailleurs” PRUDENCE ET PASSION, de Christine Jordis, Albin Michel, 385 p., 21,90 €.