Le Figaro Magazine

EN VUE Le général et le dictateur

Dans une version actualisée de sa grande enquête qui fit polémique il y a trente ans, Henri-Christian Giraud reprend et confirme sa thèse sur une « alliance » secrète entre de Gaulle et Staline.

- Rémi Kauffer

Ancien rédacteur en chef du Figaro Magazine, Henri-Christian Giraud est un homme obstiné. Sans doute parce qu’il appartient à une famille maltraitée par l’Histoire. À cause d’un lourd tribut que les siens ont payé à la lutte contre le nazisme, mais aussi parce qu’on continue à caricature­r son grandpère, le général Giraud, comme si le fait d’avoir été, en 1943, le rival du général de Gaulle au sein de la France combattant­e le vouait à un enfer éternel.

Il y a une trentaine d’années, avant la chute du Mur, Henri-Christian Giraud levait un lièvre : les relations « non officielle­s » du général de Gaulle avec l’URSS, jusque-là passées sous le radar. Il récidive à l’aide de nouveaux documents. Prouvent-ils de façon irréfutabl­e sa thèse d’une alliance secrète de De Gaulle avec Staline et les communiste­s ? Même s’il apparaît une fois dans les archives soviétique­s citées par Giraud, on peut contester ce terme d’alliance, sans doute trop fort à moins d’être réduit à la dimension de convergenc­es d’intérêts à certains moments clés entre le fondateur de la France libre et le dictateur rouge.

À elle seule, cette convergenc­e d’intérêts pose néanmoins de sérieux problèmes. Surtout quand Giraud dévoile, révélation capitale, le rôle en 1943 à Alger d’Ivan Agayants. Un gros poisson de l’espionnage soviétique connu jusque-là des seuls spécialist­es des services de renseignem­ent, mais pas comme… l’émissaire personnel secret de Staline auprès de De Gaulle ! Après cette découverte giraudienn­e, il ne suffira pas de dire : « Le Général avait ses raisons. » Des motifs pour ces tête-à-tête algérois avec Agayants dont, esprit acéré, il ne pouvait que deviner la stature de maître espion, de Gaulle en avait à coup sûr. Mais lesquelles ? Agayants étant francophon­e, les deux hommes se parlaient sans témoin : que se sont-ils dit ? À ces questions, il faudra bien apporter des réponses. S’inscriront­elles dans la problémati­que de Giraud : le Général considéré comme une sorte d’otage consentant de Moscou ?

Ce qui ressort de cette somme de mille pages, c’est un de Gaulle encore plus complexe, plus étoffé, formidable joueur de poker entre les alliés de l’Est et de l’Ouest. Rien qui amoindriss­e sa stature historique. Comme chaque fois qu’on s’écarte de l’image d’Épinal, les vestales du temple gaullien risquent néanmoins de crier au sacrilège. Elles seraient mieux inspirées de regarder chez nos voisins anglais où les critiques, parfois acerbes, n’ont jamais ruiné la mémoire de Churchill.

La même remarque vaut pour Jean Moulin. À son propos, deux visions s’opposent. Fidèle exécutant gaulliste pour son ancien secrétaire Daniel Cordier comme pour la majorité des historiens, satellite voire agent des Soviétique­s au contraire selon le grand résistant Henri Frenay puis le journalist­e-écrivain Thierry Wolton. Giraud suit la piste ouverte par Frenay. Mais s’il existe un « mystère Jean Moulin », peut-être est-ce avant tout le mystère d’un homme que le désastre de mai-juin 1940 aura écarté de ses amis gaucho-soviétophi­les d’avant-guerre pour le jeter dans le combat patriotiqu­e. Si rien ne dément sa fidélité à de Gaulle, celle-ci n’empêche pas que Moulin jouât du même coup sa carte personnell­e. Pourquoi n’aurait-il pas nourri des ambitions, aussi légitimes que celles de ses rivaux dans la clandestin­ité – Frenay, Brossolett­e… ? Si Moulin avait survécu jusqu’à la Libération, son rôle de président-fondateur du CNR en aurait fait un des premiers personnage­s politiques de la France nouvelle. Bien plus que le simple exécutant d’un de Gaulle issu, comme lui, du refus de la défaite. Tout cela n’a rien de si mystérieux : il est des figures qui grandissen­t au feu de l’Histoire.

 ??  ?? Staline et de Gaulle à Moscou le 10 décembre 1944 lors de la signature du pacte franco-soviétique.
Staline et de Gaulle à Moscou le 10 décembre 1944 lors de la signature du pacte franco-soviétique.
 ??  ?? « De Gaulle et les communiste­s. Tome I. L’histoire secrète juin 1941-octobre 1944 », d’Henri-Christian Giraud, Perrin, 1 038 p., 32 €.
« De Gaulle et les communiste­s. Tome I. L’histoire secrète juin 1941-octobre 1944 », d’Henri-Christian Giraud, Perrin, 1 038 p., 32 €.

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