COMPTES DE NOËL
Longtemps les drôles ont répété que contrairement à Dieu, le père Noël, lui, était encore vivant. Cela pourrait bien cesser, car confinement oblige, « Noël pourrait ne pas avoir lieu ». Portée par les rumeurs, cette disparition annoncée envahit la cité, suscitant effrois et déplorations. Tout se passe comme si le père Noël était subitement devenu notre bien le plus précieux, donc une zone à défendre. Faut-il voir dans ces suppliques et appels la nostalgie d’une transcendance perdue ? La manifestation du désir refoulé d’un inaccessible et salutaire ailleurs ? Bref, le père Noël serait-il l’homme providentiel qui détiendrait les clés d’un salut venu d’en haut ? Et si oui, assisterions-nous au retour en grâce de la grâce ? Nous serait-elle retombée sur la tête sans que nous y prenions garde ? Évidemment non. Nos mondes profanes ne sauraient tolérer pareille régression. S’il s’agit de sauver le soldat Noël, c’est qu’il est l’illustration la plus parfaite de la seule promesse dont nous sommes désormais dignes : la béatitude consumériste. Unique et ultime fondement de nos saluts individuels et collectifs, cette dernière doit être sanctuarisée ; le fétichisme de la marchandise doit régner sans partage. Conséquence inattendue : puisque le règne de la consommation est également celui de l’ordure, alors il nous faut conclure avec regret que le père Noël en est bien une.