Le Figaro Magazine

DERNIÈRE NOUVELLE le Petit Nicolas

- Par le Petit Nicolas (avec l’aimable complicité d’Anne Goscinny). Dessin de Sempé *

Maman ! Maman ! j’ai crié en rentrant de l’école.

– Que se passe-t-il encore ? a fait maman qui avait l’air très occupée. Elle est sortie de la cuisine et s’est essuyé les mains sur son tablier. – Nicolas ! Je n’aime pas quand tu te comportes comme un sauvage. Tu as toute la journée pour crier. J’ai besoin de calme quand je fais un gâteau.

Je n’aime pas contrarier maman, alors sans crier, je lui ai expliqué qu’aujourd’hui c’était drôlement chouette à l’école parce que la maîtresse nous a dit que maintenant qu’on était grands, on allait apprendre à faire des fiches de lecture. – C’est très bien mon chéri. Maintenant, va faire tes devoirs.

Je suis monté dans ma chambre, un peu déçu quand même que maman ne m’ait pas demandé sur quel livre on devrait faire cette fameuse fiche. J’ai un peu joué avec mon camion rouge, j’ai jonglé avec les balles que m’a offertes tonton Eugène pour mon anniversai­re et quand j’ai entendu papa arriver, j’ai commencé mes devoirs. – Bonsoir chérie ! Bonsoir Nicolas ! Je suis descendu embrasser mon papa parce qu’après une dure journée au bureau, il est toujours content de me voir.

– Papa ! Papa ! j’ai crié. Tu ne devineras jamais !

Maman est arrivée, elle n’avait pas l’air très contente.

– Nicolas ! Je t’ai dit que j’avais besoin de calme.

Papa m’a pris sur ses genoux et m’a dit dans l’oreille.

– Alors, cette nouvelle formidable ? il m’a dit.

– La maîtresse nous a demandé de faire une fiche de lecture ! Et moi, je vais en faire une terrible !

– C’est une excellente initiative, a approuvé papa. Moi, quand j’avais ton âge, je lisais déjà beaucoup. J’adorais les romans policiers. Il est temps que tu apprennes à aimer lire. La lecture, c’est une porte ouverte sur la liberté.

– En attendant la liberté, a fait maman, le rôti va être trop cuit. À table ! Pendant le dîner, papa m’a raconté un roman policier terrible avec des gangsters et des gendarmes.

– Et cette fiche de lecture, elle va porter sur quel livre ? a demandé maman.

– Je ne me souviens plus du titre, mais c’est l’histoire d’un petit garçon qui demande à un aviateur de lui dessiner un mouton. Moi j’adore les aviateurs !

– Et pour quand tu dois lire ce livre ? a demandé papa.

– Pour après les prochaines vacances, j’ai répondu, très fier.

– Après les prochaines vacances ? a répété maman en se mouchant comme quand elle essaye de ne pas pleurer.

Je ne supporte pas quand maman est triste.

– Tu rappellera­s à ta maîtresse que toutes les librairies sont fermées, elle a murmuré en s’essuyant les yeux avec sa serviette.

– Mais alors, j’ai dit, le petit garçon du livre, comment il va faire pour que l’aviateur lui dessine son mouton ? Papa a embrassé maman, et m’a pris sur ses genoux.

– Nicolas, il faut être fort. Tu es un homme maintenant. Apporte-moi une feuille, je vais lui dessiner moi son mouton au petit garçon.

Je suis monté dans ma chambre en pleurant. C’est vrai, c’est pas juste quoi à la fin, moi je voulais le lire ce livre.

Si la maîtresse croise celui qui a décidé de nous empêcher d’acheter des livres, elle lui fera copier cent fois à tous les temps de l’indicatif et du subjonctif :

« Je ne dois pas fermer les librairies parce que les livres sont des portes ouvertes sur la liberté. »

* Adaptation avec l’aimable autorisati­on de la succession Saint-Exupéry.

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