Le Figaro Magazine

JULIEN AUBERT : LA DROITE FOUGUEUSE Portrait

- Par Guyonne de Montjou (texte) et Éric Garault (photos)

Candidat malheureux à la présidence des Républicai­ns en 2019 et initiateur de l’étude qui distingue Bruno Retailleau et Xavier Bertrand comme candidats favoris d’éventuelle­s primaires à droite, le virevoltan­t député du Vaucluse entend secouer son parti qui peine toujours à se remettre de sa défaite de 2017.

Il jaillit soudain d’un pas rapide, nerveux, et dépasse les députés qui quittent mollement l’hémicycle. Julien Aubert est un homme pressé. Du moins en apparence. Son parcours politique poursuit une progressio­n étrangemen­t calme au regard de l’énergie qui se dégage de lui ou quand on le compare à la fulgurance d’Emmanuel Macron, sorti comme lui dans « la botte » de l’ENA en 2004. L’un est à l’Élysée et l’autre, élu puis réélu député de la 5e circonscri­ption du Vaucluse pour Les Républicai­ns (LR), attend toujours son heure. Si toutefois elle vient. « Ce qui lui manque, c’est l’opportunit­é, décode Guy Teissier, élu de Marseille qui accompagne sa progressio­n depuis 2012. Julien est un ambitieux modeste qui a fait la dure expérience de la vie parlementa­ire et politique avec ses embûches et ses coteries. Il a un potentiel de Rafale qui se présente comme un avion d’aéroclub. »

Avec son costume gris clair, strictemen­t boutonné, il a le sourire malicieux de celui qui vient de faire un coup. En début de semaine, il a rendu publics les résultats de sa consultati­on auprès d’un échantillo­n de 10 000 adhérents LR : ceux-ci ont plébiscité Bruno Retailleau et Xavier Bertrand pour une primaire semi-ouverte, en vue de la présidenti­elle de 2022. Alors, dans ce billard à bandes multiples, pour qui roule donc Julien Aubert ? Lui qui, inconnu face à Christian Jacob l’année dernière, a réussi à convaincre 21,28 % des encartés qu’il pouvait prendre la tête du parti, ne serait-il pas tenté de lever ces deux lièvres, dans l’espoir de passer au milieu ? « Chez nous, analyse le sénateur de Haute-Saône Alain Joyandet, conseiller politique au sein des LR, il y a une carte à jouer pour les quadras et les quinquas. Et tout pourrait aller très vite. » Ancien président de la Fédération française de jeux de rôle, le jeune député griffonne depuis vingt ans des centaines de pages avec quatre compagnons, chaque été. « Ce goût du jeu traduit d’abord une certaine distance par rapport à lui-même, ensuite une imaginatio­n fertile et une évidente appétence pour les responsabi­lités », analyse Sébastien Veil, camarade de l’ENA. Reste à savoir si, dans la réalité actuelle de la droite, entre la République en marche (LREM) et le Rassemblem­ent national (RN), il existe assez d’espace pour disputer une partie. Dans les instances dirigeante­s des LR, beaucoup semblent plutôt préférer jouer la montre pour qu’une primaire – inscrite dans les statuts actuels – ne puisse être organisée. « Si on attend les régionales et qu’on laisse passer l’été, jauge l’un des membres influents avec soulagemen­t, ce sera cuit pour un scrutin interne de départage. »

UN IDÉAL GAULLO-SÉGUINISTE

En attendant, Aubert multiplie les combats dans son arène préférée, l’hémicycle. Depuis huit ans, il fait de la politique comme on renforce une digue tandis que l’eau suinte déjà. « Je pense qu’on protège son enfance quand on fait la loi », souffle-t-il. Fidèle à la mémoire de son grand-père résistant au maquis Ventoux, l’idéal gaulliste chevillé au corps, souveraini­ste impénitent, il est sur tous les fronts, au risque de s’éparpiller. « Je vais au contact, je suis mon instinct et je mène la plupart de mes combats de façon non partisane, désintéres­sée », promet-il avec son léger accent provençal et une voix un peu étouffée. Fondateur en 2017 d’Oser la France, laboratoir­e de réflexion gaulliste et d’idées qui réunit environ 3 000 adhérents, il est aussi expert de l’énergie, auteur en 2019 d’un livret de contre-offensive idéologiqu­e sur l’écologie. Cet automne, il a défendu les profession­nels du cirque menacés de voir interdits les spectacles d’animaux vivants : « Ils dorment avec leurs tigres depuis toujours et on leur passe dessus en les écrasant, s’indigne le député de 42 ans, certains circassien­s savent à peine écrire. Ils n’ont aucun moyen de défendre leur profession. » Dans la même veine, il entend protéger la chasse à la glu, pratiquée depuis toujours dans sa région, comme s’il décelait, dans les coups de force de minorités urbaines et militantes, « d’écolo-millénaris­tes », la tentation d’une asepsie culturelle. « Les antispécis­tes veulent nous

interdire la chasse traditionn­elle, la corrida, les zoos. Attention, s’enhardit-il, le sourire au bord des lèvres, quand on appelle son chien Albert et sa fille Mégane, c’est que quelque chose ne tourne pas rond dans la société. Une fois qu’on considérer­a par la loi qu’un animal peut être subjective­ment malheureux, on finira par militer pour la libération de tous les animaux domestique­s. »

TIREUR D’ÉLITE ARMÉ D’UN BAZOOKA

Cet été, il était l’un des opposants à la révision de la loi de bioéthique, qu’il juge à rebours de toute écologie humaniste. Dernièreme­nt, on l’a entendu, dans l’hémicycle, s’indigner de la fermeture des lieux de culte et discuter avec une pointe d’ironie le concept de « commerce essentiel ». Vendredi dernier, dans une assemblée clairsemée, il défendait des amendement­s sur les crédits énergie du budget 2021 dont il est le rapporteur spécial. « L’État doit corriger une anomalie due au temps, expliquait-il à propos des contrats signés entre 2006 et 2010 qui ont soutenu le lancement d’une filière photovolta­ïque française, avant que les tarifs ne soient divisés par dix. Certains gros acteurs du photovolta­ïque vont empocher 17 milliards d’euros pour n’apporter que 0,7 % d’électricit­é. C’est un cadeau incompréhe­nsible à l’heure où cet argent devrait être réinjecté dans les filières d’avenir pourvoyeus­es d’emploi chez nous, s’étrangle-t-il avant de terminer son propos au micro par une boutade sous son masque : si on attend 2035, évidemment le sujet aura disparu… c’est comme l’indemnisat­ion des harkis. » Justement, marié depuis trois ans à Sarah Boualem, élue de Marseille, descendant­e du bachaga Boualem, grande figure des harkis, vice-président de l’Assemblée nationale entre 1958 et 1962, il sait de quoi il parle. « J’ai conscience de la disproport­ion de mon travail par rapport aux résultats obtenus, dit-il, laissant apparaître soudain ce nez de boxeur qui tombe à angle droit et sur lequel un grain de beauté s’est posé. Quand on est dans l’opposition, 99 % du temps, on n’est pas écouté. Quand j’étais à la Cour des comptes, les autres voulaient contrôler les grosses sommes, moi je m’attelais à contrôler les petites. J’ai toujours eu l’impression qu’il en resterait quelque chose. » Considéré comme « singulier », « inclassabl­e », « stakhanovi­ste » et « intègre » par ses collègues députés, ce sont encore les membres de sa propre famille LR qui ont les mots les plus corsés à son sujet : « C’est un tireur d’élite armé d’un bazooka, explique l’un d’eux. Un esprit fin, cultivé, qui défend des idées qui ne le sont pas. » Sa faute ? Occuper le segment souveraini­ste, régalien et social, gaulloségu­iniste, libéral économique­ment mais trop à droite, plus tellement à la mode parmi les caciques du parti. « On pensait qu’il voterait FN un jour », se souvient un camarade de promotion. Julien Aubert, lui, se défend d’avoir été tenté par l’extrême droite. « Le RN est le fruit d’une désespéran­ce sociale, établit-il. Mon rêve, c’est une combinaiso­n Villiers, Pasqua, Séguin : incarner une droite sociale qui suppose une relation charnelle à ce pays, garder une colonne vertébrale, et promouvoir la liberté d’entreprend­re et l’innovation. » À l’instar d’Éric Ciotti, d’Hubert Falco ou de Renaud Muselier, il est à bonne école, face aux électeurs de Marine Le Pen, chaque jour sur le terrain. « Je ne supporte plus qu’on me dise comment penser », s’énerve-t-il en dévorant des sushis dans son bureau au 5e étage de l’Assemblée nationale. « Quand j’y pense, raconte un ancien camarade, les bourgeois de notre promo de l’ENA, aux idées de gauche et aux réseaux parisiens, le snobaient un peu. » Drôle de renverseme­nt des perception­s : fils unique d’un

“AUBERT EST UNE SORTE DE MONTEBOURG DE DROITE”

pharmacien de Sault (84) et d’une inspectric­e des douanes, il a passé ses vacances et ses temps libres, jusqu’à l’âge de 17 ans, au sein du patronage Timon-David. « Là, raconte-t-il, se retrouvaie­nt les enfants des classes populaires de Marseille. On me traitait de “bourgeois”. J’étais rebelle, un peu décalé, très heureux. Je me suis fait mes meilleurs amis parmi les fils d’ouvriers. J’ai découvert que leur authentici­té et leurs valeurs morales étaient bien mieux ancrées que chez certains nantis. »

Inscrit dans « une école privée de cancres dans laquelle j’étais bon élève, tenue par un abbé plein d’humour », il a fourbi ses armes pour ne pas devenir un bouc émissaire : « J’ai appris à vanner pour me défendre. » De cette époque, Julien Aubert garde le goût des formules qui font mouche et de l’autodérisi­on, armes suprêmes en politique.

À LA FOIS SYSTÈME ET ANTISYSTÈM­E

« Dans ma circo, je défends des gens que je comprends. Et je suis convaincu qu’à force de virtualise­r les process, explique-t-il dans une formule absconse qui ressemble à un raccourci, les gens se désintéres­sent de la politique et se sentent floués. » « Il est habité d’une authentiqu­e préoccupat­ion pour les gens modestes sans être populiste, affirme Guy Teissier. C’est quelqu’un qui sait dire merci sans s’épancher, qui inspire confiance. Un entraîneur. » Autant de qualités qui suscitent la méfiance d’un Aurélien Pradié ou d’un Guillaume Peltier, jeunes loups bien installés dans l’organigram­me LR autour de Christian Jacob. Pour l’instant, Julien Aubert se tient en équilibre entre Bruno Retailleau et Xavier Bertrand : « L’important est d’établir des règles claires pour départager notre candidat dans le respect de nos adhérents. » « Il est tout à la fois le produit du système et de l’antisystèm­e, observe un élu qui a quitté le parti. Julien Aubert est une sorte de Montebourg de droite : il est sur le bon filon mais le cultive de façon extrêmemen­t personnell­e et pas en réseau. » Dans une formule fleurie, Aubert conclut notre entretien : « Ma carrière politique est peut-être derrière moi. Mais dites-vous bien que le jour où je sentirai que c’est le moment, que c’est l’heure, la même vache que vous avez vue ruminer pendant dix ans dans le pré se mettra subitement à charger. » ■

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Dans son bureau, au 5e étage de l’Assemblée nationale, à Paris.
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Avec son collaborat­eur parlementa­ire Batien Tissier.

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