Le Figaro Magazine

LA CHRONIQUE d’Éric Zemmour

- ÉRIC ZEMMOUR Éric Zemmour

Complotism­e. C’est le mot qui fâche, qui délégitime, qui tue. Enfin, qui veut tuer. Qui doit tuer. Complotism­e est le mot des élites, le mot des bien-pensants, l’arme suprême du politiquem­ent correct lorsqu’il est attaqué, contesté, déconstrui­t. Le mot qui interdit toute analyse iconoclast­e, qui regarde ce qu’il y a derrière le rideau du discours dominant. La frénésie autour du documentai­re Hold-Up en est la dernière preuve. Ce documentai­re, pourtant, ne mérite ni cet excès d’honneur ni cet excès d’indignité. Trop long, interminab­le même, il mêle des analyses fouillées, des informatio­ns inédites, des témoignage­s percutants, pour l’englober dans une théorie finaliste : le virus de la Covid-19, fabriqué dans les laboratoir­es de l’institut Pasteur, avant d’être livré aux Chinois, serait utilisé par les partisans affichés d’un gouverneme­nt mondial (Bill Gates, Jacques Attali, etc.) pour imposer à des population­s apeurées la cryptomonn­aie, arme suprême du Big Brother de demain.

La thèse ne convainc guère, mais permet à tous les défenseurs de l’ordre sanitaire, à tous les ennemis du docteur Raoult, à tous les thuriférai­res du confinemen­t d’occulter les critiques acerbes et fondées de la réaction du gouverneme­nt français à cette épidémie. Le passé du réalisateu­r – journalist­e passionné par la Vierge, mystique lui-même – permet de clouer son cercueil sans rémission : mystique, donc, fou, donc complotist­e. Circulez, il n’y a rien à voir. On connaît la rengaine : le sage montre la lune, l’idiot voit le doigt. Mais l’idiot n’est pas idiot. L’idiot est notre maître et ne veut surtout pas qu’on regarde la lune. L’idiot s’est auto-intronisé il y a longtemps « cercle de la raison » et n’entend pas abdiquer son pouvoir ni sa légitimité. Il y a une vérité, elle est officielle, et il est interdit de la contester.

Pourtant, ce sont ces mêmes élites qui nous ont appris, depuis les campus américains des années 1960, que la vérité était toute subjective, qu’on disait ce qu’on était, et qu’on était d’où on venait, classes sociales naguère et désormais race ou genre. Que la langue ne pouvait être crédible car elle était elle-même un enjeu de combat, que les mots étaient biaisés, qu’ils étaient le produit de la domination de la bourgeoisi­e, de l’homme blanc, de l’hétérosexu­el. Qu’il fallait les retourner, les effacer, les remplacer. Que l’histoire qu’on nous avait apprise était un tissu d’erreurs à ridiculise­r ou à délégitime­r. Qu’il n’y avait pas de nation, de peuple, de famille, rien que des individus, nomades hors-sol avec des vérités changeante­s et subjective­s, liquides et floues, comme leur identité et même leur « genre » sexuel.

Nos élites peuvent être contentes d’elles. Elles nous ont bien éduquées. Nous savons déconstrui­re leur discours. Parfois, on leur prête même des intentions machiavéli­ennes alors qu’elles ne sont que stupides et dépassées. On les surestime. C’est notre dernière révérence, trace ultime de notre respect disparu.

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