Le Figaro Magazine

EN VUE Lewis Hamilton

Un champion trop grand pour la F1

- Cédric Callier

Couronné dimanche dernier pour la 7e fois champion du monde, le Britanniqu­e a pris cette année une dimension qui le laisse bien à l’étroit dans le cadre de sa discipline.

Sept titres mondiaux. Le record de Michael Schumacher égalé. Le tout en signant une 94e victoire exceptionn­elle lors d’un Grand Prix de Turquie rendu homérique par les conditions météorolog­iques. Dimanche dernier, à Istanbul, Lewis Hamilton a ajouté une nouvelle page à sa légende. Peut-être bien la plus belle. En tout cas, ses larmes de joie – si inhabituel­les chez lui – après la course en disaient long sur son bonheur intense. Et sa fierté de rejoindre Schumacher dans l’histoire de la Formule 1. À 35 ans, le Britanniqu­e apparaît comme au sommet de son art. Intouchabl­e. Indépassab­le. Pour ses pairs, mais aussi pour la discipline elle-même qu’il écrase sportiveme­nt et médiatique­ment. Ce qui amène aujourd’hui à se poser cette question : qui, de la F 1 ou de Hamilton, a le plus besoin de l’autre pour exister ?

Sur le plan sportif, l’interrogat­ion n’a plus de raison d’être. Même Sebastian Vettel, quadruple champion du monde de la discipline au début des années 2010, a fait acte d’allégeance à Istanbul : « Il n’aurait pas dû gagner, mais il l’a fait quand même. Il a encore réalisé quelque chose d’unique. Il est le plus grand pilote de notre ère. » Depuis quatre ans, Hamilton a rendu caduc tout concept de suspense au sein de la reine des compétitio­ns automobile­s. Et personne ne l’imagine rater la marche d’un 8e sacre la saison prochaine tant le couple qu’il forme avec Mercedes apparaît au-dessus des autres. Au point d’en être lassant ? Certains regrettent, ou minimisent, une telle domination. Comme sir Jackie Stewart qui déclarait à son propos il y a quelques semaines : « Sa voiture et son moteur sont tellement supérieurs que la compétitio­n en est presque faussée. »

Un bien triste procès. Reproche-t-on aux footballeu­rs de vouloir tous signer dans les meilleurs clubs ? Prendrait-il à Cristiano Ronaldo l’idée de signer à Brest ou Amiens pour voir s’il peut y gagner la Ligue des champions ? Hamilton a fait de Mercedes la meilleure écurie du plateau autant que l’inverse. Si l’intérêt pour la F 1 a fléchi durant quelques saisons et qu’il demeure fragile malgré les opérations séduction sous forme de documentai­res sur Netflix et de nouvelles règles, c’est essentiell­ement en raison du manque de dépassemen­ts en course et de son image, forcément polluante, si peu dans l’air du temps. Même si Jean Todt, le président de la Fédération internatio­nale de l’automobile (FIA), ambitionne une émission neutre en carbone d’ici à dix ans. A contrario, dans ce marasme ambiant, Hamilton représente une bouffée d’oxygène salvatrice en raison d’une personnali­té certes clivante, mais qui n’abandonne personne au bord de la route.

Avec les années, en effet, le jeune garçon qui découvrait la F 1 à 22 ans est devenu un homme. De jet-setteur capable de prendre son avion privé juste pour se rendre à une « party » à l’autre bout de la planète, Hamilton est devenu un défenseur de l’environnem­ent et de la cause animale. Surtout, depuis la mort de George Floyd le 25 mai dernier aux États-Unis, le Britanniqu­e a pris fait et cause pour le mouvement Black Lives Matter, entraînant dans son sillage Mercedes, qui a revu les couleurs de sa monoplace, et l’ensemble du paddock. Et comme un symbole, dimanche en Turquie, sur la première marche du podium, il a levé le poing, un geste en hommage aux athlètes John Carlos et Tommie Smith qui en avaient fait de même lors des Jeux olympiques de 1968.

Une conscience politique de plus en plus affirmée et structurée qui lui confère une aura bien plus importante que celle d’un simple pilote. Même septuple champion du monde. D’ailleurs, Hamilton restera-t-il encore longtemps en F 1 ? Il y a une quinzaine de jours, il avait laissé planer un doute concernant son éventuelle prolongati­on de contrat chez Mercedes pour 2021. Il se pourrait qu’il s’agisse d’une manoeuvre, classique, pour négocier à la hausse son engagement. Mais peut-être commence-t-il également à être animé d’aspiration­s bien plus grandes que l’étroit cockpit de sa monoplace…

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