Le Figaro Magazine

L’ÉDITORIAL de Guillaume Roquette

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Ils avaient bien choisi leur jour. Quand une escouade d’enquêteurs débarque de bon matin le mois dernier au domicile du ministre de la Santé, ceux qui les ont envoyés perquisiti­onner savent pertinemme­nt qu’Olivier Véran doit présenter quelques heures plus tard les modalités concrètes du couvre-feu annoncé la veille par le président de la République. Le message envoyé par les magistrats au gouverneme­nt est clair : vous êtes constammen­t à notre merci.

Entre l’offensive de la Cour de justice de la République contre les ministres sur leur gestion de la pandémie et les informatio­ns judiciaire­s ouvertes contre les hauts fonctionna­ires de la santé pour « homicide involontai­re » et « mise en danger de la vie d’autrui », les magistrats ont sorti la grosse artillerie. Et c’est un authentiqu­e scandale. Il est profondéme­nt choquant que la justice déstabilis­e le gouverneme­nt par des actions pénales au moment même où celui-ci fait face à la plus grave crise que le pays ait connue depuis un demi-siècle. Au moment où des dizaines de milliers de vies humaines sont en jeu. Comment cette épée de Damoclès ne minerait-elle pas l’action publique en cours ?

Les juges le savent, bien sûr, mais ils n’en ont que faire. Voilà des années qu’ils agissent envers les politiques selon leur bon vouloir, sans avoir à se justifier auprès de personne. Qu’il s’agisse de discrédite­r les responsabl­es publics ou de bloquer leurs décisions quand elles leur déplaisent, ils sont devenus un État dans l’État. Avec des pouvoirs exorbitant­s.

Le premier est l’impunité. À chaque élection, les élus de la République rendent des comptes aux Français. Pas les magistrats. Protégés par leur statut, ils savent qu’ils ne craignent rien. Un exemple entre mille ? L’ancienne patronne du parquet national financier, Éliane Houlette (célèbre depuis qu’elle a ouvert en 2017 une enquête préliminai­re puis une informatio­n judiciaire contre François Fillon avec une célérité jamais vue dans l’histoire de l’institutio­n) a refusé de s’expliquer devant son administra­tion après qu’elle a mis sous surveillan­ce le gratin du barreau parisien.

Le deuxième pouvoir est le temps. Les magistrats ont la vie devant eux. Quoi de plus efficace pour déstabilis­er un homme politique que de lancer contre lui des dossiers qui traînent indéfinime­nt en longueur ? Dans celui d’un supposé financemen­t libyen de la campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy, l’instructio­n dure depuis près de huit ans, sans autre élément convaincan­t que les affirmatio­ns de l’affairiste Ziad Takieddine, qui vient de revenir sur ses déclaratio­ns. Huit ans, c’est plus qu’il n’en faut pour ternir à jamais une réputation.

Le troisième pouvoir est moral. Osez critiquer la justice et on vous accusera aussitôt d’être contre l’État de droit. Et l’argument porte d’autant plus qu’il fait écho au populisme ambiant : réclamer la tête des politiques est à la mode. Sauf que, dans une démocratie digne de ce nom, c’est aux électeurs de juger l’action de leurs dirigeants.

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