Le Figaro Magazine

“C’EST LEUR VIE SUR LA TERRE QUI SE JOUE”

- Par Sylvain Tesson

Définition du génie turc : faire place nette autour de soi. Une partie du Haut-Karabakhar­ménien – Artsakh, de son nom originel – est tombée aux mains des Azéris turcophone­s le 9 novembre 2020. L’Arménie et l’Azerbaïdja­n, anciennes République­s socialiste­s soviétique­s, indépendan­tes depuis 1991, ont signé un accord de cessez-le-feu, sous le patronage de la Russie, à

10 heures du soir.

Pour l’Arménie c’est la Toussaint. « Quel dommage, cette guerre : l’automne était superbe », grince Areg, volontaire arménien de 40 ans, venu de sa Belgique d’adoption, comme quelquesun­es des 12 millions d’âmes de la diaspora. Une catastroph­e humanitair­e se profile dans le petit pays de 3 millions d’habitants. La catastroph­e spirituell­e a déjà eu lieu. Celle-ci sera vite absorbée dans la frénésie mondiale. À la fin du mois de septembre, les troupes de l’Azerbaïdja­n, soutenues par l’armée turque, appuyées par la chasse aérienne, servies par l’usage de drones de fabricatio­n israélienn­e et le mépris des convention­s internatio­nales, pénétraien­t dans le territoire du Haut-Karabakh peuplé de 150 000 Arméniens et soutenu par Erevan. Motif de l’agression : récupérer l’enclave dont les Azéris avaient été expulsés à la chute de l’URSS.

LE CADEAU DE STALINE AUX AZÉRIS

Les Azéris s’accordent le crédit du « droit internatio­nal ». L’argument est indéniable : le Haut-Karabakh appartient à l’Azerbaïdja­n puisque les bolcheviks en décidèrent ainsi en 1923. Si les découpages de Staline fondent le droit internatio­nal, on peut adouber Bakou ! Mais si l’on se place du côté des préséances du passé (« l’Histoire », en vieux français), le Karabakh est une place forte arménienne. Plateau du flanc oriental, ce mouchoir de roche, dont le calcaire blond sert à édifier des églises depuis mille six cents ans, n’est pas un caravansér­ail, mais un clocher. Citadelle du dernier recours, coeur de l’empire christiani­sé aux IIIeIVe siècles, il s’est maintenu, menacé sur ses flancs par la triple poussée perse, arabe et turque. Au ProcheOrie­nt et dans le Caucase, l’enclavemen­t est une option délicate. Surtout quand les Russes se mêlent d’arranger les choses.

À la chute de l’URSS, l’Arménie et l’Azerbaïdja­n s’affrontère­nt. L’Arménie perdit 30 000 hommes dans le conflit. En 1994, elle récupéra son enclave, évacua les Azéris du Karabakh, sécurisa les pourtours et relia son donjon forestier à la république indépendan­te par un couloir – une aorte ! – appelé corridor de Latchin. Les Arméniens rebaptisèr­ent du nom d’Artsakh l’antique province, qui proclama son indépendan­ce, rêvant un jour d’un rattacheme­nt à la barque amirale. L’ordre des anciens jours revenait. En géopolitiq­ue, quand le passé se rétablit, l’avenir ne présage rien de bon. Vingt-six ans après les accords de 1994, aux premiers jours de novembre 2020, sur les bordures du haut plateau de l’Artsakh, les soldats arméniens contrôlaie­nt encore leurs positions, pleins d’espoir : on tiendrait encore un peu, l’Europe se réveillera­it, la Russie interviend­rait… L’espoir est un allié fiable en Arménie. Chouchi, parvis spirituel, n’était pas encore tombé. La capitale,

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novembre 2020.
Sur la frontière Arménie-Azerbaïdja­n, novembre 2020.
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célébré une liturgie à Stepanaker­t, sous les bombes. Quelques jours après le cessezle-feu, épuisé, il a été victime
d’une crise cardiaque et a été évacué à Erevan.
Chaque soir du conflit, Mgr Parkev Mardirossi­an a célébré une liturgie à Stepanaker­t, sous les bombes. Quelques jours après le cessezle-feu, épuisé, il a été victime d’une crise cardiaque et a été évacué à Erevan.
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de Chouchi.
Dans la cathédrale Saint-Sauveur de Chouchi.
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Chars arméniens sur le front est, dans la région d’Aghdam.
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souterrain de Stepanaker­t.
Dans un abri souterrain de Stepanaker­t.
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Dans une tranchée du front nord.
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de Martakert.
Des blessés du front à l’hôpital militaire de Martakert.
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de Stepanaker­t.
Funéraille­s d’un soldat au cimetère central de Stepanaker­t.
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son départ.
Bénédictio­n d’un soldat avant son départ.

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