Le Figaro Magazine

EH BIEN ! LA GUERRE

Le deuxième roman d’Alexandre Guyomard résume avec drôlerie le conflit entre les dernières génération­s arrivées sur le marché du travail.

- LE LIVRE DE FRÉDÉRIC BEIGBEDER

Youpi ! Notre descente en flammes de Léna Situations a obtenu l’effet escompté. Les milléniaux (eux disent « millenials » car ils ignorent la grammaire française) ont compris mon message : la jeunesse n’interdit pas d’utiliser son cerveau. Alexandre Guyomard doit être considéré comme l’exception qui confirme la règle. Il existe donc un jeune homme muni de culture et d’autodérisi­on, qui se fout littéraire­ment de la génération précédente. Tel est le devoir de tout jeune romancier depuis la nuit des temps. Les anciens sont là pour être dézingués, à condition de les massacrer avec talent pour prendre leur place, avant de devenir ringard à son tour. Ce système fonctionne assez bien depuis Socrate et Alcibiade. Il est même défini dans notre hymne national (qui est aussi l’exergue de ce roman) : « Nous entrerons dans la carrière/Quand nos aînés n’y seront plus. » N’est-il pas étonnant que la France oublie tellement la Marseillai­se en séquestran­t sa jeunesse pour sauver ses retraités ? Louis, l’antihéros d’OK Boomer, se fait virer de son agence de publicité. Il vit en colocation avec trois glandeurs des deux sexes, boit toute la journée en regardant des pornos, rêve de foutre le camp au Pérou ou à Capri (l’auteur vit au Panama), n’a couché avec personne depuis plusieurs mois. De nos jours, l’existentia­lisme est un victimisme : « C’est à cause d’eux qu’on n’a pas de boulot, ou alors des boulots de merde. » Il voudrait tuer un baby-boomer pour se venger. On peut donc considérer OK Boomer comme un remake de L’Étranger de Camus en remplaçant l’Arabe sur la plage par Thierry Ardisson à Paris 8e. Mais ce meurtre, Dieu merci purement symbolique et complèteme­nt mythomane, n’est pas l’enjeu principal. Chez Guyomard, on a le désespoir décalé et la lucidité stimulante. « Le pervers narcissiqu­e avait fait son apparition dans les magazines féminins pour remplacer ce que l’on appelait auparavant un connard », « Diogène brandissai­t sa lanterne, on agite nos smartphone­s, et on ne sait toujours pas ce qui fait un homme. » Moi, quand je reçois ce genre de phrases, je me régale et j’accepte tout : l’insolence, la frime, la mauvaise foi, plus rien ne me gêne quand c’est envoyé avec fougue. Guyomard s’énerve comme Zoé Sagan dans Kétamine (Au Diable Vauvert), autre pamphlet agressif contre les-vieux-qui-tirent-lesficelle­s-et-refusent-de-céder-le-pouvoir (nous, quoi). La révolte gronde chez les arrivistes début de siècle. Moralité : j’ai bien fait de quitter Paris pour me planquer au Pays basque.

OK Boomer, d’Alexandre Guyomard, Léo Scheer, 170 p., 17 €.

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