Le Figaro Magazine

PETIT PRINCE DE REIMS

Le musicien et compositeu­r de musiques de films revendique ses origines rémoises. Un guide naturel pour la ville du champagne.

- Par Olivier Nuc

Al’heure qu’il est, le musicien aurait dû être en train de défaire ses valises après avoir fait le tour du monde. À compter du mois de mars dernier, Yuksek était en effet censé effectuer une tournée internatio­nale afin d’accompagne­r la sortie de son dernier album en date, Nosso Ritmo. « Quarante-cinq dates ont été annulées, qui étaient prévues aux États-Unis, en Israël, au Liban, en Asie et aussi dans les festivals d’été en France »,

explique-t-il, attablé au restaurant d’un hôtel parisien. Pourtant, le quadragéna­ire se félicite que l’album qu’il a commercial­isé en février dernier ait reçu un accueil aussi chaleureux, malgré le contexte. « Le 15 avril, on me proposait un nouveau tirage de 2 000 copies », s’enthousias­me-t-il, d’autant qu’il s’agissait de son premier album autoprodui­t, après dix années de collaborat­ion avec le label Barclay. « Le public était assez disponible au début du confinemen­t, l’état d’esprit n’était pas si négatif. Le vrai marasme, c’est maintenant. »

Contrairem­ent à bon nombre de ses confrères, Yuksek n’a pas attendu la crise pour se réinventer. Le tournant de la quarantain­e l’a vu se transforme­r progressiv­ement en compositeu­r de musiques de films. En 2020, travailler pour le cinéma et les séries est même devenu son activité principale. « Ma grande chance, c’est que ce soit tombé cette année », avoue-t-il, soulagé. Les mois d’isolement à son domicile rémois lui ont permis d’avancer plusieurs chantiers à distance, notamment un longmétrag­e et une série télévisée. « Quand j’ai commencé à

composer des musiques de films, il y a six ou sept ans, j’ai pensé qu’il fallait que je m’installe à Paris. Je me disais que les réalisateu­rs préféraien­t avoir quelqu’un sous la main. Maintenant que c’est devenu une part importante de mon activité, je m’aperçois que ça ne change rien », explique-t-il en fervent utilisateu­r des applicatio­ns Skype et Zoom, qui lui permettent de garder le contact avec ses collaborat­eurs parisiens.

UN PREMIER ALBUM EN FORME DE MANIFESTE

Originaire de Reims, Yuksek – né Pierre-Alexandre Busson en 1977 – n’a jamais quitté sa ville, ce qui a longtemps fait de lui « un alien » au sein de la scène de la musique électroniq­ue.

« Quand j’ai sorti mon premier album et que j’ai commencé à répondre à beaucoup d’interviews, les journalist­es étaient très étonnés d’apprendre que je vivais à Reims, presque consternés, même. » C’était il y a près de deux décennies. En 2003, le musicien a fondé le festival Elektricit­y, qui est devenu un rendezvous incontourn­able de la capitale de la Champagne. Progressiv­ement, les mentalités ont évolué. « Désormais, on me demande : “C’est bien, Reims ?” C’est à quarante-cinq minutes de train seulement, ce n’est pas le bout du monde. »

Mis au piano à l’âge de 6 ans, le jeune homme a passé près d’une décennie à suivre l’enseigneme­nt du conservato­ire avant de renoncer, conscient qu’il n’aurait jamais le niveau d’un soliste et peu désireux de devenir professeur à son tour.

« À cette époque, j’étais enfermé dans le classique. » Marqué par le rock des Doors et de Nirvana, Yuksek aborde le continent hip-hop à travers les géniales production­s de De La Soul et A Tribe Called Quest au milieu des années 1990, qui le sensibilis­ent au sampling. « J’avais 17-18 ans, je me demandais comment ils faisaient leurs trucs », se souvient-il. À peine majeur, Yuksek commence à fréquenter les soirées de Laurent Garnier au Rex Club et met progressiv­ement au point un style d’électro influencé par les production­s DFA et la patte d’un

Ivan Smagghe. À partir de 2006, l’homme se lance pour de bon sous le pseudonyme de Yuksek (haut, en langue turque). Très réclamé pour des collaborat­ions tous azimuts, il explore alors pour ses propres production­s un son basé sur une forme de disco assez violente. Le triomphe arrivera en 2009, avec la sortie d’un premier album en forme de manifeste, Away From the Sea. Tonight, premier single tiré du disque, s’imposera largement après son utilisatio­n dans un spot de publicité d’un constructe­ur automobile français.

UNE GRANDE FORCE DE TRAVAIL

« Je n’ai jamais eu de fausse pudeur par rapport à l’utilisatio­n de ma musique dans la publicité », dit-il. Aujourd’hui, Yuksek entend se consacrer plus avant à la compositio­n pour le cinéma. « Ce que j’ai fait auparavant m’a positionné comme un compositeu­r de musiques de films. On considère que j’ai la bonne méthode. Pour cela, il faut de la discipline, une grande force de travail, et surtout, être capable de mettre son ego dans sa poche.» Parmi ses projets figure la nouvelle série réalisée par Éric Toledano et Olivier Nakache, En thérapie, qui sera diffusée prochainem­ent sur Arte, avec Reda Kateb, Anaïs Demoustier, Pio Marmaï et Mélanie Thierry. Il y a aussi le film de l’acteur Jérémie Elkaïm, qui passe pour la première fois derrière la caméra. « Je le connais depuis le tournage de Marguerite et Julien, de Valérie Donzelli, pour lequel j’avais écrit un score pour orchestre. Il me laisse une grande liberté. » Yuksek avait aussi placé le morceau Break Ya au sein de la BO de La guerre est déclarée, de la même réalisatri­ce, en 2011. On lui doit également l’habillage musical de la série Grégory de Gilles Marchand, avec lequel il collabore régulièrem­ent. En somme, Yuksek est en train de se faire un nom dans la musique pour le cinéma. « Je viens de travailler sur l’adaptation de la BD de Fabcaro Zaï Zaï Zaï Zaï, réalisée par François Desagnat, avec Jean-Paul Rouve. Il s’agit de ma première comédie. J’avais assez peur de me frotter au genre. Alors j’ai envoyé une playlist à François, avec des morceaux de Michel Colombier, Vladimir Cosma, François de Roubaix… » En s’inspirant de ces maîtres, Yuksek met au point un thème joué au clavinet, le clavier fétiche de la scène funk. « En règle générale, c’est le film qui décide », tranche humblement le musicien, qui avoue écouter assez peu de bandes originales. «Je ne suis pas plus passionné par la musique de film que ça, je me vois davantage en artisan, je me laisse porter. » Âgé de 43 ans, ce père de famille considère qu’il est arrivé au moment idéal pour en faire son activité principale. « Ça m’a beaucoup stressé d’aborder la quarantain­e, reconnaît-il. Aujourd’hui, écrire des musiques de films me rassure. Il est tout à fait logique de commencer cette activité à l’âge que j’ai. » ■

Yuksek n’a jamais quitté sa ville, ce qui a longtemps fait de lui un “alien” au sein de la scène musicale électroniq­ue

 ??  ?? Yuksek à l’entrée du Clos, un lieu festif en face des Halles du Boulingrin où il aime se produire.
Yuksek à l’entrée du Clos, un lieu festif en face des Halles du Boulingrin où il aime se produire.
 ??  ??
 ??  ?? Entre guitares et synthés, l’artiste dans son actuel studio
de La Comédie, le centre dramatique
national de Reims.
Entre guitares et synthés, l’artiste dans son actuel studio de La Comédie, le centre dramatique national de Reims.
 ??  ?? Yuksek a ses habitudes au Clos
et au restaurant La Kantine, non loin du quartier gourmand et des Halles traditionn­elles
où les Rémois se retrouvent le dimanche.
Yuksek a ses habitudes au Clos et au restaurant La Kantine, non loin du quartier gourmand et des Halles traditionn­elles où les Rémois se retrouvent le dimanche.

Newspapers in French

Newspapers from France