LE PEUPLE DES MANGROVES
LES MANGROVES
de Guinée-Bissau sont un trésor de biodiversité que les populations locales cherchent à préserver.
En proposant une alternative à la culture traditionnelle du sel, qui détruit peu à peu les forêts immergées d’Afrique de l’Ouest, l’ONG Univers-Sel, portée par des paludiers guérandais, s’efforce de préserver ces écosystèmes indispensables à la biodiversité, tout en apportant des solutions durables au maintien des populations locales.
Venus de France, des paludiers de Guérande aident les ethnies locales à protéger leur patrimoine naturel
Au pays des Balantes, peuple d’Afrique de l’Ouest surtout présent en Guinée-Bissau, mais également au Sénégal et en Gambie, c’est la fin de la récolte et du battage. Le riz est précieusement gardé et les rizières attendent patiemment l’arrivée des pluies. Des hectares de terres desséchées et craquelées à perte de vue, qui se métamorphoseront aux premières gouttes d’eau. « Le riz représente tout pour nous, il nous nourrit et nous construit. Sans riz, nous n’avons rien », assure Dinis, un agriculteur traditionnel. La riziculture exige une grande force de travail, et réclame beaucoup de main-d’oeuvre. Les Balantes s’entraident et adoptent alors une gestion communale de leurs rizières, organisant leur communauté autour du respect du système ancestral. En attendant les pluies, ce sont les danses et les chants qui inondent les rizières. Tous les villages avoisinants se rejoignent à Cambia à l’occasion du Kusunde, une fête ancienne qui n’a pas été célébrée depuis plusieurs années. Leurs milliers de pas soulèvent la poussière qui dépose son voile sur le village. Bordés de leurs grandes étoles enluminées, trois hommes expliquent : « Nous célébrons notre culture et nos récoltes. Si elles sont mauvaises, on ne peut pas organiser cette cérémonie et faire vivre nos traditions. Il faut nourrir nos invités et être fiers de nos terres et de notre travail. » L’énergie déborde.
UNE RÉVOLUTION AGRICOLE
Le prestige acquis lors de telles démonstrations permet une meilleure mobilisation de la main-d’oeuvre lorsque celle de leur morança (concession) n’est pas suffisante. Simão, que la fête submerge, est comme un enfant hilare et a du mal à contenir son sourire. « Cette année, les pluies ont été bonnes et grâce aux tuyaux apportés par les producteurs de l’association UniversSel, nous avons pu bien gérer l’eau et la garder plus longtemps. »
Depuis bientôt trente ans, cette association d’aide internationale à but non lucratif, et dont la plupart des membres sont des paludiers de Guérande, intervient en priorité dans les zones de mangrove sur la saliculture et la question de la gestion de l’eau dans les aménagements rizicoles. Désireux de partager leurs techniques traditionnelles, les paludiers français se sont durablement engagés auprès des producteurs salins locaux. L’association, qui n’a cessé de multiplier les actions au Bénin et en Guinée-Conakry, où les forêts de mangrove reculent et s’appauvrissent, déstabilisant les équilibres de vie, essaie de faire adopter le procédé solaire de production de sel et épaule les producteurs dans la réhabilitation et l’aménagement de leurs périmètres rizicoles. En s’appuyant sur leurs propres pratiques et au travers de techniques respectueuses de l’environnement, peu coûteuses et
facilement appropriables, ils ont réussi à faire passer à la fois un message d’espoir et un véritable savoir-faire. À l’origine, Univers-Sel est né du constat de la déforestation massive des zones de mangrove au Bénin. En permettant la formation de « tannes », ces terres sursalées qui s’étendent en lisière des palétuviers, à la limite supérieure de l’estran, les mangroves sont en effet à l’origine de ces vastes espaces dénudés, baignés de soleil, d’où est puisé le sel. En Afrique de l’Ouest, les producteurs grattent les terres salées et les filtrent pour obtenir la saumure issue du lessivage des croûtes de terre. Puis celle-ci est chauffée sur le feu pour que l’eau s’échappe. En Guinée-Bissau, le sel cristallise grâce à la combustion et s’amasse dans des bassines après de longues heures de travail. Mais environ 3 tonnes de bois sont nécessaires à la production d’une tonne de sel. Outre ses impacts sur le milieu environnant, la saliculture ignigène est néfaste pour la santé. Les épaisses fumées brûlent les yeux et les poumons, les feux rivalisent avec la chaleur du soleil. Mais grâce à la technique solaire inspirée des marais salants guérandais, cette méthode est peu à peu remplacée. La saumure est désormais disposée sur une bâche et sa cristallisation est naturelle. De la sorcellerie pensaient certains… avant que la magie ne prenne vie.
PARADIS DES FORÊTS MARINES
En Guinée-Bissau, où l’association s’est établie depuis six ans, les marées chassent les eaux salées dans les terres sur une distance de plus de 150 kilomètres. Une zone de marnage étendue offrant aux mangroves un terrain idéal pour leur développement, comme dans l’archipel des Bijagos. Dans ce territoire morcelé de 88 îles et îlots, où la forêt immergée recouvre un quart des côtes, les huîtres s’unissent aux racines et font le bonheur des Bijagos, qui jonglent avec les marées pour les arracher et les ramener au village. Chaque jour, les pêcheurs et leurs filets serpentent entre les bolongs, des chenaux d’eau salée caractéristiques des zones côtières, et le rivage.
L’île de Formosa est une des plus grandes de l’archipel. Les chemins de sable qui mènent au village d’Acoco témoignent de l’importance de la culture du cajou. Les palmiers laissent entrevoir en leur sommet les quelques bouteilles qui recueillent le vin de palme, breuvage traditionnel partagé lors des cérémonies. Les jupes de racines et de fibres de bois des femmes, parfois teintées, affirment leur attachement à leur culture.
DANS UN SOUCI ÉCOLOGIQUE
Plus loin, le long de son estuaire, les mangroves bordent encore le Cacheu, un des principaux fleuves de la Guinée-Bissau qui se jette dans l’océan Atlantique. Taillées d’un seul morceau de bois, les pirogues s’y faufilent à la recherche des précieuses terres salées. Les femmes du village de Burro produisent du sel depuis plusieurs générations. Activité au centre des coutumes, la saliculture ignigène y est traditionnelle. Une tâche difficile à la charge des femmes et des jeunes filles. « Pour aller chercher les terres salées, il faut aller et venir en s’enfonçant dans la vase », sourit Binta. Les bassines débordantes dansent entre les palétuviers avant de rejoindre les fumées de la saline. Ici, seul le feu assure la cristallisation du sel. Produire du sel solaire serait un changement que peu d’entre elles imaginent encore. Les bâches à cristallisation d’Univers-Sel sont porteuses de solutions, mais aussi de doutes… Elles ne pourront être adoptées que lentement, avec une pédagogie fondée sur un accompagnement cohérent, rythmé sur les habitudes de vie et le respect des lois coutumières. En attendant, un peu plus loin, à Dabocunda, c’est déjà un succès. Ici, les femmes se sont toutes converties à la saliculture solaire. Les bâches ont envahi la saline et bouleversé le quotidien. « Je ne produisais plus de sel. Avec les tankis (bacs de cuisson),
En Afrique de l’Ouest, les populations
grattent les terres salées et les filtrent pour en extraire l’or blanc