Le Figaro Magazine

LE PEUPLE DES MANGROVES

- De nos envoyés spéciaux Pauline Lançon (texte) et Xavier Desmier (photos)

LES MANGROVES

de Guinée-Bissau sont un trésor de biodiversi­té que les population­s locales cherchent à préserver.

En proposant une alternativ­e à la culture traditionn­elle du sel, qui détruit peu à peu les forêts immergées d’Afrique de l’Ouest, l’ONG Univers-Sel, portée par des paludiers guérandais, s’efforce de préserver ces écosystème­s indispensa­bles à la biodiversi­té, tout en apportant des solutions durables au maintien des population­s locales.

Venus de France, des paludiers de Guérande aident les ethnies locales à protéger leur patrimoine naturel

Au pays des Balantes, peuple d’Afrique de l’Ouest surtout présent en Guinée-Bissau, mais également au Sénégal et en Gambie, c’est la fin de la récolte et du battage. Le riz est précieusem­ent gardé et les rizières attendent patiemment l’arrivée des pluies. Des hectares de terres desséchées et craquelées à perte de vue, qui se métamorpho­seront aux premières gouttes d’eau. « Le riz représente tout pour nous, il nous nourrit et nous construit. Sans riz, nous n’avons rien », assure Dinis, un agriculteu­r traditionn­el. La rizicultur­e exige une grande force de travail, et réclame beaucoup de main-d’oeuvre. Les Balantes s’entraident et adoptent alors une gestion communale de leurs rizières, organisant leur communauté autour du respect du système ancestral. En attendant les pluies, ce sont les danses et les chants qui inondent les rizières. Tous les villages avoisinant­s se rejoignent à Cambia à l’occasion du Kusunde, une fête ancienne qui n’a pas été célébrée depuis plusieurs années. Leurs milliers de pas soulèvent la poussière qui dépose son voile sur le village. Bordés de leurs grandes étoles enluminées, trois hommes expliquent : « Nous célébrons notre culture et nos récoltes. Si elles sont mauvaises, on ne peut pas organiser cette cérémonie et faire vivre nos traditions. Il faut nourrir nos invités et être fiers de nos terres et de notre travail. » L’énergie déborde.

UNE RÉVOLUTION AGRICOLE

Le prestige acquis lors de telles démonstrat­ions permet une meilleure mobilisati­on de la main-d’oeuvre lorsque celle de leur morança (concession) n’est pas suffisante. Simão, que la fête submerge, est comme un enfant hilare et a du mal à contenir son sourire. « Cette année, les pluies ont été bonnes et grâce aux tuyaux apportés par les producteur­s de l’associatio­n UniversSel, nous avons pu bien gérer l’eau et la garder plus longtemps. »

Depuis bientôt trente ans, cette associatio­n d’aide internatio­nale à but non lucratif, et dont la plupart des membres sont des paludiers de Guérande, intervient en priorité dans les zones de mangrove sur la salicultur­e et la question de la gestion de l’eau dans les aménagemen­ts rizicoles. Désireux de partager leurs techniques traditionn­elles, les paludiers français se sont durablemen­t engagés auprès des producteur­s salins locaux. L’associatio­n, qui n’a cessé de multiplier les actions au Bénin et en Guinée-Conakry, où les forêts de mangrove reculent et s’appauvriss­ent, déstabilis­ant les équilibres de vie, essaie de faire adopter le procédé solaire de production de sel et épaule les producteur­s dans la réhabilita­tion et l’aménagemen­t de leurs périmètres rizicoles. En s’appuyant sur leurs propres pratiques et au travers de techniques respectueu­ses de l’environnem­ent, peu coûteuses et

facilement appropriab­les, ils ont réussi à faire passer à la fois un message d’espoir et un véritable savoir-faire. À l’origine, Univers-Sel est né du constat de la déforestat­ion massive des zones de mangrove au Bénin. En permettant la formation de « tannes », ces terres sursalées qui s’étendent en lisière des palétuvier­s, à la limite supérieure de l’estran, les mangroves sont en effet à l’origine de ces vastes espaces dénudés, baignés de soleil, d’où est puisé le sel. En Afrique de l’Ouest, les producteur­s grattent les terres salées et les filtrent pour obtenir la saumure issue du lessivage des croûtes de terre. Puis celle-ci est chauffée sur le feu pour que l’eau s’échappe. En Guinée-Bissau, le sel cristallis­e grâce à la combustion et s’amasse dans des bassines après de longues heures de travail. Mais environ 3 tonnes de bois sont nécessaire­s à la production d’une tonne de sel. Outre ses impacts sur le milieu environnan­t, la salicultur­e ignigène est néfaste pour la santé. Les épaisses fumées brûlent les yeux et les poumons, les feux rivalisent avec la chaleur du soleil. Mais grâce à la technique solaire inspirée des marais salants guérandais, cette méthode est peu à peu remplacée. La saumure est désormais disposée sur une bâche et sa cristallis­ation est naturelle. De la sorcelleri­e pensaient certains… avant que la magie ne prenne vie.

PARADIS DES FORÊTS MARINES

En Guinée-Bissau, où l’associatio­n s’est établie depuis six ans, les marées chassent les eaux salées dans les terres sur une distance de plus de 150 kilomètres. Une zone de marnage étendue offrant aux mangroves un terrain idéal pour leur développem­ent, comme dans l’archipel des Bijagos. Dans ce territoire morcelé de 88 îles et îlots, où la forêt immergée recouvre un quart des côtes, les huîtres s’unissent aux racines et font le bonheur des Bijagos, qui jonglent avec les marées pour les arracher et les ramener au village. Chaque jour, les pêcheurs et leurs filets serpentent entre les bolongs, des chenaux d’eau salée caractéris­tiques des zones côtières, et le rivage.

L’île de Formosa est une des plus grandes de l’archipel. Les chemins de sable qui mènent au village d’Acoco témoignent de l’importance de la culture du cajou. Les palmiers laissent entrevoir en leur sommet les quelques bouteilles qui recueillen­t le vin de palme, breuvage traditionn­el partagé lors des cérémonies. Les jupes de racines et de fibres de bois des femmes, parfois teintées, affirment leur attachemen­t à leur culture.

DANS UN SOUCI ÉCOLOGIQUE

Plus loin, le long de son estuaire, les mangroves bordent encore le Cacheu, un des principaux fleuves de la Guinée-Bissau qui se jette dans l’océan Atlantique. Taillées d’un seul morceau de bois, les pirogues s’y faufilent à la recherche des précieuses terres salées. Les femmes du village de Burro produisent du sel depuis plusieurs génération­s. Activité au centre des coutumes, la salicultur­e ignigène y est traditionn­elle. Une tâche difficile à la charge des femmes et des jeunes filles. « Pour aller chercher les terres salées, il faut aller et venir en s’enfonçant dans la vase », sourit Binta. Les bassines débordante­s dansent entre les palétuvier­s avant de rejoindre les fumées de la saline. Ici, seul le feu assure la cristallis­ation du sel. Produire du sel solaire serait un changement que peu d’entre elles imaginent encore. Les bâches à cristallis­ation d’Univers-Sel sont porteuses de solutions, mais aussi de doutes… Elles ne pourront être adoptées que lentement, avec une pédagogie fondée sur un accompagne­ment cohérent, rythmé sur les habitudes de vie et le respect des lois coutumière­s. En attendant, un peu plus loin, à Dabocunda, c’est déjà un succès. Ici, les femmes se sont toutes converties à la salicultur­e solaire. Les bâches ont envahi la saline et bouleversé le quotidien. « Je ne produisais plus de sel. Avec les tankis (bacs de cuisson),

En Afrique de l’Ouest, les population­s

grattent les terres salées et les filtrent pour en extraire l’or blanc

 ??  ??
 ??  ?? Sur l’île de Formosa, dans l’archipel des Bijagos, la mangrove, forêt primaire immergée, recouvre un quart des côtes.
Sur l’île de Formosa, dans l’archipel des Bijagos, la mangrove, forêt primaire immergée, recouvre un quart des côtes.
 ??  ??
 ??  ?? Dans le village d’Éloubaline,
les toitures en forme d’entonnoir permettent la précieuse récolte d’eau de pluie.
Dans le village d’Éloubaline, les toitures en forme d’entonnoir permettent la précieuse récolte d’eau de pluie.
 ??  ?? La production de sel sur bâche permet d’éviter les coupes sauvages de bois et
de préserver la mangrove.
La production de sel sur bâche permet d’éviter les coupes sauvages de bois et de préserver la mangrove.
 ??  ?? La Guinée-Bissau est le réservoir d’une mangrove florissant­e et quasi intacte. Ici, le long du fleuve Cacheu, à 100 km des côtes.
La Guinée-Bissau est le réservoir d’une mangrove florissant­e et quasi intacte. Ici, le long du fleuve Cacheu, à 100 km des côtes.
 ??  ?? Les « tannes » sont des terres sursalées où rien ne pousse, propices à la récolte de l’or blanc.
Les « tannes » sont des terres sursalées où rien ne pousse, propices à la récolte de l’or blanc.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France