LES RENDEZ-VOUS
L’ancien patron des armées fut aussi le chef de l’état-major particulier du président Chirac. Il en a conservé des souvenirs vifs et précis, qu’il dévoile avec une subtilité de fin stratège.
A74 ans, il connaît encore par coeur Marie-Dominique, ce chant de la Coloniale qui vous fait courir des frissons dans le dos. On peut avoir eu cinq étoiles agrafées sur les manches et garder au fond de soi la nostalgie de ses barrettes de lieutenant ou des galons de l’époque où l’on était chef de corps. C’est le cas du général Henri Bentégeat, qui fut chef de l’état-major particulier de Jacques Chirac, puis chef d’étatmajor des armées – soit le sommet de la hiérarchie militaire. Pourtant, les années qu’il passa à l’Élysée, sous le second septennat de Mitterrand puis sous celui de Chirac, furent, selon ses termes, « les plus excitantes, à défaut d’être les plus exaltantes » de sa carrière. En une formule et deux adjectifs, presque tout est dit de la méthode Bentégeat : la pensée formulée avec clarté, le goût de la précision, le souci de la nuance. Trois qualités qui font l’intellectuel ou l’homme de lettres, plus rarement le soldat – la dernière n’étant pas la
“Nul n’ignore que la loyauté fervente qui s’exprime autour du chef de l’État vire aisément
à la complaisance”
plus répandue dans les popotes. « Si l’on veut défendre l’institution militaire, il importe de faire preuve de sens politique, dit-il, c’est-à-dire comprendre les motivations de ceux qui nous gouvernent. »
Les Ors de la République, récit des sept années passées à l’Élysée par le général Bentégeat, permet de comprendre le rôle fondamental joué par l’état-major particulier entre le chef de l’État, qui est aussi celui des armées selon la Constitution, et le monde militaire. Très bien écrit, ce livre offre un témoignage de premier plan sur les années qui ont vu la disparition du service national, la fin des essais nucléaires ou le cavalier seul de la France lors de la guerre d’Irak. Au-delà des faits qu’il décrit, Bentégeat s’efforce de percer le mystère des caractères. Lorsqu’il s’agit de Mitterrand, de Chirac ou de Villepin, on conviendra qu’il y a matière à quelques morceaux de bravoure – qui est précisément ce que l’on attend d’un soldat sur le front où il est engagé.