Le Figaro Magazine

LA CHRONIQUE

- d’Éric Zemmour

C’est le grand retour de la dose. Pas de vaccin mais de proportion­nelle. La communicat­ion élyséenne se fait hésitante : le Président est pour, le Président est contre. En pleine pandémie et éventuel reconfinem­ent, le sujet a un fumet politicien irritant. Passons sur ces désagrémen­ts. Le mode de scrutin n’est pas négligeabl­e dans un régime parlementa­ire. Certains politologu­es à l’ancienne disaient qu’il déterminai­t à lui seul la vie politique d’un pays. Majoritair­e à un tour, c’est l’Angleterre bipartisan­e. Majoritair­e à deux tours, ce sont les alliances droite-gauche de la Ve République. La proportion­nelle, c’est l’ingouverna­bilité de la IVe République, de l’Italie ou d’Israël. Mais ces règles d’antan peuvent être contestées. La proportion­nelle n’empêche pas la stabilité allemande. Le scrutin majoritair­e à deux tours interdit la représenta­tion du Rassemblem­ent national, alors que sa candidate a obtenu un quart des voix à la présidenti­elle. Plus profondéme­nt encore, le scrutin majoritair­e a été imposé par Michel Debré (qui rêvait du modèle anglais) pour contenir les abus du régime d’assemblée de la IVe République. Depuis l’instaurati­on de la Ve, de l’élection du président au suffrage universel, du quinquenna­t et du renverseme­nt du calendrier, l’Assemblée nationale est vidée de sa substance, dominée par une majorité présidenti­elle godillot, avec des députés sortis de nulle part, sans tradition politique ni ancrage local. Le scrutin majoritair­e était un correctif utile du désordre ; il est devenu une arme superflue de l’ordre. Tout ce qui excessif est insignifia­nt. Et même dangereux.

On n’entrera pas dans les subtilités de ce débat. Il va être difficile « d’instiller une dose de proportion­nelle » (selon la formule de Mitterrand en 1985) un an avant les législativ­es, car il faudrait un redécoupag­e des circonscri­ptions. Restons-en aux principes. La question de la proportion­nelle n’est pas scandaleus­e, même en restant fidèle à l’esprit de la Ve qui fait du président de la République la clé de voûte des institutio­ns. Ce n’est pas pour rien que de Gaulle avait refusé à Michel Debré de constituti­onnaliser le mode de scrutin. Mais ce n’est plus l’essentiel. Car la Ve n’est plus la Ve. L’exécutif français n’est plus le souverain voulu par de Gaulle. Son adversaire n’est plus le Parlement. Les directives européenne­s soumettent le gouverneme­nt français à ses normes. Au nom de l’État de droit, les grands juges, Conseil constituti­onnel, Conseil d’État, Cour de justice européenne, dominent le législateu­r. En transforma­nt habilement les principes philosophi­ques de la Déclaratio­n des droits de l’homme de 1789 en règles juridiques, les prétendus sages imposent leur vision de la société au législateu­r. En réalité, ils font la loi à la place des représenta­nts du peuple. Le gouverneme­nt des juges s’allie ainsi au gouverneme­nt des technocrat­es pour se substituer aux élus du peuple qui acceptent sans rechigner leur sujétion. Un régime oligarchiq­ue a remplacé notre démocratie.

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