LA CHRONIQUE
C’est le grand retour de la dose. Pas de vaccin mais de proportionnelle. La communication élyséenne se fait hésitante : le Président est pour, le Président est contre. En pleine pandémie et éventuel reconfinement, le sujet a un fumet politicien irritant. Passons sur ces désagréments. Le mode de scrutin n’est pas négligeable dans un régime parlementaire. Certains politologues à l’ancienne disaient qu’il déterminait à lui seul la vie politique d’un pays. Majoritaire à un tour, c’est l’Angleterre bipartisane. Majoritaire à deux tours, ce sont les alliances droite-gauche de la Ve République. La proportionnelle, c’est l’ingouvernabilité de la IVe République, de l’Italie ou d’Israël. Mais ces règles d’antan peuvent être contestées. La proportionnelle n’empêche pas la stabilité allemande. Le scrutin majoritaire à deux tours interdit la représentation du Rassemblement national, alors que sa candidate a obtenu un quart des voix à la présidentielle. Plus profondément encore, le scrutin majoritaire a été imposé par Michel Debré (qui rêvait du modèle anglais) pour contenir les abus du régime d’assemblée de la IVe République. Depuis l’instauration de la Ve, de l’élection du président au suffrage universel, du quinquennat et du renversement du calendrier, l’Assemblée nationale est vidée de sa substance, dominée par une majorité présidentielle godillot, avec des députés sortis de nulle part, sans tradition politique ni ancrage local. Le scrutin majoritaire était un correctif utile du désordre ; il est devenu une arme superflue de l’ordre. Tout ce qui excessif est insignifiant. Et même dangereux.
On n’entrera pas dans les subtilités de ce débat. Il va être difficile « d’instiller une dose de proportionnelle » (selon la formule de Mitterrand en 1985) un an avant les législatives, car il faudrait un redécoupage des circonscriptions. Restons-en aux principes. La question de la proportionnelle n’est pas scandaleuse, même en restant fidèle à l’esprit de la Ve qui fait du président de la République la clé de voûte des institutions. Ce n’est pas pour rien que de Gaulle avait refusé à Michel Debré de constitutionnaliser le mode de scrutin. Mais ce n’est plus l’essentiel. Car la Ve n’est plus la Ve. L’exécutif français n’est plus le souverain voulu par de Gaulle. Son adversaire n’est plus le Parlement. Les directives européennes soumettent le gouvernement français à ses normes. Au nom de l’État de droit, les grands juges, Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour de justice européenne, dominent le législateur. En transformant habilement les principes philosophiques de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 en règles juridiques, les prétendus sages imposent leur vision de la société au législateur. En réalité, ils font la loi à la place des représentants du peuple. Le gouvernement des juges s’allie ainsi au gouvernement des technocrates pour se substituer aux élus du peuple qui acceptent sans rechigner leur sujétion. Un régime oligarchique a remplacé notre démocratie.