LA CHRONIQUE
En cédant aux réseaux sociaux sur un dessin qui a provoqué la démission de son auteur, « Le Monde » recule sur la liberté d’expression.
Paru dans Le Monde et daté du 20 janvier, le dessin porte le titre « Dernière escale ». Celui-ci représente deux pingouins. L’un dit à l’autre : « Vous avez votre passeport sanitaire d’humour ? » Ces pingouins sont la marque de fabrique de leur auteur, Xavier Gorce. Au moment de publier ce dessin, il a pris sa décision : il quitte le journal.
La veille, le précédent est intitulé : « Repères familiaux ». Une petite fille pingouin demande à un grand : « Si j’ai été abusée par le demi-frère adoptif de la compagne de mon père transgenre devenu ma mère, est-ce un inceste ? » Le propre de l’humour, c’est le second degré. Peut-il exister quand le public – ou ce qui passe pour tel – ne sait plus lire qu’au premier degré ? « Repères familiaux » déclenche une tempête sur les réseaux sociaux. À ce point que la nouvelle directrice du journal, Caroline Monnot, estime nécessaire de publier un communiqué d’excuses appuyées vis-à-vis des « personnes transgenres », en ajoutant que « ce dessin peut en effet être lu comme une relativisation de la gravité des faits d’inceste… »
Le dessinateur n’ayant pas été informé de sa condamnation, il met fin à sa collaboration au journal, laquelle remonte à 2002. Xavier Gorce a-t-il pressenti un tel dénouement ? Sous le titre « Sapidité de résistance », un de ses pingouins dit, le 3 décembre dernier : « Qu’est-ce qui vous empêche de faire des dessins responsables parfaitement sans impact et totalement insipides ? » À qui s’adresset-il alors ? Caroline Monnot n’est pas encore la directrice du journal qu’elle sera un mois plus tard. Gorce continue ; le 31 décembre, il fait dire à l’un de ses pingouins : « Je vous souhaiterais bien une bonne année, comme l’année dernière, mais vous allez mal le prendre… » Là, franchement, on aurait abusé en donnant à la phrase un double sens ! Mais tout peut être retourné. Après l’attaque groupée de ses internautes contre le dessin de Gorce, Le Monde
va tout de même publier d’autres remarques de lecteurs. « On a le droit de se moquer des curés, des imams, mais pas des transgenres », écrit l’un. L’autre : l’écriture « inclusive et bienveillante » est bienvenue au point de devenir « inodore et insipide ». Un troisième : le
« groupe de pression » qui a décidé d’imposer sa manière de voir au Monde va-t-il obtenir, comme au New York Times, la suppression des dessins ? À Charlie Hebdo,
Riss, solidaire de Gorce, comme l’est Plantu (qui va prendre sa retraite), a une réplique définitive pour préserver sa liberté :
« Les réseaux sociaux, je ne les consulte pas. » Ni au premier degré ni au second.