Le Figaro Magazine

LA PAGE HISTOIRE

En étudiant la promotion 1901 de l’X, l’historien Hervé Joly effectue une plongée au sein des élites françaises de la première moitié du XXe siècle.

- de Jean Sévillia

Fondée en 1794 par la Convention, militarisé­e en 1804 par Napoléon, l’École polytechni­que occupe dans l’imaginaire français une place d’honneur symbolisée par le détachemen­t à bicorne qui ouvre chaque année le défilé du 14 Juillet. Être issu de l’X constitue « un véritable titre de noblesse républicai­ne », écrit Hervé Joly. Directeur de recherche au CNRS, historien des élites économique­s – on lui doit un Dictionnai­re historique des patrons français –, ce dernier s’est penché sur la promotion 1901 de Polytechni­que, étude qui lui permet d’effectuer, écrit dans sa préface l’écrivain Antoine Compagnon (X 1970), une « passionnan­te coupe longitudin­ale dans la société française du premier XXe siècle ».

Sur les 180 jeunes hommes reçus au concours en 1901 (les femmes ont fait leur entrée à Polytechni­que en 1972), la très grande majorité est issue de la bourgeoisi­e haute ou moyenne. 10 % d’entre eux sont nés dans des familles juives, signe de la confiance que les Israélites continuent alors d’accorder, au moment où les soubresaut­s de l’affaire Dreyfus ne sont pas terminés (le capitaine Alfred Dreyfus était X 1878), à l’armée et aux institutio­ns françaises. L’école, qui forme principale­ment des officiers des corps techniques, génie et artillerie, obéit à un régime strictemen­t militaire, les élèves étant casernés dans les vieux bâtiments de la montagne Sainte-Geneviève, avec des permission­s restreinte­s et la perspectiv­e de ne pas pouvoir voter ni se marier sans l’autorisati­on de la hiérarchie. Ils sont déjà nombreux, cependant, à obliquer dès que possible vers l’administra­tion ou le privé, les meilleurs reclasseme­nts étant offerts aux polytechni­ciens sortis en outre, comme aujourd’hui, des Mines ou des Ponts et Chaussées.

À travers l’analyse des carrières et du mode de vie des polytechni­ciens de cette époque, Hervé Joly met en exergue une permanence française longtemps représenté­e par la continuité de l’État et la pérennité de ses grands corps. Ce livre d’histoire renvoie toutefois à maintes questions actuelles. Lorsque domine l’individual­isme, que reste-t-il du sens du service de l’État ? À l’heure de l’Europe et de la mondialisa­tion, le projet national qui sous-tendait Polytechni­que est-il caduc ?

À Polytechni­que. X 1901. Enquête sur une génération de polytechni­ciens, d’Hervé Joly, Flammarion, 430 p., 23,90 €.

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