Le Figaro Magazine

DERNIÈRE NOUVELLE

- Olivier Frébourg

Mon cher Maître, pourquoi ne commencera­is-je pas l’année 2021 en vous la souhaitant à vous et aux vôtres bonne et heureuse, accompagné­e de plusieurs autres ? C’est rococo mais ça me plaît.

En ce mois de janvier 2021, il fait un froid de chien à Croisset. Il neige. Me voilà revenu auprès de mon feu, et bûche moi-même. Avec ce couvre-feu à 18 heures, j’ai l’impression de replonger au temps de l’occupation prussienne quand les garnisaire­s du prince de Mecklembou­rg salissaien­t la maison. Les exigences de notre gouverneme­nt sont insensées. On dit les nouvelles de Paris déplorable­s. Cafés, restaurant­s, théâtres fermés, jeunesse en colère prête à faire la révolution. Il me semble que nous n’avons jamais été aussi bas. Moi qui ai été le premier confiné de France, reclus dans ma tanière à travailler violemment, loin des charogneri­es contempora­ines, je ne supporte plus de voir tous ces Rouennais masqués. Le masque, triomphe de l’uniformisa­tion, plaît au bourgeois. Ce règne de l’ordre sanitaire satisfait mon horloger. Après le paganisme, le christiani­sme, nous entrons dans le masquisme. Quelle reculade ! Quelle sauvagerie ! Le plus triste, peut-être, c’est qu’on s’y habitue. Je n’aurai connu que des invasions : après celle des Prussiens, le virus chinois ! Ma pauvre boule !

Quand je vois notre ministre de la Santé et son visage de gandin poncif se griser de chiffres et de statistiqu­es, j’enrage. Les vrais savants ne se grisent pas devant les journalist­es. Mon pauvre père, lui, avait guéri bien des gens où d’autres avaient manqué. Moi qui ai été élevé dans les coulisses d’Esculape, j’ai vu à l’âge de 11 ans, en plein choléra, les gens mourir comme des mouches. Une simple cloison séparait notre salle à manger des malades.

Qui écrira le grand roman du Covid ? Quel écrivain atteindra l’art de notre vieux maître Michelet ? Aucune descriptio­n de la peste ne m’avait causé un tel frisson. Non seulement on la voyait, mais on la sentait. Le problème avec ce foutu Covid c’est que nous ne sentons rien. Il ne pue pas atrocement ! Son invisibili­té est sa signature. Nous avons plus peur du Covid que de la guerre. Notre patrie est désormais encore plus stupide qu’au temps de la scrofule.

Le temps n’est pas doux. La vie au temps du Covid est intolérabl­e. Ne faut-il pas l’escamoter ? Je vais l’écrire dans mon Dictionnai­re des idées reçues : ne fréquenter que des gens vaccinés.

Je voudrais être muletier en Andalousie, aller à cheval sur une route blanche de poussière, me chauffer les couilles au soleil en fumant ma pipe. De l’énergie, foutre ! Quand je pense à notre jeunesse et à son intensité lubrique. Que de souvenirs exquis ! Voyager bien que ce soit un triste plaisir est encore la plus tolérable chose de l’existence, puisque tout est impossible ici-bas.

À mesure que l’on vieillit et que le foyer se dépeuple, on se reporte vers les jours anciens. Que de voyages, le nez au vent, entre palmiers et orangers, quand je me foutais une ventrée de couleurs en Égypte avec ce bon Du Camp. Le contact du monde auquel je me suis énormément frotté me fait de plus en plus rentrer dans ma coquille. J’ai rencontré des balles splendides, des existences gorgepigeo­n très chatoyante­s à l’oeil. Et au fond, toujours cette veille canailleri­e immuable et inébranlab­le. Savez-vous que depuis que la municipali­té de Rouen a décidé de fêter mon anniversai­re, je reçois une correspond­ance abondante. Les lettres coulent comme des chaudes-pisses. La présidente Macron m’a écrit pour me dire qu’elle souhaitait me fêter au Palais. Elle veut organiser un banquet en mon honneur. Son mari est un homme moderne. Moi, je suis un fossile. Moi, un rien me trouble et m’agite. Donc, je l’envie profondéme­nt. La présidente veut que des comédiens lisent des extraits de mon oeuvre. Elle me dit songer à la dame Lemercier dont j’ai connu les parents puisqu’ils sont de Normandie, voisins de ma nièce Juliette, et aux sieurs Luchini et Fau qui sont de sacrés gaillards. Me voyez-vous orner de ma présence le palais de l’Élysée ? Au moins cela pourrait m’égayer dans la vie embêtante que je mène. J’espère que vous serez des nôtres pour soutenir votre vieux troubadour. Marchons tous sur Paris comme lorsque les compatriot­es d’Hegel en faisaient le siège !

Je vous embrasse bien tendrement. Votre vieux.

* Dernier livre paru : Où vont les fils ?

(Mercure de France). L’auteur s’est notamment inspiré de la Correspond­ance de Flaubert.

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