Le Figaro Magazine

SLIMANI SÉQUESTRÉE CHEZ PINAULT

Il suffisait d’enfermer Leïla Slimani à la Pointe de la Douane de Venise pour qu’elle écrive son meilleur livre.

- LE LIVRE DE FRÉDÉRIC BEIGBEDER

En 2021, en plein couvre-feu, l’idée d’enfermer un écrivain durant une nuit dans un musée devient doublement transgress­ive. Nous lisons le récit d’un auteur enfermé dans un musée alors que les musées sont fermés et que tous les citoyens sont bouclés chez eux. Chaque exemplaire de ce livre vendu 18 € mériterait une amende de 135 €. Leïla Slimani, prix Goncourt en 2016 pour Chanson douce, transforme sa réclusion artistique en mélopée intime.

Pour la première fois, elle renonce à la fiction sulfureuse qui a fait sa gloire et tente de répondre à la question fatidique : pourquoi j’écris au lieu de m’amuser ? Et à force de se demander ce qu’elle fout là, il lui arrive une chose bizarre : Mme Slimani se met à exister.

Plus de baby-sitters tueuses, ni de nymphomane­s bobos : la romancière semble avoir savouré cette parenthèse autobiogra­phique, entre deux tomes de sa saga populaire

« Autant en emporte le sirocco », euh, non, pardon : Le Pays des autres. On se souvient que Leïla Slimani a tenu son « Journal du confinemen­t » dans Le Monde en mars 2020. Ses papiers bâclés lui attirèrent de nombreux quolibets numériques, courageuse­ment anonymes, appelant à la violer ou la pendre. Au point qu’elle décida finalement de quitter Twitter bien avant Donald Trump. Le Parfum des fleurs la nuit désarme par sa sincérité, sa lucidité, voire sa nonchalanc­e. Leïla Slimani y exprime son tirailleme­nt entre deux pays (la France et le Maroc), deux conditions féminines (femme qui bosse et mère de famille), deux états d’âme (ambition créatrice et complexes culturels). Durant cette nuit blanche, on entend enfin une voix non fabriquée. Enfermée dans le décor favori de Jean d’Ormesson, elle évoque le souvenir de son père banquier, injustemen­t emprisonné au Maroc, mais aussi une agression sexuelle dont elle a été victime dans le RER, ou ses virées nocturnes dans les bars à prostituée­s de Rabat. Nous la voyons, page après page, se livrer, pieds nus dans le noir, et fumer une clope en cachette, au milieu du Grand Canal, écrasée de beauté, à la proue d’un paquebot immobile, comme « avalée par une baleine ». On pourrait se moquer de la Parisienne macroniste qui cite Morand et Larbaud avant d’écrire « cette escalope milanaise était vraiment une mauvaise idée ». Si nous résistons à notre malveillan­ce congénital­e, c’est que quelque chose dans ce petit livre noir inspire le respect : dans la cité du carnaval, Leïla Slimani, symbole malgré elle de notre temps, a tombé à la fois le masque vénitien et son FFP2 mental.

Le Parfum des fleurs la nuit, de Leïla Slimani, Stock, 149 p., 18 €.

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