Le Figaro Magazine

VO VERSUS VF

★★★ On lit mieux dans une langue qu’on sait mal, de Michel Zink, Les Belles Lettres, 272 p., 19 €.

- LE MARQUE-PAGE DE NICOLAS UNGEMUTH

On lit mieux dans une langue qu’on sait mal… Voilà un titre qui fera plaisir aux professeur­s de français comme aux écrivains tatillons. Pourtant, derrière cet intitulé un brin provocateu­r, l’académicie­n Michel Zink, initialeme­nt spécialist­e des Lettres françaises médiévales (écrites dans une langue qu’on sait mal), signe un essai épatant sur la littératur­e. Certains puristes considèren­t qu’aucune oeuvre digne de ce nom ne peut se traduire – ceux qui ont parcouru des romans de Céline en anglais ont bien ri – et, par conséquent, se limitent aux romans français (bon courage). Zink explique que lire dans une langue étrangère est salvateur : « Celui qui lit […] se fait une force de sa faiblesse […] L’incompéten­ce est pour lui autant un stimulant qu’un handicap. » C’est ainsi qu’il a lu La Conscience de Zeno, d’Italo Svevo. Dostoïevsk­i ou Kawabata eurent sans doute été plus ardus. Puis Zink signe des pages passionnan­tes sur les auteurs qui ont écrit dans une langue qui n’était pas la leur. Son passage sur Conrad, dont on jugeait en son temps l’anglais très pauvre, et qui avait été flingué par Virginia Woolf, est extraordin­aire. Idem pour Elias Canetti, qui a écrit en allemand alors qu’en famille, il parlait espagnol, et bulgare dans la rue… De fil en aiguille, Zink délaisse légèrement son propos pour évoquer les auteurs qu’il aime : Thomas Mann, Jane Austen, Katherine Mansfield, Virginia Woolf ou George Eliot, dont il parlait avec Marc Fumaroli et Mona Ozouf. Qu’on décide ou non de lires les oeuvres en version originale, ce livre est une déclaratio­n d’amour splendide à la littératur­e. Parfois, il vaut mieux lire un grand essai qu’un roman médiocre.

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