Le Figaro Magazine

DERNIÈRE NOUVELLE

Chaque semaine, “Le Figaro Magazine” publie une nouvelle inédite d’un écrivain

- David Foenkinos

Sophie avait le coeur qui battait en entrant dans le restaurant. Ça faisait quatre ans qu’elle était avec Hugo, mais il y avait toujours cette magie du premier jour dans leurs jours. l’usure tant annoncée, ce n’était pas pour eux. et puis, bien sûr, ce soir-là était tout particulie­r : la Saint-valentin. l’occasion de souligner un peu plus l’éclat de leur amour. il avait réservé une table dans un beau restaurant, le loulou. Depuis la terrasse chauffée, on pouvait voir la tour eiffel et le louvre. Difficile d’ajouter autant de magie à la magie. il se leva pour l’accueillir, ils s’embrassère­nt, et elle repéra une rose rouge sur la nappe. Quelle attention merveilleu­se. il avait toujours été la délicatess­e incarnée, friand de distiller des signes du coeur dans leur quotidien. Pourtant, elle le savait très bien, cela n’avait pas été facile pour lui de renoncer au match du PSG qui jouait en ligue des champions. il devait penser à tous ses copains devant la télévision, en train de boire des bières. Mais bon, c’était le hasard du calendrier, et il savait à quel point Sophie tenait à fêter la Saint-valentin. Pour elle, c’était les oscars de l’amour.

Quand la serveuse s’approcha, Sophie voulut commander du champagne, mais Hugo tenta : « Tu ne veux pas plutôt prendre du vin ? » elle parut surprise, et il n’insista pas. il prétexta ne pas trop aimer les bulles, mais Sophie pensa surtout qu’il avait peur que ce soit trop cher. Son chéri d’amour était parfois un peu pingre, mais bon, qui n’a pas un petit défaut ? C’était un homme merveilleu­x. elle avait tellement de chance. D’accord, elle pouvait l’avouer maintenant : elle avait été un peu déçue qu’il choisisse le même restaurant que l’année dernière. Certes, ils avaient passé une bonne soirée, mais il aurait pu faire preuve d’originalit­é, la surprendre un peu. on sentait qu’il n’avait pas trop réfléchi, et maintenant qu’elle y pensait, c’est vrai que ces derniers temps, il semblait moins attentif. il était accaparé par son travail, c’est certain, mais il y avait autre chose. elle avait ce sentiment diffus qu’il était moins présent dans leur couple. il se leva alors pour aller aux toilettes, et Sophie se dit qu’il voulait surtout regarder discrèteme­nt le score du match. elle en profita pour jeter un oeil autour d’elle. le restaurant était rempli de couples, quoi de plus normal. À sa droite, un homme parlait sans lâcher la main de sa compagne. De l’autre côté, un autre se levait, peut-être pour aller aux toilettes aussi, et avait embrassé sa fiancée dans le cou avant de partir. Pourquoi Hugo n’avait-il pas fait ça ? et pourquoi ne lui prenait-il jamais la main ? Au fond, la Saintvalen­tin a du mauvais : les couples se comparent, et cela demeure violent de voir une version plus heureuse à côté de soi.

Quand Hugo revint, elle lui lança un regard déçu. il ne la touchait toujours pas, il n’avait fait aucun effort pour lui faire de surprise, et il avait hésité pour le champagne. À vrai dire, rien n’allait. Alors qu’elle était arrivée dans la plus pure des exaltation­s, Sophie n’arrivait plus à cacher sa déception. elle lui demanda : « Alors ? Le score ? » il fit mine de ne pas avoir regardé. C’était donc un menteur en plus de tout ça. Partout autour d’eux, ça riait, ça gloussait, ça s’embrassait. le contraste était saisissant. elle observa alors la fleur sur la table, et la trouva déjà fanée. il avait dû l’acheter vite fait à un Pakistanai­s à la sortie du métro. De toute façon, en ce moment, il faisait tout vite fait. et sexuelleme­nt, n’en parlons pas. Ça tournait à la relation hygiénique. Pourquoi s’était-elle autant menti ? en fait, c’était un con égoïste. il faisait les choses machinalem­ent, et sans coeur. Comment avait-elle pu perdre ainsi son temps ? la Saintvalen­tin, ça permettait de fêter l’amour, mais plus encore : de comprendre qu’il est temps de rompre.

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