DE PROXIMA À ALPHA, THOMAS PESQUET, LA NOUVELLE MISSION
L’astronaute français devrait redécoller des États-Unis à bord d’un vaisseau SpaceX aux alentours du 20 avril. Un second voyage de longue durée à bord de l’ISS, qui accueillera avec lui son 65e équipage dont la mission principale reste inchangée : poursuivre les centaines d’expériences scientifiques orchestrées depuis la terre ferme.
C’était un soir de printemps, le 20 mai 2009. Il est environ 22 heures lorsque le téléphone sonne chez Thomas Pesquet. Le Rouennais de 31 ans apprend que sa candidature a été retenue parmi les 8 413 examinées par l’ESA. Avec un Allemand, un Danois, un Italien et un Britannique, il est intégré à la nouvelle génération d’Européens invités à participer à l’exploration spatiale. « C’est un saut dans l’inconnu, avait-il alors déclaré. Je vais faire un job de rêve, mais j’ai encore du mal à me considérer comme un spationaute. » Onze années et une mission longue durée plus tard, Thomas Pesquet est un peu plus qu’un astronaute – il est l’astronaute français. Pilote de ligne chez Air France puis Novespace spécialisé sur les Airbus, ingénieur aéronautique au Cnes, passionné de basket-ball (il se rêvait sportif professionnel), de saxophone, de ski, de plongée et de judo (il est ceinture noire), il devient rapidement l’une des personnalités préférées des Français qui découvrent en 2016, lors des derniers préparatifs de sa première mission, un homme brillant, sympathique et attachant. Le plus français de ces « héros à l’américaine ». Un homme presque parfait. Le 10e Français à partir dans l’espace, le 4e à séjourner à bord de la Station spatiale internationale (ISS), mais le tout premier à y effectuer une mission longue durée de six mois où il réalise le but de tout astronaute : deux sorties extravéhiculaires (EVA) d’environ six heures chacune.
Une belle aventure qui n’est que le premier chapitre de sa carrière spatiale. Le 22 janvier 2019, la nouvelle tombe.
Cette fois, ce n’est pas un coup de téléphone, mais une annonce de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Frédérique Vidal : Thomas Pesquet est sélectionné une seconde fois par l’ESA pour une nouvelle mission. Là encore, l’astronaute réalise une première. Ce sera le 19e vol d’un Français dans l’espace, mais le premier Européen à s’envoler à bord d’un lanceur de la société SpaceX d’Elon Musk, le Dragon 2. « On nous a annoncé une nouvelle date de départ ! Ce n’est pas la première fois qu’elle change… et peut-être (sans doute ?) pas la dernière, commentait l’astronaute il y a quelques jours. En tout cas, maintenant, on vise le 20 avril. »
UN AN ET DEMI DE PRÉPARATION POUR CETTE MISSION
Un événement historique qui préfigure de l’importance du rôle à jouer par le secteur privé, en partenariat avec les institutions publiques, dans l’exploration du cosmos. Avec ce départ prévu en avril prochain, l’astronaute a eu à peine un an et demi pour se préparer, contre trois ans et demi auparavant. « Mais comme j’ai déjà séjourné à bord de l’ISS, il y a beaucoup de choses que je connais déjà », a-t-il rapidement assuré dans le sillage de l’annonce de cette mission baptisée Alpha.
« La première partie de l’entraînement a d’ailleurs consisté à revenir sur mes acquis pour les consolider. » Dans la piscine d’entraînement de Houston, le Français s’est déjà exercé à des manoeuvres pour une éventuelle sortie extravéhiculaire autour du laboratoire Columbus avec son collège japonais Akihiko Hoshide, qui l’accompagnera à bord du Dragon 2.
« C’est l’équivalent d’aller sur le toit installer une nouvelle antenne de télé… mais pour la science et dans l’espace », précise-t-il avec humour. Pour la science, surtout et avant tout. Car si pour Thomas Pesquet et les citoyens français, cette seconde mission constitue un événement historique, elle n’est
pourtant que la continuité d’un effort international lancé il y a vingt-deux ans avec la construction de cette ISS composée à ce jour d’une trentaine de modules acheminés et assemblés en orbite basse autour de la Terre entre 1998 et 2016 (voir notre infographie p. 66). « C’est incroyable d’avoir réussi à réaliser ce module, s’est confié Thomas Pesquet au Figaro Magazine. Le fait que tous les pays se soient mis ensemble pour coopérer ; que des gens qui ne sont pas forcément toujours d’accord sur des projets techniques complexes et qui ne parlent pas la même langue soient arrivés à faire une station spatiale avec des modules construits partout sur la planète. » Une structure dont le but premier est d’être le laboratoire de milliers d’expériences imaginées, sélectionnées et orchestrées par des centaines de scientifiques dans de multiples domaines.
MEMBRE DE LA 65E EXPÉDITION VERS L’ISS
« L’arrivée de Thomas dans l’espace ne change pas énormément de choses pour nous sur la nature de notre travail, mais sur son volume et le fait que ça nous donne de la visibilité », confie Rémi Canton, chef de projet au Cnes de la mission Alpha et manager du Centre d’aide au développement des activités en micropesanteur et des opérations spatiales (Cadmos). « On n’a pas attendu sa première mission pour travailler, et on ne s’est pas arrêtés quand il est redescendu. Les équipages se succèdent à bord de l’ISS depuis plus de vingt ans : il a d’abord fait partie de l’incrément 51, et là il sera dans le 65e. » L’astronaute français est bien conscient de cette réalité et de sa place au milieu de cette gigantesque entreprise internationale. « L’ISS n’arrête pas de tourner, et il faut s’en occuper au sol, nous expliquait Pesquet après sa première mission.
Les gens voient les vols en orbite, mais ce n’est même pas 5 % de nos carrières ; 95 %, c’est du temps à travailler au sol pour faire en sorte que tout fonctionne. J’ai des collègues d’autres pays européens qui vont dans l’espace : il faut que je les aide, que j’utilise mon expérience technique et humaine pour faire fonctionner l’ISS même quand je n’y suis pas. »
Au total, depuis la mise en route de la station, ce sont près de 250 personnes qui se sont relayées dans cette structure orbitant autour de la Terre entre 350 et 400 kilomètres d’altitude. Le rôle de Thomas Pesquet ? Le même que celui des autres astronautes. « Nous sommes des opérateurs de machines complexes en environnement extrême ou hostile, explique Jean-François Clervoy, ancien astronaute français de l’ESA. Nous devons savoir comment fonctionnent les instruments qui sont à bord et comment les faire fonctionner. Mais ceux qui font vraiment les recherches, ce sont les scientifiques au sol. » En temps normal, les astronautes se déplacent partout dans le monde pour s’entraîner en avance sur des maquettes. Mais avec les restrictions liées à la gestion de la Covid-19, certaines sessions ont dû être réalisées à distance. Ainsi, pour la collaboration avec l’agence spatiale japonaise JAXA, Thomas Pesquet a dû effectuer ces formations par visioconférence plutôt qu’en se rendant sur l’archipel nippon. Une contrainte logistique qui s’est doublée d’une complication de planning : avec le décalage horaire, ces sessions ne pouvaient se dérouler qu’à certaines heures de la journée. « Ce n’est pas totalement exceptionnel de faire de la visioconférence pour les entraînements, précise Jean-François Clervoy. Lorsque j’étais basé à Houston, je ne me déplaçais pas systématiquement dans les différents labora
toires des États-Unis pour appréhender les équipements dont j’allais me servir là-haut. »
Lors de sa première mission de 2016, Proxima, Thomas Pesquet a participé à la réalisation de 60 expériences : certaines pour l’ESA et le Cnes, d’autres pour l’agence spatiale japonaise JAXA, ou l’ASC canadienne et la NASA américaine. « Mais là encore, il y a parfois une mauvaise compréhension de la part du public, poursuit Rémi Canton. Les astronautes peuvent commencer des expériences qui se termineront lorsqu’ils ne seront plus à bord ou, au contraire, assister à la fin d’autres qui avaient commencé bien avant leur arrivée. Pour la mission Alpha, nous avons prévu d’en commencer avec lui une douzaine bien spécifiques, mais pendant six mois il devra en réaliser plus d’une centaine – certaines qui sont héritées de sa première mission Proxima. »
PRÉPARER L’EXPLORATION HUMAINE DU COSMOS
Avec cette nouvelle mission, l’ESA et le Cnes se concentrent un peu plus sur des expériences et des tests de matériels dont les applications pourront servir à l’exploration de l’espace au sens propre, et notamment aux futures missions autour de la Lune et de Mars. Un bandeau analysant le sommeil de l’individu et des casques de réalité virtuelle sont sur la liste des objets à utiliser lors de cette mission. « L’analyse de la perturbation du sommeil en situation de micropesanteur est primordiale si l’on considère que les voyages pour Mars dureront plusieurs années, explique Rémi Canton. Quant à la réalité virtuelle, ce n’est pas qu’un gadget : c’est d’une part un formidable outil pour les neurosciences, et elle pourrait permettre d’améliorer le moral et donc l’efficacité des astronautes » Lors de ses deux sessions quotidiennes de sport à bord de l’ISS, Thomas Pesquet pourra – grâce à un casque de réalité virtuelle – déambuler à vélo dans les rues de Paris tout en pédalant sur une sorte de vélo d’appartement dans l’espace confiné de la station.
La bonne santé physique et mentale des astronautes est l’une des préoccupations majeures des agences d’exploration spatiale. Aussi bien pour les vols de longue durée que nous sommes déjà en mesure de réaliser que pour l’anticipation des missions d’exploration du cosmos. « Les séjours en situation de faible gravité n’ont pas les mêmes répercussions sur tous les individus, précise Guillaume Weerts, chef du service de médecine spatiale à l’ESA. Chacun a son mode d’adaptation et nous continuons de découvrir de nouveaux phénomènes physiologiques. C’est tout à fait normal puisque nous n’avons que soixante ans d’histoire d’exploration spatiale comme recul, sur un panel restreint d’individus triés sur le volet. » Et de poursuivre : « Aller dans l’espace s’apparente à grimper l’Everest. On va là où le corps humain n’est pas censé fonctionner normalement. Donc, on en ressort toujours avec des petites marques, des petites cicatrices. Notre travail, avec Thomas Pesquet comme avec tous les autres astronautes, c’est d’anticiper tout ce qui pourrait ne pas aller là-haut, de les préparer avant leur départ et aussi de les ac
ENTRE JEFF BEZOS
ET ELON MUSK, LA GUERRE DES CONSTELLATIONS DE SATELLITES EST DÉCLARÉE
compagner dans leur réadaptation une fois de retour sur terre. »
Afin d’être en assez bonne condition physique pour d’autres vols. En plus de cette nouvelle mission, Thomas Pesquet a déjà fait savoir qu’il était prêt à participer au premier vol européen vers la Lune lors des futures missions lunaires Artemis, sur lesquelles l’ESA a négocié avec la NASA trois sièges pour ses astronautes. « Sur des vols de cette durée, nous n’avons aucun recul, ajoute Weerts. C’est beaucoup plus complexe que ce que certaines personnes sous-entendent. C’est une accumulation de facteurs qui sont gérables pris un par un, mais qui, en coexistant sur ces vols de très longue durée, ouvrent un champ totalement inconnu. »
Mais avant de partir pour la Lune ou Mars, Thomas Pesquet doit déjà retourner sur l’ISS. Et dans un contexte de pandémie, l’encadrement médical a été fortement chamboulé. « Ça a été un vrai casse-tête, poursuit Guillaume Weerts. Dans la configuration de l’ISS, chaque partenaire est responsable des entraînements des astronautes. L’équipage a donc voyagé dans plusieurs endroits pour s’entraîner sur certains éléments. » Même si le voyage au Japon n’a pas eu lieu, les quatre astronautes de la mission n’ont pas d’autre choix que d’être en contact avec plusieurs dizaines de personnes pour préparer le voyage. Une situation « acrobatique », selon les mots du Dr Weerts, qui a été facilitée avec l’arrivée des premiers vaccins en Europe en début d’année. Il y a donc fort à parier que Thomas Pesquet partira vers l’ISS vacciné contre la Covid-19.
UNE AVENTURE MAGIQUE ET NÉCESSAIRE
Obnubilés par ce virus et la crise mondiale qu’il a engendrée, il est facile d’oublier l’importance des vols comme celui que va entreprendre pour la seconde fois l’astronaute français. Maillons d’une chaîne formée par une collaboration scientifique internationale, Pesquet et tous les astronautes sont les serviteurs célestes des scientifiques et les centaines d’expériences réalisées à travers eux ont des répercussions bel et bien terrestres.
« L’espace est un accélérateur de sciences, conclut Rémi Canton.
Pour l’exploration du cosmos par des vols habités, on fait face à des problématiques similaires à celles que l’humanité va avoir à gérer sur terre dans un futur proche : comme la gestion d’une boucle fermée avec de l’énergie propre, et des ressources limitées qu’on doit recycler. » Partir de la Terre pour apprendre à mieux en prendre soin. C’est ce qu’expliquait au Figaro Magazine Thomas Pesquet, après son retour de la mission Proxima : « Quand on vit sur Terre, on a l’impression que tout est tellement grand, que c’est permanent quoi qu’il puisse se passer. Mais quand on la voit depuis l’espace, c’est petit, c’est fragile, c’est isolé dans le grand vide de l’espace et le berceau de la vie ressemble plus à un radeau de survie qu’à quelque chose de permanent. La Terre est magnifique, mais périssable. »
Finalement, le retour de Thomas Pesquet dans l’espace est bien plus que le voyage d’un seul homme. C’est la poursuite d’une aventure magique mais nécessaire : celle d’explorer le cosmos et les étoiles pour mieux comprendre notre planète afin, de ne pas avoir à la quitter trop vite. ■
SON SECOND ET DERNIER VOL EN ORBITE BASSE AVANT UNE MISSION VERS LA LUNE ?