Le Figaro Magazine

MGR BARBARIN : CONFIDENCE­S D’UN PRIMAT DE CAMPAGNE

- Par Guyonne de Montjou (texte) et Olivier Coret (photos)

Victime expiatoire de la tempête médiatico-judiciaire qui a secoué le diocèse de Lyon dans le sillage de l’affaire Preynat, le cardinal Barbarin, reconnu innocent en cour d’appel, s’est retiré en Bretagne. Son quotidien lui accorde peu de répit, mais du temps pour la réflexion. Confidence­s exclusives.

Jésus arrive dans un quart d’heure, annonce-t-il, l’oeil espiègle. Serez-vous capable de vous tenir debout devant lui s’il vient à l’improviste ? » Un instant de silence, puis le cardinal Barbarin conclut : « Voilà, au fond, la grande question chrétienne qui nous est posée. »

L’ancien primat des Gaules va bien. Il est debout. Un an après que la justice l’a blanchi, il reprend son souffle dans une petite commune bretonne, à la périphérie de Rennes. Certaineme­nt, il n’est pas le même homme qu’avant. Après les révélation­s de pédophilie concernant le père Preynat, le tsunami médiatique qui a déferlé sur le diocèse de Lyon qu’il dirigeait l’a emporté dans son flot. Comme un trophée, sa démission du 6 mars 2020 a apaisé la foule. Aujourd’hui, nous recevant dans sa retraite de simple prêtre, oubliant presque qu’il reste archevêque émérite de Lyon, il débusque les signes de joie et, dans son jargon, d’espérance, au quotidien.

E-MAIL DU PAPE

L’un de ceux-ci a pris, en mars dernier, la forme d’un e-mail provenant du journalist­e d’un média particuliè­rement virulent contre lui. « Monseigneu­r, je reconnais que j’appartiens à un groupe qui n’a pas dit que du bien de vous, écrivait-il en substance, mais je suis perdu : je ne sais pas où dormir ce soir. » En reportage à Buenos Aires, sans le sou au moment où l’Argentine fermait ses frontières pour un confinemen­t brutal, ce jeune athée appelait à l’aide celui qui avait été cloué au pilori à longueur d’articles. « Ce qui m’a surpris, confie le cardinal, touillant son café avec le manche d’un couteau, c’est qu’il se soit tourné vers moi plutôt que vers son père ou son patron. C’est ça

“Je me souviens que ma mère me disait : « Quand tu prêches, tiens-toi droit, sinon c’est horrible ! »”

qui est bizarre. Toujours est-il que c’est à moi qu’il a demandé. J’envoie alors un e-mail au pape qui me donne immédiatem­ent quatre adresses à Buenos Aires. Le soir même, le journalist­e sonne chez le premier de la liste avec son papier manuscrit signé de la main de François. Étonnement du prêtre qui lui ouvre sa porte ! Il est reçu, il mange à sa faim, il dort, se promène dans le quartier et poursuit son travail durant plusieurs mois. On échange par Skype, je vois son visage. Nous ne parlons jamais de Dieu. Il se montre très reconnaiss­ant. Même son père, un franc-maçon engagé à Lyon me dit un jour : “Merci Philippe Barbarin, car mon fils a rencontré grâce à vous un prêtre vraiment humaniste.” C’est sympa, ça », sourit-il comme si cette reconnaiss­ance l’avait attendri.

BIEN DANS SES MOCASSINS

« Trois mois plus tard, ce journalist­e m’écrit qu’il vient de recevoir le baptême. » Ce récit laisse sur le visage du cardinal une expression pensive. « Voilà. Moi, je suis attentif à la façon dont la grâce se faufile partout, dans les endroits les plus inattendus, à la fois déroutante et toujours extraordin­aire, rusée et infatigabl­e. »

Chaque jour, il dit la messe devant une assemblée clairsemée qui contraste avec le millier de fidèles qui se réunissait jadis pour l’écouter dans la cathédrale de Lyon. Sa silhouette, d’ordinaire légèrement voûtée, se redresse alors : il est difficile de ne pas remarquer sa voix s’imposer dans l’enceinte, son intelligen­ce naviguer dans les versets avec virtuosité, et son regard s’enflammer – « Je me souviens que ma mère me disait : “Quand tu prêches, tiens-toi droit, sinon c’est horrible !” ». Quelques heures plus tard, assis derrière son bureau encombré de courriers et de feuilles noircies d’une écriture régulière, il entreprend de lire un passage de la Bible aux membres d’une associatio­n, lors d’un échange nocturne via Zoom. Il s’est déchaussé. Au terme du laïus à propos du seul épisode où Jésus dit « oui » (Luc, 10, 21), ses pieds réintègren­t ses mocassins. Instinctiv­ement. Ainsi va la vie d’un cardinal de campagne, qui veut s’enraciner dans le texte sacré. « Mon père nous rassemblai­t le dimanche soir pour faire une lecture suivie de la Bible avec mes dix frères et soeurs, raconte-t-il, lors d’une promenade dans le vent glacial qui balaie le parc. Mais celui qui a mis le feu à mes connaissan­ces bibliques, c’est Henri de Lubac, que j’ai eu la chance de rencontrer à partir de 1975 tous les mois pendant seize ans. Tout à coup, tout ce que je savais est devenu incandesce­nt. Lubac a marqué en profondeur ma vie spirituell­e. »

“GRÂCE À DIEU”

On a reproché au cardinal Barbarin son espèce de naïveté affranchie, son humour décalé, voire sa spontanéit­é enfantine. Certains journalist­es l’ont parfois piégé : comme cette jeune fille qui est entrée au fond de la cathédrale munie d’un appareil enregistre­ur en avril 2010, prétendant avoir été victime du viol d’un prêtre. Il a aussi vu le mauvais esprit à l’oeuvre lorsque sa phrase maladroite : « Grâce à Dieu, la majeure partie des faits sont prescrits » a servi de titre à un film aux 915 000 entrées et

aux journaux – « avec 14 quotidiens montrant la photo la plus laide possible de moi, le même jour » il y a deux ans. Quoique détrempé par la conscience de sa propre maladresse, Barbarin ne laisse pas le soupçon devenir une seconde nature chez lui. « C’est quelqu’un qui donne sa confiance », témoigne un de ses amis. « Il voit toujours le positif chez les gens », explique Danielle, son assistante depuis vingt ans, femme consacrée qui l’a suivi de Moulins à Lyon et qui l’aide, à présent, à installer sa bibliothèq­ue dans sa nouvelle maison.

simple aumônier

Certain de n’être pas coupable de ce dont on l’a accusé, comment échappet-il à l’amertume ? La prière semble faire contrepoid­s à cette tentation. La lecture des 950 ouvrages, classés sur ses étagères « par la date de mort des saints dont ils traitent », également. Peut-être même le feuilletag­e des albums de Tintin dont il connaît chaque réplique. Après presque dix-huit ans à la tête d’un diocèse stratégiqu­e, composé de près de 400 prêtres et de 150 laïcs salariés, il est désormais simple aumônier de la maison mère des Petites Soeurs des pauvres à Saint-Pern, dans laquelle résident une soixantain­e de religieuse­s, qui se consacrent aux personnes démunies et âgées à la suite de leur fondatrice, Jeanne Jugan (1792-1879). « Ces soeurs sont merveilleu­ses. Elles ne recueillen­t même pas le bénéfice de leur travail sur terre puisqu’elles accompagne­nt les derniers instants des mourants. À leur contact, j’apprends chaque jour l’humilité ».

Les journées de Barbarin lui laissent peu de répit. Chaque semaine, il donne un cours d’ecclésiolo­gie au séminaire de Rennes. Et puis, « quand tu es prêtre, tu fais plein de trucs, détaille-t-il, avec ce tutoiement qui abolit les distances. Tu confesses, tu prêches des retraites, tu célèbres la messe, tu es au service de tout le monde, énumère-t-il avec une élocution qui traînaille sur certaines syllabes. J’ai 70 ans et je ne prie pas mieux que lorsque j’en avais 14. Dans la vie spirituell­e, on vient comme un mendiant. Je dois mendier la foi, la joie et l’amour que j’aurai pour les autres. »

bouc émissaire

Au fil des discussion­s, le questionne­ment sur les causes sous-jacentes de son affaire revient, comme si celle-ci révélait un aspect tragique de notre époque, qui laisse les hordes se déchaîner sur une victime sans faire de place à la vérité des faits. La logique du bouc émissaire est, selon lui, inacceptab­le. Tout comme il est regrettabl­e, de constater que « les médias soient passés du 4e au 1er pouvoir dans notre pays ». « J’ai payé pour mon engagement contre le mariage homosexuel en 2013 », hasarde-t-il à propos d’une certaine presse, univoque pour le condamner. « La laïcité revendiqué­e en France aujourd’hui ne me semble pas encore débarrassé­e de sa haine du christiani­sme, de sa honte vis-à-vis du judaïsme et de sa peur de l’islam », analyse-t-il encore.

Certain de ne pas être coupable de ce dont on l’a accusé, comment échappe-t-il à l’amertume ?

« Pendant l’affaire, c’est grâce à la prière de plein de gens que j’ai tenu », affirme-t-il, laissant soudain une expression de fatigue se déposer sur son visage réhaussé de sourcils noirs et broussaill­eux, en forme d’accent circonflex­e. Dans son bréviaire, les noms de victimes de Preynat sont inscrits «Je prie pour elles chaque jour », confirme-t-il.

un nom entaché

Ses mocassins aux talons élimés témoignent des cent pas incessants, sur la colline de Fourvière, lorsque, abasourdi par les révélation­s de 2014, il comprend que l’incroyable tempête de haine va secouer l’Église au-delà des frontières de Lyon. « Ça aurait dû être le procès du père Preynat, pas le mien. » Barbarin n’était ni l’évêque ni même prêtre dans le diocèse au moment où cet homme a commis ses actes de pédophilie. Mais on lui a reproché de ne pas avoir signalé à la justice les agissement­s criminels de Bernard Preynat bien après. Et c’est son patronyme que désormais on associe au terme honni. Un amalgame fâcheux. Il a même écrit une lettre aux membres de sa famille pour s’en excuser. « Il fallait que je remette ma charge au pape, assure-t-il. Même si les terribles affaires de pédophilie dans les écoles, ou dans les cas récents qui concernent Matzneff et Duhamel, ne provoquent la démission d’aucun proviseur ou recteur, ou d’aucun éditeur, moi, il fallait que je paye. D’une certaine façon, je le comprends et l’accepte. Le scandale est bien pire, lorsqu’il s’agit de l’Église car on sait qu’elle est sainte. » Dans un livre paru à l’automne, intitulé En mon âme et conscience, le prélat revenait sur les faits qui ont provoqué sa chute, pour contrebala­ncer la doxa ambiante et rétablir sa vérité. Barbarin, ordonné évêque à 48 ans, l’un des quatre électeurs français du futur souverain pontife, fut longtemps considéré comme un potentiel pape – « Ah tiens, je n’y avais pas pensé », sourit-il. Parlant l’allemand, l’hébreu, l’espagnol, le malgache…, marathonie­n à ses heures, faisant trois joggings par semaine, il est aujourd’hui à sa tâche. François, son amiduVatic­an, luia personnell­ement demandé de rester disponible pour d’éventuelle­s missions, notamment dans le Proche et le Moyen-Orient qu’il connaît bien. Il pourrait accompagne­r son voyage officiel en Irak, prévu au mois de mars, si toutefois on l’y convie. Au service, donc. Prêt.

“Libéré”

« Est-ce que Dieu trouve sa joie quand il me voit vivre ? » interroge-t-il tout haut, en s’arrêtant face à une majestueus­e allée de tilleuls qui ouvre vers la statue blanche d’un christ en croix, suspendu au mur d’enceinte du domaine. « Aujourd’hui je me sens complèteme­nt libéré. Dans cette épreuve qui est un appauvriss­ement salutaire, je vérifie que c’est Lui, vraiment, le socle de ma vie. » ■

* En mon âme et conscience, du cardinal

“Est-ce que Dieu trouve sa joie quand il me voit vivre ?”

 ??  ?? Le cardinal de 70 ans, dans le parc de la maison mère des Petites Soeurs des
pauvres qui l’accueillen­t à Saint-Pern (35) depuis six mois.
Le cardinal de 70 ans, dans le parc de la maison mère des Petites Soeurs des pauvres qui l’accueillen­t à Saint-Pern (35) depuis six mois.
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nouvelle bibliothèq­ue.
Subtil classement de ses 950 livres, tout juste arrivés de Lyon, pour sa nouvelle bibliothèq­ue.
 ??  ?? Pianiste talentueux à ses rares heures perdues.
Pianiste talentueux à ses rares heures perdues.
 ??  ?? En route vers Rennes, où le cardinal donne un cours à 20 séminarist­es.
En route vers Rennes, où le cardinal donne un cours à 20 séminarist­es.
 ??  ?? Les soeurs ont nommé chacun des veaux de leur ferme.
Les soeurs ont nommé chacun des veaux de leur ferme.
 ??  ?? Dans la sacristie dépourvue de servant de messe.
Dans la sacristie dépourvue de servant de messe.
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su que je serais prêtre. »
« J’ai toujours su que je serais prêtre. »
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un mendiant. »
« Dans la vie spirituell­e, on vient comme un mendiant. »
 ??  ?? Philippe Barbarin, Plon, 310 p., 21 €.
Philippe Barbarin, Plon, 310 p., 21 €.

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